Éthiopie, une terre en effervescence

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Située au cœur de la corne de l’Afrique de l’Est, l’Éthiopie est constituée en grande partie de terres volcaniques basaltiques datant d’environ quarante millions d’années. Sa célébrité multiple est liée à sa géologie, sa faune, et son histoire humaine.

Dans ce pays comme tous les autres situés sur la façade Est de ce continent, s’y trouvent associés la fois les points les plus bas et les plus hauts du continent, des cuvettes de l’Afar qui s’enfoncent jusqu’à 116 m au-dessous du niveau de la mer, riches en formations volcaniques actives, aux hautes terres éthiopiennes situées au-delà de 1000 m d’altitude, incluant de nombreux sommets dépassant la barre des 4000 mètres. Les hauts plateaux contrôlent les débits du Nil par le Nil bleu, qui fournit plus de 80% de l’eau parvenant en Egypte, et le Nil Blanc, originaire du Lac Victoria.

Cette carte topographique de l’Éthiopie indique la position des hauts plateaux d’Abyssinie en brun sur la partie gauche, et celle de la dépression de l’Afar, en haut à droite en vert sombre proche de la Mer Rouge.

Premier voyage, 2016

L’objectif de notre première visite en 2016 a été la découverte de la chaîne volcanique de l’Erta Ale (en danakil, langage local, cela signifie « la montagne qui fume »), dans la région des Afars.

Il s’agit de la région la plus chaude, la plus basse et la plus inhospitalière de la grande faille d’Afrique, tout au nord, proche de la mer Rouge, au nord du pays. Cette plaine désertique de Danakil est appelée parfois Triangle de l’Afar d’après le nom des tribus afars qui en sont les seuls habitants. Soumise à des forces géologiques intenses de cisaillement, cette plaine est exposée à de violents tremblements de terres, parfois de maximum 10. Les signes d’activité sont matérialisés par des volcans actifs, dont le plus connu est l’Erta Ale.

La montée du volcan de l’Erta Ale à 613 mètres d’altitude, dure environ 4 heures. Nous sommes accompagnés par des gardes armés, qui nous protègent contre d’éventuelles agressions du pays voisin.

Ma sœur Jocelyne et moi-même en chemin vers le volcan
Un des gardes éthiopiens surveillant la montée vers le volcan

Nous finissons par aboutir vers à une caldeira centrale, de 100m de diamètre, d’où bouillonne un majestueux lac de lave permanente.  En 2016, lorsque nous y étions, la lave était remontée jusqu’à quelques mètres du bord du cratère. Le spectacle de nuit était extraordinaire : l’activité incessante de la lave incandescente se manifestait par d’interminables mouvements de convection, constamment percés de fontaines de lave de quelques dizaines de mètres, créés par les gaz. 

Il n’en existe que deux au monde en dehors de celui-ci, le Nyragongo dans la République démocratique du Congo et le Kilauea dans les îles Hawaï. En raison de son isolement et sa proximité avec l’Érythrée, l’Erta Ale n’est étudié que depuis la fin des années 1960, époque où s’est formé l’actuel lac de lave. Depuis, son niveau n’a cessé de remonter : en 1971, il n’était qu’à une dizaine de mètres du bord des cratères ; en 1972 jusqu’en 1974, il a débordé en noyant le plancher de la caldeira sous des coulées de lave avant de redescendre sur 100m.

Nous y sommes restés une partie de la nuit, faisant dans un sens et dans l’autre le tour de cet extraordinaire cratère. De temps en temps, des projections de lave atterrissaient à nos pieds, déjà refroidies.

Le lendemain matin, nous avons fait le tour du cratère. Le spectacle était tout aussi magnifique.

Début 2019, le volcan a modifié son activité, et la lave est descendue à un niveau d’environ cent mètres en dessous de la caldeira, et la vue dans le cratère est le plus souvent masquée par des fumerolles très abondantes.

D’autres paysages du rift sont uniques au monde : ceux de Dallol, un site géologique situé en altitude négative, à – 82m, dans le désert du Danakil proche de l’Erta Ale. Ce site volcanique résulterait de l’explosion d’une importante chambre magmatique de la vallée du Grand Rift.

On peut y admirer des paysages de sources chaudes acides, petites montagnes de soufre, colonnes de sel, petits geysers gazeux, vasques d’acides isolées par des corniches de sel et concrétions d’évaporites, de soufre, de chlorure de magnésium, de saumure et de soude solidifiée. Les couleurs liées au soufre, l’oxyde de fer, les sels, sont magnifiques : blanc, jaune, vert et rouge ocre. Au bord des lacs de magnésium, des cadavres d’oiseaux indiquent la toxicité des masses liquides. Plus loin, on parcourt des paysages de cristallisations, fleurs de soufre, piliers de sel, geysers, cheminées de fées de couleurs roses ou bleu.

On y trouve aussi des lacs toxiques où viennent mourir les oiseaux assoiffés qui boivent le liquide.

