Une visite printanière à Rhodes, Grèce

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Rhodes, la plus grande île de l’archipel du Dodécanèse, s’étend sur 78km de long et 38km de large, entre la mer Égée et la Méditerranée (données GPS : 6° 10′ 00″ N, 28° 00′ 00″ E)

Sur le plan biogéographique, cette île se situe davantage en Asie qu’en Europe, car elle n’est qu’à 18km de l’Anatolie. Elle correspond donc à l’élément le plus oriental des îles du sud de la mer Egée.

Son climat est de type méditerranéen aride avec hiver frais et humide, qui se ressent encore lors de noter visite, fin mars à début avril 2022, quand nous avons visité l’île ! En mars, il n’y avait guère de touristes encore.

Sa géologie consiste en sédiments lacustres récents plio-pléistocènes, les parties les plus hautes de l’île étant formées de calcaire compact de l’ère secondaire.

Vue aérienne de Rhodes ©dronepicr

Son cœur est formé de trois blocs montagneux dont le plus élevé, le mont Attavyros, atteint 1215 m.

Rhodes et son histoire

Rhodes compte actuellement près de 120 000 habitants, dont la moitié vit dans la ville de Rhodes située à l’extrême pointe Nord.

Cette île est surtout célèbre pour le colosse, qui fut une des 7 merveilles du monde antique. Le colosse de Rhodes avait été érigé en 292 av. J.C. . Cette statue effigie du dieu tutélaire d’Hélios, dieu solaire, haute de 30m fut renversée quelques décennies plus tard par un séisme. On la situait à l’entrée du port, où se trouvent actuellement deux daims en bronze, mais cette théorie n’est plus d’actualité.

On ne saurait oublier l’histoire du colosse en accostant sur l’île, car la statue est reproduite à des centaines d’exemplaires dans les boutiques de la ville, et parfois représenté par des statues de quelques mètres de haut !

Les représentations du colosse sont une valeur touristique sûre !
Un daim et une daine, emblèmes de Rhodes, gardent l’entrée du port de Mandraki

Rhodes, c’est aussi la célébrissime ville médiévale édifiée par les chevaliers expulsés de Chypre. L’île de Rhodes fut en effet, à partir de 1309, gouvernée par les chevaliers de St Jean de Jérusalem, qui y firent construire les édifices les plus notables, qui résistèrent aux assauts du sultan d’Egypte en 1444 et de Mahomet II en 1480. Les Chevaliers partirent pour Malte en 1522, chassés par les troupes de Soliman le Magnifique.

Les remparts de Rhodes ont été construits à partir de la forteresse byzantine préexistante. Ces remparts font plus de 4 km de long, s’élèvent à 8-10 m de haut, et atteignent par endroits jusqu’à 12 m d’épaisseur.

L’intérieur de la ville médiévale entièrement pavé, est d’une grande beauté, et son musée établi dans l’ancien Hôpital des chevaliers détient quelques sculptures antiques célèbres, dont Aphrodite sortant du bain et une tête d’Hélios, le dieu solaire.

Rue pavée du vieux Rhodes

Le rattachement à la Grèce ne date que de 1948. Tous les 25 mars depuis cette date a lieu un superbe défilé avec costumes traditionnels à l’extérieur de la ville, sur le port.

Fête nationale à Rhodes

La période italienne avant cet événement a laissé un souvenir sur l’île : la propriété (villa de Vecchi) où projetait de finir sa vie Benito Mussolini, édifiée en 1936 au pied de la montagne Profitis Elias. Le Duce n’y est en fait jamais venu, et elle a été utilisée par le gouverneur des possesseurs italiennes de la mer Egée, Cesare de Vecchi. Cette villa a été pillée, et le gouvernement a même tenté récemment de la vendre, apparemment sans succès.

Ce triste souvenir de la guerre est enfoui eu milieu des cyprès sur une montagne ensauvagée

La nature à Rhodes

La visite de Rhodes était aussi d’ordre naturaliste. Car l’île recèle quelques forêts rares, disparues du reste de l’Europe par l’action répétée des périodes froides. Elle est aussi très arrosée, grâce à l’étendues de ses montagnes, et possède ainsi de nombreux cours d’eau. Enfin, le printemps nous offre quelques magnifiques prairies et de friches fleuries : mandragore, chrysanthème sauvage, iris, ophrys…

La mandragore (Mandragora officinarum) est fréquente dans les friches. Cette plante est célèbre pour sa toxicité et son pouvoir hallucinogène

Une orchidée sauvage (Ophrys omegaifera) d’une grande beauté, fleurissant près du grand lac de Rhodes

La renoncule des fleuristes, Ranunculus asiaticus : cette belle renoncule rouge sang fleurit abondamment à Rhodes au printemps.

