Madagascar : une biodiversité unique

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Ce beau voyage date de 2015, j’y ai passé une quinzaine de jours, ce qui est bien peu au regard de la richesse naturelle de Madagascar, considéré comme un des plus hauts spots de biodiversité au monde. Nous souhaitions y voir quelques sites parmi les plus fameux de l’île, qui se trouvent globalement au centre ouest et est de l’île, entre Tananarive et Morondava : les forêts tropicales humides de l’Est du pays, dont certaines abritent encore des lémuriens devenus rares ; les paysages calcaires effilés des Tsingy dans le parc national de Bemaraha ; l’allée des baobabs au nord de Morondave. Et bien évidemment, des observations au fil des jours lors de notre parcours en voiture ou en bateau. 

Une île unique

Madagascar est une destination convoitée par de nombreux naturalistes, sensibles aux singularités écologiques et géologiques de cette grande île proche de l’Afrique. Avec une surface de plus de 587 000 km², Il s’agit d’une des plus grandes îles continentales de la planète, détachée du continent africain au cours de la fragmentation du Gondwana il y a 158 millions d’années, puis secondairement du sous-continent indien à laquelle elle restait soudée accolée encore 40 millions d’années. Ce long temps d’isolement l’a écartée des grandes tendances de l’évolution et en ont fait, conjointement avec la diversité des sols, des climats et des géoformes, une terre d’endémisme exceptionnel pour la flore et la faune : 90% pour la faune, un des taux les plus élevés du monde.

Une faune hautement spécialisée

Madagascar a été habitée par des espèces hautement spécialisées évoluant sur de petits territoires, et en général inaptes à une concurrence sévère. La plus célèbre est sans conteste l’oiseau éléphant (Aepyornis maximus, famille des Aepyomithyidae), dont l’ancêtre était présent sur l’île avant la séparation du Gondwana. La taille atteinte par cet oiseau coureur herbivore reste l’une des plus élevées connue à ce jour pour un oiseau, avec 3 à 4m de haut, un poids de 440 kg, et des œufs de 24 cm. La représentation qui en a été faite indique des pattes massives, de puissantes griffes, un long cou et des plumes brillantes. À Antananarivo, capitale de Madagascar, se trouve un musée d’histoire naturelle le Parc Botanique et Zoologique de Tsimbazaza qui abrite l’immense squelette de cet oiseau.

Outre cet oiseau, existaient d’autres oiseaux coureurs (14 taxons de deux familles proches) : comme l’oiseau éléphant, ils ont disparu autour de 750 ans, à cause de l’homme.

En dehors des espèces qui ont évolué sur place, l’île s’est enrichie en espèces par le jeu des vents et des cyclones, ainsi que des transports involontaires par les oiseaux à partir de l’Asie. La faune terrestre est aussi arrivée par des radeaux végétaux dérivant dans le canal de Mozambique, dont la distance avec la Tanzanie est de 400 km. Les rudes conditions de survie sur ces radeaux ont favorisé les mammifères et les reptiles sachant se plonger dans une torpeur momentanée, qui limite leur métabolisme durant les saisons très chaudes de l’Afrique, par divers mécanismes physiologiques. Les lémuriens par exemple accumulent de la graisse dans leur queue massive : cela leur aurait permis de diminuer leurs dépenses d’énergie durant la traversée, et d’augmenter leurs chances de survivre une fois arrivés sur l’île. Cette adaptation se retrouve sur les carnivores qui ont aussi réussi leur implantation à Madagascar.

Le bilan des rescapés est cependant maigre au niveau taxonomique : seules ancêtres de quelques familles, appartenant à  cinq ordres non volants (actuels Primates, Carnivores, Afrosoricides, Artiodactyles, Rongeurs) ont réussi à s’implanter sur l’île. Tous sont monophylétiques, ce qui signifie qu’une seule vague de migrations a donné la diversité en espèces actuelles. Parmi  les divers ordres présents sur l’île, celui des Primates est certes le plus fascinant. En effet, seuls les lémuriens ont colonisé l’île. Sans concurrence avec les Simiens, comme cela a été le cas partout ailleurs dans le monde tropical, ils ont pu coloniser tous les habitats de l’île au prix d’une spécialisation poussée. Pas moins de 59 espèces ont été recensées, dont 15 ont disparu avec l’arrivée de l’homme il y a près de 2000 ans.