Lac toxique

Le lac Karoum de Dalol

Le sel est encore exploité par les Afars. On y voit des caravanes de dromadaires chargés de sel transporter cette marchandise jusque sur les hauts plateaux.

Selon Wikipedia, Dallol n’est pas encore classé parc national, seul son isolement le protège des visiteurs, à cause des tensions entre l’Éthiopie et l’Érythrée. Plusieurs prises d’otages de touristes occidentaux dans les environs du village d’Ahmed Ela, le village le plus proche de Dallol ont été faites, qui expliquent qu’on ne peut visiter Dallol, tout comme l’Erta qu’accompagnés de gardes armés.

Enfants d’une tribu afar

Deuxième voyage , 2019 : les hauts plateaux d’Abyssinie

Les hauts plateaux abyssins, également appelés hauts plateaux éthiopiens ou trapps d’Éthiopie, correspondent au deuxième voyage, effectué en 2019. Ces plateaux forment une région montagneuse accidentée, formés d’un empilement de coulées de lave vieilles de trente millions d’années accumulées sur des milliers de mètres d’épaisseur à l’aplomb d’un point chaud.

Ce deuxième voyage en Éthiopie avait pour but, entre autres visites de lacs et de villages d’Addis Abbeba à Axoum, incluant la visite de plusieurs sites archéologiques (le palais de la reine de Saba tout de même !), les églises enterrées de Lalibela, le lac Tana, puis de faire un trek de 6 jours sur les hauts plateaux du nord, dans le parc national de Simien. C’est essentiellement ce que nous avons vu au cours de ce trek que je vais décrire.

Ce parc a été inscrit en 1978 sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco, afin d’y préserver ou de reconstituer l’extraordinaire diversité en faune et en flore de cette partie de l’Afrique de l’Est. Ses paysages sont spectaculaires en raison des contrastes entre pics, canyons et profondes vallées, créés par une érosion massive de plusieurs millions d’années.

Accumulation de coulées de lave dégagées par l’érosion sur 30 millions d’années. Photo Patrick Lenoble
Hauts plateaux éthiopiens. Photo Patrick Lenoble
Photo Patrick Lenoble

Elles sont considérées comme rivales du Grand Canyon du Colorado. Par ailleurs, la biodiversité y est extraordinairement élevée. On estime ainsi le nombre de plantes supérieures à 6500-7000 espèces, dont plus de 800 endémiques selon l’IUCN. L’endémisme concerne aussi la faune : 22 espèces de mammifères sur 242 y sont endémiques par exemple.

Ce parc somptueux a été créé pour sauver ce qui reste à sauver de ce patrimoine unique de l’Afrique de l’Est. Il inclut pour partie une zone humide entre 1800 et 2500m, à l’origine colonisée par une forêt sempervirente d’altitude, dont il reste quelques reliques. On peut y observer le fourré éricoïde, qui possède un épais tapis de mousses résistantes à la sécheresse, et est donc extrêmement sensible aux feux allumés durant des millénaires par les pasteurs.

Par ailleurs, il existe encore des forêts de large surface, récentes, issues d’anciens pâturages. Parfois denses, parfois plus ouvertes, elles sont actuellement protégées des dents du bétail.

Forêt de pente de recolonisation. Photo Patrick Lenoble

Au-delà de 3500 et jusqu’à 4300m, survient la formation à Lobelias géants, jusque vers 4 300-4 350 m. Les lobélies sont endémiques des hautes montagnes africaines : ce sont en fait des herbacées qui ont retrouvé leur capacité à faire de la lignine afin de supporter les variations de température, les bombardements UV et la sécheresse de l’air. Ils possèdent un tronc unique peu ramifié, généralement recouvert d’une gaine épaisse de feuilles mortes et terminé par une énorme rosette de feuilles, de 50 cm à plus d’un mètre de large, d’où jaillit une dans leur vie, une gigantesque inflorescence terminale.

Les lobélies parsèment le paysage d’altitude, qui est largement façonné par les feux des hommes. sinon, ils seraient bien plus nombreux

Parmi les animaux hautement symboliques de ce parc on peut citer le babouin gélada (Theropithecus gelada), le loup d’Abyssinie (Canis simensis), et le bouquetin d’Abyssinie (Capra walie). Les géladas sont les ultimes représentants des Theropithecus, dont le genre s’étendait il y a des millions d’années de l’Afrique du Sud à l’Inde et à l’Espagne. Mais leur nombre n’a cessé de reculer avec l’apparition de l’espèce humaine, qui a probablement chassé ces primates, mais aussi la concurrence avec les babouins, plus résistants aux modifications du climat et très récemment, la démographie galopante de l’humanité dans ce pays. Actuellement les géladas ne trouvent suffisamment de pâturages pour s’alimenter qu’en haute altitude dans les zones préservées. Observer de très près les bandes de ces beaux primates à large crinière et tache orange sur le ventre, cherchant des racines ou baillant à notre passage, est inoubliable.

