Les forêts des Cévennes
Les paysages forestiers des Cévennes sont peu fournis en raison de défrichements considérables depuis des siècles. Ils subsistent sur les pentes rocheuses de granites, schistes ou calcaires où ils s’étendent d’ailleurs activement depuis l’arrêt des pratiques pastorales au milieu du XX e siècle. Ces forêts abritent des centaines de grottes ou abris qui ont été occupés par l’homme durant des millénaires. Ces grottes sont en général connues et étudiées par les spéléologues, très actifs dans les Cévennes et le piémont. On connait aussi leur histoire et leur préhistoire. Actuellement elles ne sont plus utilisées, et la plupart sont enfouies dans la végététion conquérante.
J’ai eu plusieurs fois la chance d’en visiter quelques unes avec mon ami Michel Wienin, spéléologue et naturaliste éminent. Celles qui ont abrité les camisards sont perdues dans des forêts denses, et seulement accessibles par de petits sentiers ou par escalade.
La guerre des Camisards (1702-1710)
La guerre ou révolte des camisards oppose violemment, principalement entre 1702 et 1704, quelques centaines de paysans et d’artisans des Cévennes et du piémont cévenol aux troupes royales de Louis XIV. Il s’agit d’un épisode particulièrement douloureux de la résistance huguenote par ce qu’on a appelé les Camisards, selon ce terme occitan camisa, chemise que portaient les révoltés. Cette période a vu se perpétuer des crimes révoltants pour forcer les protestants à la conversion à la religion d’État catholique : temples démolis, enfants enlevés, maisons pillées et brûlées par des soldats qui violent et qui rançonnent leurs habitants. Les traques, les prisons et les galères ont continué durant plus d’un siècle, de la révocation de l’édit de Nantes en 1675 à la Révolution française. Mais seul l’épisode des camisards a été d’une rare violence, dans tout un siècle d’une résistance plutôt pacifique, où les protestants s’assemblaient par centaines. Ci-dessous, un rassemblement de protestants dans un lieu secret pour célébrer leur foi.
Les camisards ont occupé les maisons ruinées des garrigues et des hauts plateaux ainsi que les nombreuses grottes cachées au flanc des montagnes ou en forêt afin d’échapper aux massacres.
Pour qui s’intéresse à ces événements qui ont marqué le XVIIe et XVIIIe siècle, je conseille de visiter le Musée du Désert à Mialet, qui retrace l’histoire de la révolte huguenote. L’épisode des Camisards n’a pas abouti, puisque la tolérance religieuse n’a été effective qu’à la révolution. Elle a cependant marqué l’histoire de notre pays, d’une manière peu glorieuse.
Ce musée se trouve dans la demeure de Pierre Laporte, dit Rolland, né en 1980 et un des chefs emblématiques de la révolte huguenote. Sa mort en 1704 suite à une trahison, a marqué la fin de la révolte, malgré quelques sursauts jusqu’en 1710. L’autre chef camisard, Jean Cavalier, dépose les armes et quitte la France avec sa troupe en 1704. Il meurt près de Londres en 1740.
On y voit la structure d’une maison cévenole et objets de la vie locale à cette époque. La cache de Rolland se trouvait sous un plancher sur la photo 3, dans l’armoire.
Ci-dessous la cache de Rolland, très étroite, sous le plancher.
Visite des grottes en septembre 2022 et 2024
Les grottes de ces régions sont connues et visitées par les habitants depuis des siècles, parfois des millénaires, puisque certaines d’entre elles ont livré des témoignages d’habitats datant du Néolithique. La plupart sont connues des historiens et des spéléologues. Mais elles restent discrètes et ne sont guère visitées sauf par des personnes averties. Ce sont quelques-unes de ces grottes que j’ai eu la chance de visiter avec Michel Wienin, éminent spéléologue et naturaliste.
La grotte de Soustelle, commune de Soustelle (Gard)
Le nom attribué à cette grotte est celui de son propriétaire, Silvain, qui habitait dans une maison juste à l’entrée de la grotte, et se situe à côté d’un ruisseau affluent secondaire du Gard, près de Soustelle, dans un vallon étroit et boisé.
