Le Cap Vert : récit d’un voyage à Santiago et Fogo, février 2019

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Le but de notre voyage au Cap vert était de visiter l’île de Fogo, dont le volcan, toujours actif, avait fait parler de lui e 2014, suite à une éruption qui avait duré 4 mois, entre novembre 2014 et février 2015, détruisant deux villages. Il me semblait intéressant d’aller voir le cratère de près.

BBC photography 2014

Mais bien entendu c’était l’occasion de visiter deux îles du Cap vert, Fogo et Santiago.

L’archipel du Cap vert comporte 10 îles et plusieurs îlots de dimensions très variables, entre 35 et 991 km². Il est situé aux latitudes basses, à une distance importante de l’Afrique : 570 km du Sénégal pour la moins éloignée des îles, Boavista. La conséquence en est que les espèces ont eu du mal à arriver naturellement ! La pauvreté floristique globale de l’archipel s’explique aussi par l’influence du Sahara (peu de pluie, en outre aléatoires). Mais en fait, on manque totalement de référents pour tenter de reconstituer ce qu’étaient ces îles avant le débarquement des Portugais, au XVe siècle.

Fogo et Santiago sont les deux îles du bas de la carte

Histoire humaine

Les premiers hommes à mettre le pied sur ces îles étaient sans doute des pêcheurs provenant du Sahara tout proche, mais ils n’ont pas fait souche. Les ressources y sont limitées, que ce soit les plantes comestibles, les animaux à chasser, ou l’eau.

L’archipel n’a été colonisée qu’au milieu du XVe siècle par des navigateurs engagés par le prince portugais Henri le Navigateur. Ils y ont installé en 1462 la première ville européenne sous les tropiques : Ribieira Grande. Le Cap vert a alors été longtemps une plaque tournante pour les voiliers emportant d’Afrique leurs cargaisons d’esclaves destinés aux Amériques.

PIloris datant de l’époque de l’esclavage

Cela explique que la majorité de la population soit d’origine africaine, quoique fortement métissée d’Européens, ou Africains du nord. Cela explique les variations dans les couleurs de peau, yeux et cheveux.

Jour de marché, florissant avec multitude de légumes et fruits

Le Cap vert a été une colonie portugaise jusqu’à une date récente, en 1975, avant de devenir un état indépendant insulaire d’Afrique de l’Ouest.

En 10 jours sur les îles de Santiago et de Fogo, nous avons été frappés par certains faits particulièrement intéressants, comme les lamentations sonores lors d’un enterrement, entendues durant plus d’une demi-heure, dans un petit cimetière de Santiago, en hauteur à Ruiz Vaz.

Un enterrement spectaculaire face à notre hotel.

L’importance de la musique dans la rue est souvent dessinée artistiquement sur les murs.

Gracieux dessin sur un mur à Praia
Quelques jolies fresques à Praia, Santiage

l’extrême amabilité et la grâce de cette population (c’est grâce à notre éducation, m’a expliqué un vendeur de souvenirs), et ce malgré un passé très lourd d’esclavage (qui nous a coupé de nos racines, me dira ce même vendeur),

Les gens sont d’une très grande gentillesse

L’ascension du Pic de Fogo

A l’origine, c’est-à-dire au cours du Quaternaire, l’énorme volcan atteignait environ 3500m d’altitude. Il ne formait alors qu’un seul édifice, mais il s’est ensuite effondré en son centre. La partie externe circulaire, gigantesque, se nomme « la Bordeira ». Le sommet actuel, le Pico du Fogo, s’est formé au centre de la Bordeira. En 30 éruptions très récentes datant du XVe au XVIIIe siècle, il s’est élevé à 2829 m. Depuis cette époque, les laves s’épanchent par ses flans en petits cratères.

Vue du pic,dans l’intérieur de la caldeira. On voit des coulées récentes de basalte en premier plan

L’intérieur de la partie circulaire externe est magnifiquement minéral, fait de multitudes de cratères de différentes dimensions et parsemé de coulées sombres totalement dépourvues de végétation. Actuellement, plusieurs villages de maisons à un étage, très simples, s’y trouvent éparpillés, souvent ornées de sculptures faites dans la lave par des artistes locaux.