De magnifiques chrysanthèmes sauvages envahissent les friches et les bords de route

La Grèce : une zone refuge pour la flore tempérée chaude

Si les forêts de la Grèce méridionale, du Péloponnèse et des grandes îles ne sont pas très développées en raison de la pression humaine forte depuis des millénaires, elles recèlent encore quelques relictes* végétales témoins des périodes chaudes de la fin du Pliocène. Ainsi, la Crète détient, avec quelques îles du Dodécanèse, un palmier (le palmier de Théophraste), qui vit le long des cours d’eau, et, encore plus rare, quelques pieds d’une espèce proche de l’orme, le zelkova. Cela a été également le cas à Rhodes, ainsi que l’a révélée la flore fossile trouvée dans des dépôts marins dans la baie de Lindos, comprenant plusieurs espèces de conifères (cèdres). Des espèces présentes il y a 2 millions d’années, Rhodes a hébergé des espèces aimant chaleur et humidité : le Cèdre, les derniers Taxodiacées (famille à laquelle appartient le séquoia, actuellement uniquement présent en Chine et aux Etats Unis), le Cyprès, le Pin des Canaries, le Liquidambar et le Zelkova. De toutes ces espèces, il ne reste que le cyprès et le liquidambar. L’abondance actuelle, tout à fait étonnante, du Cyprès (Cupressus sempervirens) dans l’île pourrait s’expliquer par le fait qu’il aurait occupé très vite les sites qu’occupaient les espèces disparues, éliminées par les glaciations.

*Relicte: espèce antérieurement plus répandue, dont la persistance n’a été possible que grâce à l’existence de conditions stationnelles favorables, par exemple topoclimatiques

Les forêts

Les forêts sont bien présentes sur les hauteurs de Rhodes, en dehors du plus haut sommet, complètement dénudé. Ces forêts sont largement dominées par le Pin brutia et le Cyprès et, dans une moindre mesure, par le Chêne kermès (Quercus coccifera).

Ces forêts dans les vallons et les parties les plus élevées sont les plus étendues. Ce sont pour l’essentiel des forêts de reconquête après abandon des pâturages. Le pin brutia est très présent dans les îles méditerranéennes, où il reconquiert les terres abandonnées par les usages du passé, en compagnie du cyprès (Cupressus sempervirens), comme d’autres îles de la Grèce.

Les forêts recolonisent les massifs montagneux après abandon des pâturages. Sur cette photo, on voit clairement la colonisation spontanée des conifères (ici le pin) partant à l’assaut du sommet de l’île, le Mont Attavyros, qui a été entièrement dénudé par le déboisement et l’érosion.

Interrogations autour de l’histoire du cyprès

D’autres questions surgissent pour le cyprès qui accompagne le pin partout dans sa reconquête des milieux, quoique à des densités bien plus modestes. Le cyprès est présent dans plusieurs îles du sud de la Grèce (Crète, Samos, Rhodes, kos, Chypres, ainsi qu’au Proche Orient, mais il est rare, éliminé par les activités humaines. Cette espèce est considérée en danger d’extinction par l’Union internationale de protection de la nature.

Mais ici, à Rhodes, il coiffe les sommets boisés en peuplements purs, comme par exemple près de Tsambika, ou au sommet du mont Profitis Elias.

Cyprès au sommet du mont Profitis Elias

La forêt est très sombre avec quelques gros arbres, qui coiffent jusqu’au rocher ultime de ce massif. On retrouve aussi le cyprès colonisant les calcaires durs et arides des montagnes actuellement totalement déboisées.

Le cyprès et l’homme

Tout comme l’if (Taxus baccata) dans les régions tempérées de l’Europe, le cyprès exerce sur les sociétés humaines un attrait indiscutable. Sa force symbolique est fort ancienne, et liée à la mort et la résurrection, sans doute grâce à son feuillage sombre, sa sempervirence (capacité à rester toujours vert), et sa résistance à la décomposition. Il était ainsi utilisé pour son bois imputrescible, pour ses propriétés médicinales, et sa beauté. En fait, aucun autre arbre n’a été sujet à autant de vénération que le cyprès dans les régions méditerranéennes ! Et cela est particulièrement évident à Rhodes : on les trouve autour de tous les sanctuaires, où il atteint de très belles dimensions.