La partie humide orientale de l’île : lémuriens et forêts tropicales humides

La vocation du parc forestier de 800 ha situé à proximité d’Andasibe, est de protéger des espèces de lémuriens (de la famille de Indridae), actuellement en danger d’extinction. La rencontre avec ces animaux étranges, au faciès de souris, et à la longue queue préhensible, est un grand moment de ce voyage, tout simplement inoubliable, autant que d’entendre leurs cris parfois très puissants.

L’espèce la plus emblématique est l’Indri indri, un lémurien endémique de l’Est de Madagascar. Avec ses 7 à 9 kg, c’est la plus grande espèce actuelle de lémuriens. Il se maintient droit lorsqu’il grimpe, saute ou se suspend aux branches des arbres. Une autre espèce aperçue est le propithèque à diadème, magnifique avec ses couleurs orange et son liseré facial blanc.

On ne peut que regretter la disparition des plus grands de ces lémuriens, d’une taille proche de celle du gorille. D’autres fossiles seront décrits prochainement grâce à une récente découverte de fossiles de lémuriens et autres espèces, très représentative de la faune qui peuplait Madagascar il y a seulement 1000 ans.

Nous avons également visité la forêt sempervirente du parc national de Mantadia à l’Est de Antananarivo. Sa canopée continue est hérissée de grands arbres sur 15 000 ha. Aux altitudes les plus élevées, la forêt devient naine comme toutes les forêts du monde à ces altitudes, où le ciel est souvent nuageux la journée, et les nuits chaudes.

Forêt humide de l’Est de Madagascar. On observe l’importance des épiphytes dans la canopée
En lisière, et dans les sous-bois, lianes et épiphytes occupent les différentes strates forestières

Quelques observations intéressantes, comme ces deux hiboux scops et ces petits invertébrés verts dans l’eau, non identifiés.

Ouest de l’île : la forêt de pierre, les Tsingy de Bemaraha

La Réserve Naturelle Intégrale du Tsingy de Bemaraha, créée en 1992, se trouve dans le District d’Antsalova et dans la région du centre ouest de Madagascar. Sa superficie totale est de 152 000 ha. La Réserve offre l’un des paysages naturels les plus spectaculaires de Madagascar. La partie occidentale du plateau présente un relief très déchiqueté de lapiaz, avec des éperons calcaires hauts jusqu’à une centaine de mètres, qui forment de véritables cathédrales. Ce relief est recouvert en grande partie par la forêt dense sèche et décidue, dénommée « forêt de pierres » et parcouru par une rivière à gorges profondes. Cette grande réserve n’est ouverte qu’à la saison sèche, les routes étant impraticables en saison humide.

L’origine de ce superbe milieu remonte à la séparation de l’île de Madagascar de la plaque africaine. Lors de cet événement, la barrière de corail a été soulevée par le volcanisme, puis soumise à l’érosion.

Le passage pour la visite des Tsingy se fait par traversée de la rivière.

Les forêts

Les forêts présentent un grand contraste entre celles vivant sur les aiguilles et celles des gorges, la vie étant évidemment bien plus hostile sur les pics calcaires dépourvus de sol et d’eau, et soumises à un fort ensoleillement. Cela explique l’allure étrange des forêts des hauteurs, avec de curieuses morphologies : formes de bouteilles ou aspect tortueux, feuillage caduque et épines.

Dans les gorges, le milieu est plus humide et la forêt est par endroit luxuriante.

Les Tsingy de Bemaraha sont considérés comme un centre d’endémisme de par leur richesse aussi bien en espèces faunistiques qu’en espèces floristiques. Le milieu est riche : 90 espèces d’oiseaux, 10 espèces de lémuriens, dont j’ai pu voir deux espèces dont le Sifaka (Propithecus verreauxi).

J’ai eu la chance d’observer un fossa (Cryptoprocta ferox), dans la forêt entourant la montagne de pierre. Il est le plus gros mammifère carnivore de l’île et est parfois comparé à un petit puma.

Mais il existe d’autres mammifères, cette fois introduits par l’homme, comme le rat noir.

L’allée à baobabs

La célèbre allée de baobabs (Adansonia grandidieri), qui borde la route de terre entre Morondava et Belon’i Tsiribihina dans la région de Menabe dans l’ouest de Madagascar disparaît lentement en dépit de son statut de protection avec la chute de ces géants multiséculaires, tués par la remontée artificielle des eaux pour la culture du riz.

Cet immense baobab est tombé, victime de la remontée des eaux. Ils étaient relativement nombreux en 2015.

2 jours sur la rivière Tsirhibina

Nous avons descendu la rivière Tsirhibina en deux jours. Au fil de l’eau nous avons côtoyé villages, champs et forêts.