Nous devons pour l’atteindre, traverser le Galeizon, qui fait partie des belles rivières sauvages des Cévennes, par un superbe pont du XVIIIe siècle, nommé « pont des camisards ». Il a été construit sous ordre de Louis XIV dans le cadre de la construction d’un réseau routier afin de quadriller les Cévennes et éviter une reprise des insurrections des protestants contestataires. A cette époque, toutes les cavités avaient aussi été fermées pour éviter qu’elles leur servent de refuges.
Proche de ce pont, dans la rivière appelée Rieu-Sec (Rieusset sur IGN), se trouve un barrage de castors. Le bassin du Gard a été en effet le refuge de cette espèce au plus fort de sa persécution. C’est à partir de cette population relictuelle du Gard, qu’on a pu en partie (avec celles de la Camargue et de la Durance) repeupler d’autres régions de France.
La grotte Silvain, toute proche, avait été fermée en 1730, puis rouverte au XIXe siècle par le propriétaire, qui souhaitait en faire une cave pour faire mûrir les fromages. Cela explique que l’entrée soit marquée par une construction en pierre, et à côté de la maison, abandonnée depuis des années.
Quelques images de cette belle grotte riche en concrétions et en coulées :
Les points marquants sont : près de la sortie, des gravures du XIXe siècle, effectuées par les ascendants directs du propriétaire, montrant un fusil, et une colombe avec deux rameaux de laurier, symboles d’un mariage.
La grotte de la Madeleine, commune de Gardon, Gard
Située sur une falaise à 10m au-dessus de la route entre Mialet de St Jean du Gard, elle est constituée de galeries sur environ 150m. Cette galerie a été recoupée par l’érosion qui a raboté le versant et dont il ne reste plus qu’une partie creusée dans le calcaire urgonien. C’est une grotte non active, sans élément pour la creuser, car plus aucun écoulement sauf la pluie. La forme ronde de l’entrée est liée à la gélifraction au cours du Quaternaire.
C’est une grotte abri bien connue, située à côté d’une voie antique Uzes-Arles. A l’époque la grotte était plus proche d’une route (juste 1 à 2m au-dessus). Cette route a été élargie et creusée au cours de l’histoire. Au XVIIIe siècle, elle était à 3m en dessous. Le dernier aménagement date d’il y a 30 à 40 ans, et la route est à présent à 5-6m en dessous. Trop proche de cette route, elle ne pouvait constituer un abri pour les camisards, mais servait de dépôt d’armes, de nourriture et d’hôpital et était fermée pour cela par un mur à l’entrée. Un mur fermait aussi une galerie latérale. Les traces de fumée sont nombreuses dans cet abri, sans doute suite à des incendies volontaires
La grotte des camisards, commune d’Euzet au sud du mont Bouquet
La grotte des camisards se situe dans la commune d’Euzet au sud du mont Bouquet, dans un bois qui faisait partie des relais pour les camisards entre Uzes et Nimes, grâce aux nombreuses grottes. La grotte dite des Camisards est une des plus célèbres d’entre elles. Dans ces grottes, les camisards accumulaient des sommes considérables d’or et d’argent, de fusils, pistolets, poudre, chargés sur des mulets. Cette grotte servait de réserve et d’hôpital pour un des plus célèbres chefs huguenots, Jean Cavalier et ses troupes. Elle a été détruite par les soldats du marquis de Lalande en avril 1704 après une bataille décisive à Naces. Les camisards s’y étaient réfugiés après la bataille. Les soldats, menés par une vieille femme du village proche, tuèrent les réfugiés et détruisirent la grotte par la dynamite. Il n’en reste plus qu’une partie, enfouie dans la végétation.
On y accède par un joli petit sentier qui serpente dans la garrigue, constituée par du chêne vert, de l’arbousier (en fruit en septembre), de l’érable de Montpellier, du pistachier et des lianes (salsepareille, clématite).
La grotte est également entourée d’une forêt de chênes verts, qui s’est reconstituée après que le pâturage et les coupes de bois ont été stoppés après 1950.