Ces sculptures en lave sont nombreuses à l’intérieur du cratère

La fertilité du sol, qui est étroitement liée à l’activité volcanique et au microclimat, a créé des conditions favorables pour la culture des arbres fruitiers, des légumineuses et de la viticulture, un cas unique de production à cette latitude.

Culture de la vigne au pied du pic de Fogo

L’ascension du pic de Fogo est l’attraction de l’île. Je l’ai faite avec un guide, Ernesto, avec qui j’avais rendez-vous à 6h du matin, au lever du soleil.

Après une marche d’une heure, l’ascension débute doucement au milieu de cultures éparses de vigne. Le soleil éclaire la face interne du grand cratère d’une splendide lumière orange, sur laquelle se projette celle du volcan du pic du Fogo.

Le pic de Fogo se reflète sur la bordure de la caldeira à 6h du matin

Les petits volcans sortent peu à peu de l’ombre à partir de la gueule béante du cratère.

Les premiers volcans latéraux apparaissent à la lumière à l’intérieur de la caldeira

On passe des cultures de vigne, pommier, ricin, de plus en plus éparses, aux coussinets éparpillés de plantes endémiques qui nous accompagnent jusqu’au sommet : Verbascum cystolithicum, aux jolies fleurs jaunes, caractéristique de la caldeira, ou Lavandula rotundifolia.

Echium vulcanorum est une endémique stricte de Fogo, colonisant les lapillis couvrant les abords du cratère et l’intérieur de la caldéra Cha da Caldeiras.

L’ascension, par un étroit sentier parsemé de scories se fait progressivement plus éprouvante, sur 1100 m de dénivelé. Les pentes sont de plus en plus raides, et le sentier d ‘accès finit par n’être qu’un amas de pierres à escalader.

L’intérieur du cratère au sommet du pic est profond, parsemé de coulées de soufre, fumant par endroit. On ne peut que longer les bords du cratère. Un corbeau brun passe en croassant, c’est le seul oiseau que j’ai observé durant cette montée de 3 h.

Après 15 minutes de repos, nous longeons les bords du cratère pour atteindre la partie qui domine le petit Pico, qui correspond à la dernière bouche éruptive. La descente se fait tout d’abord par les rochers, puis sur une couche très profonde de scories. Mais soudain, un bruit sourd d’avalanche de pierres nous parvient du sommet, nous obligeant à courir pour arriver le plus vite à l’abri d’une avalanche de débris.

Sur la pente les éboulements de scories sont fréquents.
Du haut du pic, on voit les coulées de lave de 2014
Petit cratère latéral encore actif

Histoire des paysages

Pourquoi appeler ces îles d’apparence désertiques le Cap vert ? Aurait-il été vert à l’origine ? Des botanistes et historiens ont donc tenté de reconstituer les paysages originels, à partir des espèces indigènes qui survivent dans les îles. Il semblerait que les îles les plus arrosées aient été couvertes de communautés végétales à dominance arbustive par des espèces toujours vertes (ce qui justifierait le terme de Cap vert), comme une euphorbe de 2 à 3 m de hauteur (Euphorbia tuckeyana) d’où émergeaient le dragonnier (Dracaena draco) de 10m de haut.

Lavandula rotundifolia
Echium vulcanorum
Phoenix atlantica

Dans les zones un peu moins humides, les communautés arbustives étaient composées d’armoise (Artemisia gorgonum), très odorante, et d’un lentisque (Periploca laevigata).

La lentisque Periploca laevigata

Dans les ravins parcourus par des eaux souvent temporaires se trouvaient probablement de grandes quantités d’un arbre dénommé bois de fer (Sideroxylon). Vers l’aval, ces ravins comportaient probablement le figuier (Ficus sicomorus ssp gnaphalocarpa). En zone de contact avec les eaux salées, en bordure de mer, poussait tamaris (Tamaris senegalensis). Il existe aussi un palmier local (Phoenix atlantica) sur les côtes rocheuses.

