Pantelleria, perle noire de la Méditerranée, Sicile

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L’île de Pantelleria se situe au centre du Canal de Sicile, à 85 km au sud-ouest de la Sicile et à 70 km de la Tunisie. Le climat est de type méditerranéen (températures de 13 à 20°C), avec une moyenne des précipitations de 531 mm entre octobre et février, mais le climat local est très variable en fonction de l’altitude et de l’exposition.

Situation de l’île de Pantelleria. source : Calo et al. 2013

Avec les îles de Lampedusa, Linosa, et Lampione, Pantelleria forme l’archipel italien des Pélages, un groupe d’îles volcaniques qui doit son existence à la présence d’un rift continental au centre du canal de Sicile. L’île de Pantelleria couvre 83 km² : elle est longue d’environ 13 km et large de 8 km au maximum.

Pantelleria et Linosa sont des volcans endormis, qui sont nés au fond de fossés d’effondrement discontinus, étroits (30- 40 km ) et profonds ( -1700 m), qui accidentent en son centre le canal de Sicile, par ailleurs large (250 km), plat et peu profond (100- 200 m ). Pantelleria correspond en fait à la partie émergée d’un grand édifice sous-marin situé dans le rift (autre nom du fossé d’effondrement) de Pantelleria, à la confrontation des plaques continentales africaine et européenne. À cet endroit, l’épaisseur de la croûte terrestre est de 20 km, soit la moitié de l’épaisseur au niveau des côtes tunisiennes et siciliennes. Ce vaste volcan de 40×30 km atteint 2150 mètres de hauteur si on le considère à partir de sa base sous-marine.

Source : Abeli et al. 2016

L’île est surtout connue pour les particularités de ses paysages volcaniques sombres, composés de plus de 50 cônes volcaniques éteints, qui ont valu à Pantelleria le surnom de « Perle Noire de la Méditerranée ».

Les plus hauts sont le Mont Gibele (700m), Cuddia di Mida (591 m) et Cuddia Attalora (560 m).

Pantelleria est donc constituée uniquement de roches volcaniques en majorité acides issues d’éruptions.

L’édifice volcanique aurait émergé il y a 500 000 ans et a continué de croître de façon intermittente jusqu’à l’époque actuelle, la dernière éruption, marine, ayant eu lieu en 1891. Au cours de celle de 1831, au nord-est de Pantelleria, est née une île qui n’a vécu que six mois, mais qui a eu le temps d’être baptisée Graham, Ferdinandea et Julia par les états qui l’ont revendiquée. Celle de 1891, entièrement sous-marine, a eu lieu au nord-ouest de l’île.

Quelques repères dans l’histoire géologique de Pantelleria

Entre 225 000 et 49 000 ans, se sont succédé de nombreux cycles éruptifs, dont les traces sont visibles du pont du bateau sur les falaises est et sud de l’île.

Il y a 45 000 ans s’est produit un événement célèbre de l’histoire géologique de Pantelleria : l’émission du Tuf Vert. Le tuf vert correspond à la soudure de téphras (fragments de roche solide expulsés dans l’air ou dans l’eau pendant l’éruption volcanique). Le volume ainsi soudé atteint 2,5 km 3 et a ainsi moulé le relief de l’île entière.

La composition va des pantellérites (roche volcanique riche en fer) aux trachytes (roche volcanique riche en feldspath, riches en aluminium et en silice). Comme on peut le voir sur les photos, ces roches volcaniques ont peu de cristaux, car le matériel refroidit trop vite, ce qui empêche la formation des cristaux.

Cette éruption conduisit à la formation   d’une nouvelle caldeira (qui est un vaste cratère circulaire de diamètre kilométrique, issu d’un effondrement le long de failles concentriques). Cette caldeira atteint 6×7 km au centre de l’île : la caldera Monastero ou Cinque Denti.

Caldeira Monastero, très érodée et dont le centre est cultivé

 Il y a 35 000 ans, le Monte Gibele a surgi au centre de cette caldeira. Puis un soulèvement à l’ouest de cet édifice vers -18 000 ans a donné naissance au sommet actuel de l’île, la Montagna Grande (836 m).

La présence du magma sous l’île se manifeste de multiples façons dans le paysage, comme nous allons le voir.