L’intérieur de la grotte ne correspond donc pas à sa taille originelle. On voit aussi qu’elle a été creusée artificiellement, par les nombreuses traces d’outils plutôt grossiers (preuve d’un substrat tendre de craie), sans doute avant l’occupation par les camisards, mais aussi peut-être en partie par eux. Sur les parois de l’abri, on peut voir des taches brunes qui correspondent aux tanins déposés par les racines de chêne qui s’infiltrent dans la grotte, drainant avec elles l’eau de pluie. Ces tanins colorent aussi certaines parties des parois, en jaune ou en rouille du plus bel effet. Des racines de chêne apparaissent en effet sur le plafond, provenant de la surface.
Nous avons pu observer un pélobate persillé (Pelodytes punctatus, liste rouge des amphibiens en France métropolitaine) et deux chauve-souris de Grand rhinolophe.
Grottes du mont Bouquet
Les falaises du mont Bouquet, hautes de 300 à 600m sur sa partie sud-ouest, s’élèvent des plaines voisines telles une forteresse. Du temps des Celtes, plusieurs oppidae y ont été construit. Les pentes sont boisées et les grottes nombreuses sur ses flancs. Plusieurs ont abrité les camisards et ont fourni des lieux d’assemblées secrètes.
Nous avons parcouru les grottes de Payan, qui sont perchées au-dessus du fond des vallées, sous la route du col du Bourricot.
La grotte n° 3 est la plus proche de la route. Cette grotte a livré des indices d’une présence humaine depuis le Néolithique. Les camisards s’en servaient comme abri relai, en se cachant dans les forêts sous le mont Bouquet. Le plafond est d’une jolie couleur jaune, due à des écoulements de matière organique à partir de la surface. Une chauve-souris s’y accroche, de même qu’un papillon Meganola strigula. Photo 3: aspect intérieur de la grotte
Au sol, se trouvent plusieurs stalactites coupées, tronçonnées à plat, pour poser un vase qui récolte l’eau goutte à goutte. Un moyen d’obtenir de l’eau en période estivale ! Sur ces photos, Michel Wienin montre la stalactite coupée en expliquant le procédé. Il remarque un début de nouvelle stalactite sur ce tronçon depuis qu’il n’est plus utilisé.
Un peu plus loin, une autre grotte, haut perchée sur des rochers, constitue fait un remarquable poste d’observation. Il y a quelques aménagements comme une rigole et des cuvettes, ainsi qu’un mur.
La grotte tunnel, au bout de ce sentier haut perché, est la plus spectaculaire. C’est une galerie creusée en régime noyé à fort débit, au cours du Tertiaire, par un processus qui a duré des millions d’années. Sa forme est dite en trou de serrure : une large ouverture, avec en bas une petite galerie, formée lorsque l’eau n’a atteint que la base de la grotte. Bien gardée par des arbres aux deux entrées, elle est presque invisible dans le flanc de la falaise.
La grotte des Camisards du mont Bouquet est la plus difficile à atteindre. Il faut descendre sous le col de Bourricot le long d’un éboulis instable en raison d’une forte pente avec une corde, puis marcher sur un sentier très discret dans la forêt de chênes verts, en pied de falaise. De nombreux déchets lancés du haut du col parsèment cette jolie forêt dont une voiture !
Les grottes sous le col de Bourricot se situent sous la route.
Arrivés à mi pente, on traverse la forêt de chênes verts accrochée aux falaises. Certains ont conservé les éboulis dans leurs racines, d’autres se sont glissés dans les fissures ou rampent au sol.
La première grotte se trouve à quelques centaines de mètres dans cette forêt. Elle comprend à l’entrée, un mur en ruine, est riche en diverticules. Une cavité au-dessus du mur a servi de sépultures au cours du Néolithique.
Plus loin se trouve une deuxième grotte, comprenant au-dessus de curieux enfoncements naturels :
En conclusion : de belles découvertes de nature et de culture locale dans ce beau pays des Cévennes
Références
Ducasse A. 1991 La guerre des camisards 1702-1704 Publications du musée du désert
Viala C. 2011 Grottes et caches camisardes. Nouvelles Presses du Languedoc.
Remerciements
Un grand merci à Michel Wienin et à Damien Saraceni pour la relecture des textes et la mise en page