Sur parties sud, se trouvait une savane arborée composée d’acacia (Acacia albida) et différentes graminées. Dans les parties très arides et rocheuses, se développait une liane (Cocculus pendulus).

Cocculus pendulus

Une autre liane très abondante est Sarcostemma daltonii, poussant sur rocher à proximité de la mer.

Sur les bords de mer pousse cette curieuse fleur jaune parasite

Et la forêt ?

Des forêts ont existé sur certaines îles, mais il y a bien longtemps, lors de périodes pluvieuses du Quaternaire. Pour preuve, la présence de sols rouges (riches en fer), fossilisés, intercalés entre des coulées volcaniques. Ces sols peuvent se voir sur les routes taillées dans les collines, ou dans les fondations des maisons lorsqu’elles sont en cours de destruction. L’importance des pluies lors des périodes quaternaires peut aussi s’évaluer à la grosseur des blocs arrondis qui parsèment les ravins qu’aucune rivière actuelle ne saurait déplacer ou même polir.

Sol fossile (en ocre plus sombre) découvert lors du creusement d’une maison

On peut imaginer que des forêts s’installaient sur des coulées volcaniques de manière périodique, puis disparaissaient lors de nouvelles coulées, à une période où l’activité volcanique était plus intense. Avec l’assèchement de la fin du Pléistocène, ces forêts ont été remplacées par des forêts à feuilles caduques et de grandes euphorbes.  

Quant à la faune, elle est surtout riche d’oiseaux, dont une grande partie migratrice. On en compte 130 espèces qui vivent sur les îles durant l’hiver. Quant à la faune terrestre, on y trouve le gecko, plusieurs espèces de lézards et pour les mammifères, des chauve-souris. Cette pauvreté en espèces terrestres s’explique par la distance par rapport aux continents, et aussi la relative jeunesse de l’archipel, guère plus de 25 millions d’années.

Les quelques espèces sauvages que j’ai pu observer durant notre séjour sont le moineau à dos roux, le corbeau brun, présents en faibles densités un peu partout ;  un flamant isolé fouillant le sol vaseux dans l’eau d’un barrage, une colonie d’aigrettes garzettes en bordure de ce même barrage, des hérons garde-bœuf perchés sur le dos des bovins, quelques hirondelles (espèces non déterminées). La tourterelle turque est bien représentée, mais pas autant que les pigeons (féraux et autres), très présents dans les îles, par deux fois un faucon crécerelle chassant dans les plantations d’acacia. En bordure de mer, quelques rares limicoles (petit gravelot).

La faune domestique est en revanche bien présente des abords des villages aux montagnes ou bords de mer, notamment les chèvres et les vaches (dont une race rustique de bovidé à robe brune). Ces animaux souvent en totale liberté : par exemple, les vaches se déplacent sur les grands axes routiers, les chiens vivent librement, dans les villages ou aux alentours. Ils se ressemblent tous, petits à robe fauve. Ils dorment ensemble la journée, parfois avec des chèvres, se réveillant le soir. On les voit chasser en solitaire parfois loin des villages.

Les chiens sont nombreux à Santiago et se ressemblent tous

Parmi les espèces introduites, certaines ont une histoire particulière, comme celle du singe vert ou vervet (Chlorocebus sabaeus), introduit à Santiago depuis la fin du XVIe siècle. L’espèce s’est largement répandue durant 100 ans, puis a été persécutée pour les dégâts qu’elle faisait aux cultures. Actuellement, leur nombre est restreint et ils sont très farouches.

Ce singe attaché s’ennuie sans compagnon et tente de chercher les puces au chien de la maison

La dégradation des milieux

Toutes les espèces arborescentes ont été utilisées dès les premiers temps de la colonisation, pour le bois de construction (figuier), le chauffage et le tannage des peaux de chèvre (euphorbe, Periploca), des usages médicinaux (dragonnier). En quatre siècles, le surpâturage, le feu et la collecte de bois (ressource rare dans les îles), ont détruit les milieux naturels : tout d’abord la végétation puis les sols dévalaient les pentes des montagnes lors des périodes de pluies torrentielles.

