Ma visite dans les forêts anglaises a eu lieu en février 2024. L’Angleterre du sud est en effet relativement riche en forêts, issues soit d’anciennes chasses ou sites protégés, soit de recolonisations forestières déjà anciennes. J’ai ainsi visité Kingley Vale, the Great Yews, grâce à des scientifiques qui m’ont guidée ou conseillée. Cette visite a aussi été l’occasion d’admirer quelques lieux historiques ou préhistoriques renommés.
Kingley Vale
Kingley Vale correspond à une des 200 réserves naturelles nationales d’Angleterre. Situé près de Chichester, à l’ouest de Sussex (point culminant 275m) au sud du pays, ce site de 160 ha fait partie du parc national de South Downs. Le climat est très humide (entre 800 et 1000 mm par an) et les sols sont calcaires. En fond de vallon, l’humidité provient également d’un aquifère en fond de vallon. Les forêts naturelles sont des chênaies à orme, érable champêtre, tilleul et noisetier.
Pour rentrer dans la réserve (cf plan photo 1), ii faut faire environ 2 km à pied dans des paysages cultivés (photo 2). On pénètre dans un paysage partiellement forestier, avec des espaces de prairies. La forêt d’ifs couronne les sommets avoisinants sur une surface étonnante qui doit atteindre près de 80 ha (photo 3)
J’ai traversé les fonds de vallon vers les sommets : on y trouve de très beaux arbres, frêne, if, chêne.
Cette forêt de fond de vallon témoigne d’un abandon des pratiques agricoles depuis fort longtemps.
Ci-dessous : photo 1 un chêne entouré d »ifs comme une robe ! Photo 2: début de la taxaie; photo 3: un lierre s’est entortillé autour d’un vieil arbre.
La forêt d’ifs des pentes (200 ans environ)
J’ai parcouru une partie de la forêt dense à ifs qui s’étend sur les pentes sur plusieurs dizaines d’hectares. Cette forêt est tout à fait extraordinaire, car elle est totalement spontanée. Ces forêts d’ifs sont extrêmement rares. Il a fallu une suite d’événements pour qu’elle puisse de développer. L’if a profité de périodes de déprise agricole relativement récentes, vers 1870, au cours desquelles se sont produits deux événements concomitants : l’arrêt du pâturage par les moutons au profit de cultures dans les parties basses des vallées, laissant les pentes libres de toute culture, associée à l’éradication des lapins par la myxomatose. Les ifs étaient évidemment déjà présents dans les anciens pâturages, à l’abri dans les buissons d’aubépine. Ils provenaient des plantations voisines, dans les jardins et les cimetières. L’if a été alors largement favorisé dans sa libre conquête des pentes, également aidé par les brouillards persistants l’été provenant des fonds de vallon.
L’architecture de cette impressionnante taxaie est celle d’une forêt primitive, avec gros individus, nombreux arbres déracinés ou ployés par le vent, du bois mort accumulé au sol et de nombreux terriers de renard ou blaireau, qui y trouvent ici une grande quiétude. Sur la deuxième photo, on voit un terrier de renard.
Les anciens d’ifs de Kingley Vale
Il reste quelques ifs de taille imposante, qui présentent cette curieuse architecture de branches tombant à terre et s’y enracinant parfois. Certains ont jusqu’à 6m de circonférence pour des hauteurs modestes (6m environ). Leur âge a été estimé par comptage de cernes à 5 siècles. Certains ont des troncs doubles, qui se séparent avec le temps.
L’histoire de cette extraordinaire vallée a été beaucoup débattue par les scientifiques, géographes et botanistes. La théorie retenue est que cette taxaie pure, très inhabituelle pour l’Europe, aurait pour origine l’abandon des pratiques agricoles et pastorales traditionnelles des pentes et des sommets des collines au cours des 200 dernières années, entre la fin du 18e siècle et le début du 19e siècle.
À la même période, les lapins alors très nombreux ont été éliminés. La pression de prédation par les moutons et les lapins éliminée, les ifs se sont étendus sans contraintes. D’où venaient-ils ? Sans doute d’individus ayant germé au sein des genévriers et des aubépines très présents dans les pâtures, à partir des ifs plantés dans les environs dans les paroisses et les jardins, ainsi que ceux qui subsistaient dans les fonds de vallon. Ces ifs ont progressé à partir des années 1830, devenant une véritable forêt à la fin du 19e siècle, soit en moins d’un siècle.
Il reste à savoir pourquoi c’est l’if qui a colonisé ces milieux abandonnés, et non d’autres espèces telles que le chêne, le frêne ou le tilleul. Le climat très favorable, combiné à un sol calcaire riche et humide, ont sans doute joué un grand rôle dans la puissance colonisatrice de l’if.