Magnifiques paysages volcaniques

C’est dans le lac Specchio di Venere (Miroir de Vénus) que se trouvent la plupart de ces sources. C’est un lac endorhéique situé dans une caldeira de forme subcirculaire (donc pas pleinement circulaire, avec 450 m de long, 350 m de large, pour une profondeur maximale de 12.5m). Cela signifie que l’eau provient des précipitations, d’un aquifère thermal et perd l’eau par évaporation et infiltration uniquement : il n’y a pas de voie de communication avec la mer. Les gaz émis sont principalement du CO². Sur le bord du lac, une source d’eau sulfureuse dont la température varie de 18°C à 50°C barbote dans une fange blanchâtre aux propriétés thérapeutiques et cosmétiques reconnues.

Ce lac comprend des stromatolithes siliceux près de la rive sud ouest. Les stromatolithes sont les plus anciennes structures que l’on peut rattacher à une activité biologique, autour de 3,5 milliards d’années. Ce sont des dépôts organo-sédimentaires produits par la croissance et l’activité de microorganismes, des cyanobactéries.

Les stromatolithes apparaissent comme des dômes ou des colonnes émergeant de 8 cm à partir de la base du lac. Malheureusement je n’ai pas pu les voir !

La pointe Spadillo

Le phare désaffecté de Punta Spadillo se situe à l’entrée en mer de la grande coulée de lave (de la pantellerite) d’un volcan proche, dénommé Kagghiar, âgé de 9000 ans. Cette coulée est hérissée de blocs de lave qui descendent vers les deux lacs de l’Ondine. Ces petits lacs paisibles, d’une vingtaine de mètres de diamètre et de moins de trois mètres de profondeur, sont hypersalés et situés à deux mètres au-dessus du niveau de la mer. Ce sont comme des conques d’eau transparente et chaude posées sur un pavage de prismes au cœur de la coulée de lave.

Des tunnels de lave

À quelques centaines de mètres du sommet de la Montagna Grande, toujours en milieu boisé, et en suivant la crête au sud-ouest, on descend vers la Grotte des Brigands, qui correspond à un tunnel de lave en trachyte.

La grotte des brigands correspond à un épisode tragique de l’île. Pendant l’Unification de l’Italie, un groupe de jeunes gens avait refusé de faire le service militaire et se sont réfugiés dans la grotte. Ils ont été retrouvés par la police et exécutés publiquement.

Un pays de fumerolles

La présence du magma sous l’île se manifeste par de nombreuses sources thermales gazeuses (Specchio di Venere, Scauri, Nikka, Punta San Gaetano, Gadir…), par des émanations sulfureuses dans des grottes en bord de mer, et par des activités fumerolliennes, un peu partout dans la caldeira centrale et au cône de ponces de Cuddia di Mida.

A Sibà, sur le flanc ouest de la Montagna Grande, la Grotta di Benikula dégage des vapeurs qui vont croissant en s’enfonçant vers le fond. Si bien que les visiteurs n’y restent pas longtemps !

Grotte de Benikula et ses fumerolles: température suffocante !

A Scauri, sous le Monte Gibele, on pourra gagner, après une petite heure de montée et par un beau sentier empierré, le lieu le plus charmant de l’île, la Favare Grande  : deux jets de vapeurs à des températures de 70°C à 100°C y jaillissent

Ces jets de vapeur étaient utilisés dans l’Antiquité, comme à la Grotta di Sataria, aménagée autrefois en petits thermes littoraux. Les thermes sont abandonnés et dégradés et les bassins d’eau chaude ont une propreté et des qualités douteuses. Le Tuf Vert recouvrant, telle une cloche, un cône de blocs ponceux à la structure très aérée. Les ponces sont recuites sur une épaisseur de 20 cm au contact avec le Tuf Vert.

Et les forêts ?

Nul ne connait la végétation qui prévaudrait sans les activités humaines. Les forêts sont toutefois rares, et localisées sur la Montagna Grande.

Les arbres couvrant la montagne sont le pin d’Alep et le pin maritime, ici une sous-espèce endémique (Pinus pinaster subsp. Hamiltonii) et le chêne vert.

Le pin maritime est une sous-espèce endémique de Pantelleria. Il couvre la plupart des anciens pâturages de la montagne Grande

Au sommet, subsiste une forêt naturelle de chênes verts qui devait dans le passé couvrir toute l’île.  À cette altitude, la chênaie y présente une architecture buissonnante et une faible hauteur, en raison des conditions climatiques très humides à cette altitude. La présence de multiples épiphytes sur les troncs témoigne de l’humidité constante. J’y ai même trouvé un exemplaire de Lobaria pulmonaria, une espèce de lichen devenue rare en Europe en raison de la pollution de l’air. En effet, ce lichen a une large surface foliaire sensible aux polluants.