Sanctuaire de Dimilya

Dans la plupart des cimetières, il est si abondant qu’il forme une véritable canopée au-dessus des tombes.

Cimetière dans la vieille ville de Rhodes

Mais le cyprès est aussi planté dans les villes, le long des allées, en bordure de maison.

Allée de Rhodes

L’abondance des cyprès dans les zones urbanisées a sans doute beaucoup aidé le cyprès à recoloniser les espaces forestiers en reconquête.

Les forêts à Liquidambar orientalis

Située à 26 km au sud ouest de la ville de Rhodes, et à environ 5km du village de Théologos, cette forêt s’étend dans un vallon étroit (Petaloudes) irrigué par la rivière Pelekanos.

Il s’agit d’une forêt relique d’une valeur inestimable. Ainsi, à Rhodes, se trouve une des plus précieuses espèces végétales de l’Europe : le liquidambar ! (nom issu à la fois du latin liquidus (liquide) et de l’arabe ambar (ambre), qui signifie ambre liquide par allusion à la sécrétion de l’arbre). Ces arbres sécrètent en effet, lorsqu’ils sont blessés en effet une résine très odorante, riche en acide cinnamique, destine à les protéger des attaques d’insectes ou de champignons pathogènes. Les Anciens en faisaient un baume, le styrax (en latin, styrax signifie baume odorant).

Cette espèce se développe dans un vallon profond, riche d’un merveilleux cours d’eau de montagne, en compagnie du platane oriental.

Le liquidambar est un arbre de l’hémisphère nord, qui a occupé une place écologique importante en Europe au cours du Tertiaire, le long des cours d’eau. Sous l’influence des froids rigoureux du Quaternaire, il disparaît d’Europe, pour ne subsister finalement de nos jours que dans certaines plaines alluviales de Turquie …et à Rhodes, dans un seul vallon, le long du ruisseau, où il ne se reproduit guère (pâturage par les chèvres ?). En revanche, j’ai noté la présence de plusieurs petits liquidambars poussant le long de la route voisine !

Tronc poussant à l’intérieur du tronc d’un vieux liquidambar

La morphologie des gros liquidambars est tout à fait remarquable : à l’intérieur de ces troncs souvent creux pousse un deuxième tronc ! Ces individus sont donc très plastiques, ce qui est bien utile lorsqu’on pousse le long de rivières à crues parfois très dynamiques.

Jeunes liquidambars poussant le long de la route du vallon aux papillons

Mais l’histoire extraordinaire du liquidambar est occultée dans la littérature touristique de l’île par celle d’un papillon nocturne aux couleurs de feu (Panaxia quadripunctaria) qui envahit le vallon dès la fin de juin jusqu’en septembre, par milliers. La présence de ces papillons explique le nom de la vallée (vallée des papillons), et son appartenance au réseau Natura 2000 (site code: GR4210006).

Cette espèce, nocturne, est présente dans bien des sites de la Grèce, et aussi de Rhodes, dans les vallons étroits et humides, mais il ne présente (ou du moins présentait, avant le tourisme de masse qui les perturbe) une abondance aussi remarquable que dans ce vallon. On attribue cette concentration étonnante à la présence de la résine des liquidambars. Y aurait-il une analogie odorante entre les émissions végétales des liquidambars, et les phéromones émises par les mâles papillon pour attirer les femelles et stimuler l’accouplement ? (Les phéromones, sont des messagers chimiques qui permettent la communication entre les animaux, et affectent leur comportement ou leur physiologie).

Les vallons inondables à platane oriental

Le platane oriental (Platanus orientalis) occupe tous les vallons non défrichés des montagnes de Rhodes, et ce jusqu’à la mer. Cette espèce résiste très bien aux crues parfois violentes des cours d’eau méditerranéens. La Grèce est aussi riche en très gros platanes, dont on peut voir les photos spectaculaires sur internet. À Rhodes, quelques platanes monumentaux existent près de certains monastères, comme à côté d’une source sacrée, à San Nicholaus, émouvante chapelle du XVe siècle, ou devant le monastère St Nectaire (Archipolis) où se trouve un exemplaire monumental de 3m50 de circonférence, entièrement creux dans lequel on peut s’abriter !