Il existe d’autres forêts d’if pures dans le sud de l’Angleterre (16 avaient été répertoriées en 1980) mais aucune n’a atteint la surface et la densité de cette taxaie de Kingley Vale.
L’étonnante forêt à vieux ifs de Great Yews
Ce site de près de 30 ha dans le Wiltshire près de Salisbury, comporte une concentration étonnante de très vieux ifs. Il a été classé Site d’intérêt spécial (SSSI) dès 1951, et comme aire spéciale de conservation. Il est privé et ne peut donc être visité qu’avec une autorisation. J’ai eu cette chance à l’intervention de deux membres de l’association anglaise ‘Ancient Yew Group’. Peter Norton, chercheur de cette association, m’a guidée avec deux autres personnes impliquées dans la protection des arbres dans ce pays.
Comme le site de Kingley Vale, les sols sont ici calcaires et riches en éléments minéraux. La forêt comporte 1700 vieux arbres, dont 50% de vieux ifs, soit près de 800 individus d’âge pluriséculaire ! Selon les données locales, ces ifs auraient été plantés entre 1483 et 1511 pour fabriquer des arcs longs, très efficaces dans les guerres avec la France. Mais il fallait attendre près de 100 ans pour avoir du bois d’if pour la fabrication de ces arcs. Or, 100 ans après les armes à feu ont remplacé les arcs et les ifs ont été oubliés !
Ci-dessous, des aspects de l’architecture étonnante des ifs avec très longues branches penchant vers le sol. Sur la photo 3 des axes feuillés ont poussé sur les branches du sol.
Dans cette étonnante foret, le tiers des ifs sont penchés vers le sol, sans doute à cause du développement des branches basses (ou alors c’est l’inverse ? les ifs penchent vers le sol, et les branches se développent démesurément ?). En tout cas, une telle architecture est curieuse et unique à l’Angleterre. Serait-ce un écotype des îles Britanniques, ou d’anciennes pratiques humaines nécessaires pour la fabrication des arcs ?
Ci-dessous: des traces archéologiques datant de l’Age du Bronze: la première photo montre un fossé délimité par des ifs. De nombreux fossés de ce genre émaillent le paysage, mais on n’en connait pas l’origine, sans doute ancienne. La photo 2 montre un fossé qui est une limite territoriale datant sans doute de l’Age du Bronze.
On trouve aussi au sol plusieurs amas de silex.
Les autres espèces cohabitant avec ces vieux ifs sont le chêne et le frêne. Ce dernier souffre d’une infection par un pathogène exotique, et qui est activement coupé afin de ne pas propager la maladie. Cela explique les trouées et l’invasion dans les sous-étages des ronces. En dehors de ces coupes, il y a peu d’interventions dans cette forêt.
Une brève visite à la New Forest
Le parc national New Forest au sud de l’Angleterre (région de Hampshire) couvre 566 km²de landes, tourbières et zones humides. Les forêts feuillues couvrent 146 km² dont une bonne proportion de forêts anciennes. Ces forêts sont des hêtraies acidiphiles à chênes (pédonculé et sessile), typique des côtes atlantiques de l’Europe, de l’Angleterre, la Bretagne et la Normandie, à l’Espagne du nord. La conservation d’une telle surface forestière peut partiellement s’expliquer par la pauvreté des sols.
Par manque de temps, je n’ai pu voir qu’une infime partie de cette forêt, dans un lieu proche de Lyndhurst, sous un ciel très chargé et des pluies intermittentes.
J’y ai vu des arbres énormes (on dit qu’ils ont entre 2 et 5 siècles), couverts de mousses, et des sous-étages très riches, composés de bouleaux, frêne, érable sycomore et surtout une densité extraordinaire de houx. Le tout recouvert d’épais tapis de mousse d’un vert éclatant.
J’ai pu descendre au fond du vallon où serpentait une rivière très profondément entaillée dans l’argile, et disparaissant localement sous le bois mort.
Quelques renseignements sur Google donnent un aperçu de l’histoire de la forêt et notamment des usages (forêt pâturée, chassée, arbres émondés, source de bois pour la marine, plantations de conifères). La New Forest est protégée des coupes et des plantations datant du 18e siècle, et plus récemment, de 1920. Elle ne peut plus être défrichée depuis un acte signé en 1877, en tant que « forêt ancienne et ornementale ». J’ai toutefois lu aussi qu’il y avait un problème de régénération des arbres en raison de la pression d’herbivorie par les animaux domestiques. Effectivement, j’ai pu rencontrer un cheval en totale liberté paître dans ce bois.
Une forêt à visiter plus longuement, assurément !