Lobaria pulmonaria est un liche spécifique des milieux forestiers humides et non pollués. Ici, l’espèce atteint la limite méridionale de son aire en Europe.

L’histoire humaine de Pantelleria

Une occupation humaine ancienne

Les coulées à blocs de pantellérite sont souvent vitreuses dans leur partie supérieure et basale, l’obsidienne. Cette obsidienne, nécessaire à la fabrication des outils primitifs, a attiré sur l’île les « sésiotes » (peuplades venant d’Afrique ou d’Espagne ?), au troisième millénaire avant J.-C. Ils en faisaient commerce avec les îles méditerranéennes : Malte, Crète, Sardaigne, Baléares et Crète.

Pantellerite : roche vitreuse noire

Ils ont construit sur l’île des tombes collectives faite en matériel volcanique, tel le célèbre Sese Grande. Il est vrai que, par la suite, c’est avant tout la position stratégique de l’île qui a attiré les hommes : Phéniciens, Romains, Byzantins, Arabes, Espagnols, Français et enfin, Italiens.

Mur gigantesque, édifié avec la pierre de lave aux temps néolithiques

L’agriculture traditionnelle s’est développée sur les terrasses, où les habitants ont édifié des murs en pierre.

Cette agriculture, très dynamique jusqu’en 1950, a depuis bien ralenti son rythme. Friches et cultures alternent notamment dans la vallée Monastero.

Les cultures actuelles : vignoble et oliveraie

L’île est productrice de deux vins locaux, le Moscato et le Passito. Les vignes appelées Moscato d’Alesandria ont probablement été apportées par les Phéniciens. La culture de ces jeunes plants est reconnue par l’Unesco comme héritage de l’humanité depuis novembre 2014. 

Les 7 500 habitants actuels vivent donc surtout du tourisme et de l’agriculture. 

Les croyances locales

La Fête de San Fortunato est l’événement religieux le plus important de l’île de Pantelleria, car il commémore la mémoire de son Saint Patron. Bien des miracles lui ont été attribués, notamment liés à des catastrophes naturelles. Les fidèles ont demandé pardon à San Fortunato à l’occasion des différents tremblements de terre du XIXe siècle, en particulier ceux de 1831 et 1891, parmi les plus dévastateurs de cette période. En 1981, un autre événement a conduit les habitants de Pantelleria à se réfugier dans des prières pour San Fortunato, car l’île de Pantelleria était en danger de disparaître en raison d’une éruption volcanique sous-marine violente qui s’est produite dans les eaux environnantes, avec de violents jets de lave sortant de la mer atteignant jusqu’à 15 mètres de hauteur. Les habitants se sont réfugiés à l’intérieur de l’église-mère historique de Pantelleria, demandant à nouveau de l’aide à leur saint.

Giacomo Patanè – Giovanna Ferlucci Cornado – Giada Di Chiara.

L’église-mère du Saint-Sauveur à Pantelleria est le lieu où commencent les liturgies en l’honneur de San Fortunato, puis se poursuivent dans les rues du centre historique de l’île dans une procession qui se partage entre les différents sites historiques de Pantelleria.

Tombeau et ossements de San Fortunato

En conclusion

L’île de Pantelleria concentre une histoire complexe en raison de sa situation en mer Méditerranée, où se sont croisées les routes de nombreuses civilisations, et de son caractère volcanique.

Je retiens surtout, en tant que botaniste, la présence de forêts sur ce morceau de terre perdu en Méditerranée !


Références

  • Calo C., Henne P.D., Eugster P. et al.2013 1200 years of decadal-scale variability of Mediterranean vegetation and climate at Pantelleria Island, Italy. The Holocene 23, 10, 1477-1486.
  • Abelli, L., Agosto, M. V., Casalbore, D., Romagnoli, C., Bosman, A., Antonioli, F., … & Chiocci, F. L. (2016). Marine geological and archaeological evidence of a possible pre-Neolithic site in Pantelleria Island, Central Mediterranean Sea. Geological Society, London, Special Publications411(1), 97-110.

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