Les géladas se réunissent le soir dans les falaises, à l’abri des prédateurs. Photo Annik Schnitzler

Tout aussi spectaculaire, l’observation du loup d’Abyssinie au milieu des prairies hautes à lobélies. Ce canidé d’allure intermédiaire entre un loup et un renard ne subsiste en Éthiopie qu’environ 400 à 450 individus (100 à 150 au Nord du Rift dont 75 dans le Parc du Simien, 220 à 300 dans les montagnes du Balé), confinés en haute altitude. C’est le canidé le plus menacé au monde, victime de l’extension de l’agriculture et du pastoralisme, mais aussi des maladies comme la rage, l’hybridation avec les chiens domestiques et les persécutions humaines.

Un loup d’Abyssinie en haute altitude, Photo Patrick Lenoble

. Quant au bouquetin d’Abyssinie a été possible en très haute altitude, proche du deuxième sommet de l’Ethiopie, pour ceux qui ont pu y arriver, et au sein de falaises vertigineuses.

Un jeune bouquetin. Photo Patrick Lenoble

D’autres belles observations ont été celles d’une vingtaine de vautours spectaculaires, le gypaète barbu (Gypaetus barbatus) tournoyant dans une gorge profonde…

Vols de gypaètes barbus. Photos Patrick Lenoble

…ou du superbe grand corbeau africain, très présent autour des campements.

Grand corbeau africain, un magnifique oiseau. Photo Patrick Lenoble

Des paysages fortement dégradés

Les paysages des hauts plateaux sont défrichés depuis l’aube des temps en raison de l’origine volcanique des sols, très propices à l’agriculture. Mais ces dernières décennies, ces paysages subissent une pression encore accrue de déforestation en conséquence d’une démographie galopante de l’Éthiopie, qui, avec ses 100 millions d’habitants, est le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique.  L’expansion immodérée de l’agriculture, du pastoralisme, des coupes de bois et autres usages excessifs, provoque de sévères érosions des sols. En 1980, seulement 0.2% des forêts subsistait dans le pays. 

Érosion des sols. Photos Patrick Lenoble.

Au cours du trek, les rencontres amicales avec les habitants ont été fréquentes en passant dans les villages. La fameuse cérémonie du café nous a été faite plusieurs fois. S’il semble logique que certains de ces villages soient déportés plus bas au sein du parc, en raison des dégâts considérables des troupeaux sur les hauteurs, d’autres sont si typiques et si bien intégrés, qu’il serait vraiment regrettable qu’ils disparaissent.

Ces jeunes filles pilent le café avant de le bouillir. Photo Patrick Lenoble

Les églises de Lalibela

Je termine ce récit par quelques photos prises des églises rupestres d’Éthiopie. Ces églises sont de toute beauté, et célèbres dans le monde entier, car elles ont été taillées dans la roche volcanique d’un bloc. Elles se trouvent dans la ville de Lalibela. Elles auraient taillées au début du XIIIe siècle sur l’ordre du roi Gebre Mesqel, afin de permettre aux chrétiens orthodoxes d’avoir leur propre Jérusalem, car es pèlerinages vers la ville sainte étant de plus en plus difficiles à cause de l’expansion de l’islam.

Eglise enterrée de Lalibela
Photo Patrick Lenoble
Photo Patrick Lenoble

Une troisième visite en Éthiopie pourrait être celle des forêts à caféier, car cette plante a toute une histoire !

Ce sera pour quand les conflits armés se seront apaisés.

Références

: T. Stévart, G. Dauby, P.P. Lowry II, A. Blach-Overgaard, V. Droissart, D.J. Harris, B.A. Mackinder, G.E. Schatz, B. Sonké, M.S.M. Sosef, J-C. Svenning, J.J. Wieringa, T.L.P. Couvreur. A third of the tropical African flora is potentially threatened with extinction, Science Advances, 20 novembre 2019. DOI : 10.1126/sciadv.aax9444

Cet article a 6 commentaires

  1. breton

    Ethiopie.
    Article digne d’un mauvais catalogue d’une agence de voyage.
    En outre, dépassé par les événements récents , et aucune bibliographie.
    Dommage, c’est un très beau pays.
    Cordialement

    1. Annik Schnitzler

      ce serait bien que vous puissiez m’éclairer ?

      1. BRETON

        Pour vous répondre,
        parmi une bibliographie très abondante, je vous conseille de lire:
        Guillaume BLANC “L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Eden africain”, Flammarion, 2020.
        L’auteur est un bon spécialiste des parcs naturels en Ethiopie.
        Bien cordialement à vous et surtout bonne année.
        Jean-François Breton

        1. Annik Schnitzler

          oui merci
          je vais revoir cet article, à mon retour de vacances !
          bien cordialement

  2. Habon

    Je bien aimé cet document

  3. Habon

    Je vais revoir cet article

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