L’église anglicane de Warblington
Ce site était sans doute déjà sacré du temps des Saxons, et peut-être même avant la chrétienté. C’est en tout cas ce que dit la légende. L’église actuelle été construite au 13e siècle, mais a été rénovée au début du 19e siècle. Elle abrite plusieurs ifs mâle et femelle, dont une femelle de dimensions imposantes, et dont la fonction est sacrée de l’aube des temps. Le cimetière n’abrite plus de paroissiens depuis le 18e siècle. Seuls les religieux y sont encore enterrés.
Ci-dessous photo 1: un des plus vieux ifs d’Angleterre; photo 2: les branches basses des ifs entourent les pierres tombales creusées tout autour du tronc du vieil if. Photo 3: une tombe juive au milieu des anglicans:
Une visite à Salisbury
Salisbury, dans le comté de Wiltshire, est célèbre pour sa superbe cathédrale. Elle a été édifiée lorsque l’archevêché fut déplacé du site de Old Sarum, actuellement en dehors de la ville, au 13e siècle. Ma visite a donc commencé par ce site.
Quelques mots sur Old Sarum
Old Sarum est à l’origine un oppidum occupant une position stratégique, sur une colline à l’intersection de deux voies de communication et de la rivière Avon. Les Normands construisent la motte castrale, puis le château et la cathédrale, tous disparus aujourd’hui, ainsi que les habitations. Il ne reste que les enceintes extérieurs bordées d’ifs, et les ruines de la cathédrale et du château.
Ci-dessous: photo 1: Reconstitution d’Old Sarum au xiie siècle, exposée à la cathédrale de Salisbury. Photo 2: ruines de l’ancienne cathédrale; Photo 3 la première enceinte de Old Sarum
La cathédrale de Salisbury, édifiée entre 1220 et 1320
Cette cathédrale, chef d’œuvre de l’architecture gothique, possède la flèche d’église la plus haute (123 m) construite avant 1400 et encore debout. Son nom officiel est cathédrale de Sainte-Marie (« church of the blessed Virgin Mary« ).
L’architecture est somptueuse (vaste nef, cloitre immense, magnifique salle capitulaire)
On peut y admirer une horloge médiévale datant du 14e siècle, qui carillonne à la manière de Big Ben de Londres toutes les heures.
Mais le clou de ce site est sans doute de pouvoir contempler dans la salle capitulaire une des 4 copies originales de la Grande Charte (Magna Carta) où ont été inscrits les droits du peuple anglais, le 15 juin 1215 : un pas décisif vers une certaine démocratie. On ne peut pas photographier ce document imposant, écrit en tout petit, qu’on va admirer sous une tente.
Une cathédrale qui « flotte » sur la nappe phréatique
Cette cathédrale a été construite sur un terrain marécageux parcouru par plusieurs bras du fleuve côtier Avon, elle repose sur 4m de fondations posées sur 9m de graviers dans lesquels circule une nappe phréatique très active.
Les périodes de grandes inondations ont parfois créé des remontées de nappe jusque dans la cathédrale, ainsi qu’en atteste une vieille photographie montrant l’intérieur de la cathédrale avec de l’eau sur plusieurs centimètres ! Lors de ma visite, les marais avoisinants étaient totalement inondés (photos ci-dessous: Peter Norton)
Ci-dessous: inondation de la cathédrale en 1915. Photo 2 et 3 inondation des marais en février 2024 photo prise à l’Est de la cathédrale le long de la route (cf carte ci-dessus).
Stonehenge
Stonehenge, également dans le comté de Wiltshire, est un célébrissime monument mégalithique composé de cercles de pierres.
Ce qu’on peut en voir aujourd’hui est le résultat de plusieurs étapes de construction dont deux bien répertoriées, l’une il y a 3000 ans où le cercle de pierres n’existait pas encore (photo 1 ci-dessous), puis 2200 ans avant JC où il a été édifié (photo 2). Depuis cette époque, ces pierres se sont parfois effondrées (notamment suite à un tremblement de terre) et ont aussi été en partie utilisées.
Mais l’histoire de Stonehenge est bien plus complexe, et je reporte le lecteur au texte accessible dans Wikipedia.
Tout autour du monument mégalithique, on trouve des monticules datant de l’Age du Bronze, et qui sont des tombes.
En conclusion
Ce bref séjour m’a permis de voir de près des forêts peu connues et d’un grand intérêt écologique. IL est fort heureux qu’elles soient strictement protégées ! Je n’aurai pu visiter les forêts à ifs sans les conseils de Fred Hageneder et l’aide de Peter Norton à qui j’adresse ici mes plus vifs remerciements, pour la sortie mais aussi les photos de la cathédrale. Ainsi que bien sûr Damien Saraceni pour la relecture des textes.