Vieux platanes près d’une source sacrée, St Nicholaus

Les buissons à laurier rose s’étendent sur des surfaces importantes dans toutes les parties alluviales basses de l’île. À cette période de l’année, les rivières sont bien fournies en eau, une eau propre et limpide, qui s’écoule partout par les profonds vallons qui creusent les montagnes. Ces rivières présentent des lits majeurs larges d’une grande naturalité, avec dépôts de sables et de bois mort, chenaux divagants. J’ai été surprise de voir que le cyprès pouvait gagner ces milieux instables, comme on peut le voir sur la photo ci-dessous. Sur l’un d’eux s’est même accrochée une vigne sauvage !

Lauriers roses en milieu alluvial

On m’avait dit que la vigne sauvage, devenue rare depuis une centaine d’années dans toute son aire de répartition suite à l’expansion des maladies américaines dont le phylloxéra, vivait encore en Rhodes. J’ai eu la chance d’en découvrir une, accrochée à ce cyprès. Toutefois, seule une analyse génétique pourrait déterminer sa véritable identité : vigne sauvage ou domestiquée échappée ?

A quelques dizaines de mètres de la mer, apparaissent des formations à tamaris, qui tapissent les bords, souvent secs, des rivières, notamment sur la côte orientale, dévolue au tourisme de masse. En revanche, du côté occidental, bien moins hospitalier et où les villages sont rares et le tourisme limité, j’ai eu la surprise de voir qu’il subsistait de véritables petites forêts de genévrier (Juniperus oxycedrus ssp macrocarpa) qui recouvrent les sables dunaires jusqu’à quelques mètres de la mer !

Formation à genévriers sur la côte sud

Certains de ces genévriers sont de véritables monstres tapis sur les dunes, s’étendant de manière horizontale sur de larges surfaces. Un rescapé des forêts d’origine, de taille impressionnante (15m de haut, un diamètre de plus de 4m avec deux troncs divisés à la base) se trouve proche de cette forêt. Il aurait au moins 5 siècles, selon une estimation par un spécialiste en dendrochronologie.

Genévrier pluricentenaire, sud de l’île

Le daim

Nous avons eu la chance d’observer les fameux daims de Rhodes, dans la partie sud de l’île, moins habitée. Un mâle et trois femelles, puis des femelles seules, pâturaient dans une prairie, mais se sont dispersés à notre passage. Des traces de daim sont aussi visibles le long des rivières arrivant à la mer.

Traces de daim, sud de Rhodes

Le daim est l’emblème de l’île, car il est intimement lié à son histoire. De nombreuses légendes ont tenté d’expliquer la présence de ce mammifère sur l’île, mais aucune n’est remontée assez loin dans le temps, l’attribuant aux temps historiques. Mais en fait, le daim aurait été introduit par les populations néolithiques d’il y a 8000 ans, à partir de populations d’Anatolie. L’introduction de ce daim dans l’île et dans des îles voisines a permis de préserve un patrimoine génétique très ancien, qui a disparu des populations sauvages d’Anatolie. La population de Rhodes doit cependant beaucoup à l’homme, car elle n’aurait pu survivre durant des millénaires sans des introductions ultérieures, que à partir des autres îles de la mer Egée aux cours des siècles suivants, jusqu’à récemment. Ainsi, en 1960, des daims ont été importés à partir de diverses autres îles de la mer Egée. Grèce. Les daims diffèrent de leurs proches en Anatolie : ils sont plus homogènes génétiquement, et de taille plus réduite.

Riche d’histoire et de nature, l’île de Rhodes est magnifique à visiter, si ce n’était ses côtés bien moins agréables : une intense vie touristique, qui dégrade une grande partie des côtes, du nord est au sud.

En revanche, je ne peux que conseiller de se perdre dans les montagnes, à la découverte d’une nature redevenue sauvage.


Références

  • Bouchet M.A. 2017. La flore de l’île de Rhodes : une influence anatolienne très marquée. Biotope / mabouchet@biotope.fr
  • Boyd, A. (2009). Relict conifers from the mid-Pleistocene of Rhodes, Greece. Historical Biology, 21(1-2), 1-15.
  • Quézel P., Médail F. 2003 Ecologie et biogéographie des forêts du bassin méditerranéen. Elsevier.

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