Notre bateau pour 2 jours
Les bords du fleuve sont cultivés jusqu’au niveau de l’eau. En arrière plan sur une partie plus haute et sèche s’établissent les baobabs.

Quelques images recueillies au cours du voyage

Nous avons admiré quelques très beaux paysages au cours de ce séjour

… et pris notamment connaissance de certaines coutumes mortuaires. Ainsi, des tombeaux peints.

Plus frappant encore, une cérémonie funéraire dite retournement des morts, à laquelle nous avons été conviées.

Le famadihana, ou retournement des morts, est une coutume funéraire que l’on rencontre dans certaines régions de Madagascar notamment la région des Hautes Terres. Bien qu’apparu assez tardivement semble-t-il dans l’île (peut-être seulement après le XVIIe siècle), tout au moins sous sa forme actuelle, le famadihana se situe dans le prolongement de la vieille coutume des « doubles funérailles » très répandue avant l’époque moderne en Asie du Sud-Est mais aussi en Égypte antique, ainsi que dans le Proche-Orient ancien (dans l’ancien Israël, à Babylone ou chez les zoroastriens en Perse) et dans la Grèce antique.

Wikiepdia

Selon la philosophie malgache, les mânes des défunts ne rejoignent définitivement le monde des ancêtres qu’après la corruption complète du corps, au bout d’une longue période pouvant durer des années, et après l’accomplissement de cérémonies appropriées. Le rituel d’ancestralisation, post-mortem, consiste à déterrer les os des ancêtres, à les envelopper cérémonieusement dans des tissus frais (lamba) et à les promener en dansant autour de la tombe avant de les enterrer à nouveau. À Madagascar cependant, cette ré-inhumation (littéralement retournement) finit par devenir périodique, en général tous les sept ans, dans une grande festivité réunissant tous les membres du groupe. À cette occasion, les linceuls de soie recouvrant les restes mortuaires décomposés de plusieurs corps sont renouvelés.

L’ambiance était plutôt gaie avec musique très bruyante parmi les spectateurs. Cela n’empêche pas la douleur des parents, comme me le dit le guide.

L’anthropisation de l’île et ses effets dévastateurs sur les écosystèmes

Les guides engagés pour notre voyage (Solofo RAKOTONDRABESA et Miary RASOANAIVO), n’ont pas manqué de nous montré les impacts dévastateurs de l’anthropisation massive que subit cette île.

Préservée jusqu’au début de l’ère chrétienne, Madagascar a en effet subi, comme toutes les îles du monde, l’expansion fulgurante de l’humanité. De cette confrontation, on ne peut contester, en positif, la diversité des sociétés malgaches ; en négatif le désastre écologique que ces sociétés locales ont infligé à cette île unique, notamment ces derniers siècles. En premier, la déforestation : les forêts qui couvraient 80% de la surface de l’île il y a quelques millénaires, en sont réduites à moins de 10%. 200 000 ha de forêt brûlent chaque année, laissant les montagnes des hauts-plateaux centraux noires à la fin de la saison sèche : et ce en dépit de campagnes de sensibilisation contre les feux de brousse instaurées par les gouvernements successifs.

Feux de brousse d’origine anthropique

On brûle pour la repousse de l’herbe pour le bétail, par pyromanie, par les voleurs de zébu (pour effacer leurs traces dans la broussaille), aussi tout simplement pour s’amuser les jours de marchés villageois : les gens sont saouls et allument des feux quand ils rentrent chez eux le soir. D’autres personnes enfin brûlent en croyant que la fumée dégagée par le feu fera tomber la pluie. Ces feux sont particulièrement intenses à l’approche de la saison des pluies. Dans les parties les plus sinistrées, un espoir cependant : les petits boisements des ravins qu’on peut encore voir ça et là semblent avoir conservé, étonnamment, des espèces natives, qui pourraient être d’utiles sources de recolonisation forestière si les pratiques humaines changeaient.

Mais la forêt souffre aussi de manière plus pernicieuse de l’étendue de plantations historiques d’espèces exotiques (eucalyptus, pin) qui s’étendent sur les anciens brûlis. La banalité de ces milieux frappe d’autant plus qu’il existe encore, pas très loin de là, les beaux milieux que nous avons visités.

Ces pratiques sont évidemment soulignées par les ONG, et reprises ici par Solofo, très amer.

« Outre les déforestations et les brûlis mais invisibles au touriste, sont  les pillages organisés des richesses de l’île : espèces animales endémiques tels que lémuriens, tortues, lézards et geckos, hippocampes, les essences de bois exotiques : bois de rose, palissandre, ébène,  et les pierres précieuses dont le sous-sol malgache regorge : saphir, émeraude, rubis , sans oublier l’or dont environ toutes les 2 semaines, les journaux relatent quelques kilos de lingots qui se font « attraper » pour faire diversion dans des doubles-fond de valises, et à côté des caisses entières de lingots passent dans des conteneurs : ainsi, 2 à 3 tonnes d’or en lingot passeraient les douanes tous les ans  sans aucune déclaration.

Tous ces trafics passent en toute impunité les frontières poreuses de l’ile, grâce à l’incurie, voire selon certains, la complicité de certains agents locaux et de personnages hauts placés organisés dans des mafias.

Ces pillages, régulièrement dénoncés lorsqu’ils sont découverts, par les journaux locaux ou internationaux, en termes violemment accusateurs (criminalité environnementale, massacres, hémorragie des ressources) ne semblent pas être efficaces. Les richesses malgaches continuent à atterrir dans les grandes villes du monde, d’Amsterdam à Paris ou Hong Kong, Dubai ou Pékin, faisant la fortune de truands de tous horizons.

Le sous-sol malgache recèle aussi d’innombrables sites de découvertes de fossiles d’animaux préhistoriques de grandes valeurs, trouvés, puis pillés par des équipes de « scientifiques » venues de tous horizons ou tout simplement par de simples villageois: ammonites géantes, dinosaures terrestres et volants, mais dont l’unique petit musée archéologique d’Antananarivo n’ a jamais vu les couleurs. De telles actions pâlissent l’image de tous les chercheurs honnêtes, malgaches ou non malgaches, qui contribuent à améliorer la connaissance dans l’histoire de l’ïle et à protéger ses trésors naturels. »

Malgré des promesses renouvelées lors du changement de politique gouvernementale, le gouvernement , en 2015, affaibli de décennies d’instabilité politique, n’arrive pas (ou ne souhaite pas) enrayer les pillages et les dessous de tables faits à la police malgache et l’administration judiciaire. Et ce en dépit des efforts des ONG locales ou internationales et des douanes étrangères qui contribuent à ralentir les trafics.

Mada News, mai 2015

Il existe aussi des initiatives plus modestes qui viennent du cœur de la population. Tout d’abord les deux guides, qui ne manquaient pas de souligner les problèmes au fur et à mesure que nous avancions dans la connaissance de l’île. Ils nous ont fait connaître aussi le père Pedro, missionnaire lazariste établi dans la capitale et avec qui nous avons eu l’honneur de discuter. Le Père Pedro, d’origine slovène, est fondateur d’une association Akamasoa (qui signifie « les bons amis), dont l’objectif est de redonner une dignité humaine aux populations les plus pauvres.

Mais aussi d’autres personnes, guides d’un jour dans une réserve, tout aussi impliquées dans la survie de la beauté de leur pays. Ainsi Raymond Rabarisoa, guide écotouristique agréé et fondateur de l’association des guides d’Andasibe : Nirina et que nous avons rencontré lors de notre visite à l’Est de l’île. Cette association tente de sauver les dernières reliques forestières des forêts de l’Est de la capitale, proche de la forêt protégée de Mantadia avec l’aide de la population locale. Il a aussi été à l’origine de la plantation de 200 000 plants appartenant à 105 espèces natives, afin de créer un corridor forestier de 22 km entre Andasibe et Mantadia.  Cette initiative permet de limiter les impacts des invasions d’exotiques sur les paysages de cette région, sinistrée par les déforestations et les plantations de pins et d’eucalyptus.

Ces conclusions datent de 2015. J’ignore si les choses ont évolué depuis.

En conclusion

Ce n’est probablement pas par hasard que Madagascar est devenu à la fois un symbole de biodiversité unique, et de destruction de cette biodiversité sans précédent par l’humanité. De toutes les îles du monde, elle semble avoir été celle qui a répondu au plus haut à la poussée créatrice du vivant, et celle qui a le plus souffert de la rapacité des sociétés humaines modernes. Pour sauver ce qui reste, il n’est pas souhaitable que l’image de Madagascar soit réduite au premier symbole, celui qui attire les touristes et émerveille les naturalistes et les chercheurs, et de jeter un voile pudique sur le reste.

Cet article a 2 commentaires

  1. DIJOUX Gin

    Tristesse et colère de voir le si beau pays de naissance de mon père, dévasté par de stupides hommes cupides. J’ai honte de faire partie des .

    1. Annik Schnitzler

      mais il y a de très bons côtés dans cette île magnifique, rassurez vous !

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