Paysage désolé où toute les plantes ont disparu sous la dent des chèvres. Santiago
Chèvres à Santiago

La végétation native a été remplacée par des plantations d’ espèces exotiques : eucalyptus, Acacia albida, pin des canaries, Prosopis (entre autres), afin de lutter contre l’érosion des sols. D’autres espèces exotiques, issues des cultures, s’échappent dans la nature, occupant souvent des surfaces considérables.

Bougainvillier horticole échappé, grimpant sur un rocher

Les actions de préservation de la nature

Les paysages actuels sont donc plutôt consternants, notamment dans l’île de Santiago que nous avons parcourue durant plusieurs jours. Mais plusieurs initiatives tentent de préserver les milieux naturels et leurs espèces les plus en danger. Nombreux biotopes ont été identifiés sur toutes les îles du Cap Vert et classées en conformité avec les critères de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) – Parcs Naturels, Réserves Naturelles et Réserve de la Biosphère (îles de Sal, Boavista et Maio). Dans le cadre d’essais de multiplication d’endémismes, on doit mentionner le cas de la multiplication de plusieurs endémiques en dangers comme le bois de fer sur l’île de Santiago ou de Echium vulcanorum, dans le cadre du Projet Parc Naturel, sur l’île de Fogo. Sur cette île existe un Parc Naturel localisé dans la partie centrale de l’île qui se compose du volcan, le cratère, la Bordeira et le périmètre de la forêt de Monte Velha.

Les tortues marines très chassées font l’objet de surveillances et de mesures de protection, en particulier sur Boa Vista. Sur l’île de Sal, les militaires surveillent également certaines plages, mais des tortues sont encore vendue très cher en raison de ses vertus soi-disant aphrodisiaques.

Un des trésors de l’archipel est la langouste, servie dans les restaurants et à l’importation à très bon prix. Elles sont de plus en plus pêchées et les interdictions en période de reproduction ne sont pas respectées.

Quelques visiteurs célèbres, mais bien peu honorés localement

Francis Drake, explorateur, corsaire, et homme politique du XVIe siècle

Drake commence sa navigation autour de la Terre en longeant les côtes européennes puis la côte occidentale de l’Afrique, passant au large du Cap vert. Le 30 janvier 1578, les Anglais capturent deux navires portugais dont le plus gros, le Santa Maria, est rebaptisé par Drake le Mary et est ajouté à l’expédition, avec son capitaine, Francis Drake.

La flotte traverse ensuite l’Océan Atlantique pour atteindre la partie australe de l’Argentine et remonte les côtes américaines puis traverse le Pacifique jusqu’en Indonésie. Il termine son tour du monde en passant sous l’Afrique pour remonter jusqu’en Europe. Il s’agit de la deuxième circumnavigation de l’histoire après la flotte de Magellan. Drake étant le premier capitaine à terminer le tour du monde, puisque Magellan a été tué dans le Pacifique.

L’île de Santiago en fait un discret hommage sous la forme de ce dessin de corsaire sur une maison d’artisan :

Dessin de Francis Drake sur une maison d’artisan

Charles Darwin

Cet éminent scientifique a visité l’île de Santiago, qui fut en fait la première étape de son long voyage à travers le monde. Il avait accosté le 16 janvier 1832 à Santiago avec de très faibles attentes, après avoir entendu parler du vilain port de Praia, réputé pour son utilisation dans le commerce des esclaves. L’île a cependant marqué son esprit durablement. En effet, à l’époque de Darwin, la plupart des géologues pensaient que les événements géologiques du passé s’étaient déroulés rapidement. Le géologue Charles Lyell, proche de Darwin, affirmait le contraire. Or, après avoir découvert des fossiles calcaires intercalés dans les couches volcaniques, sur l’île de Santiago, Darwin comprend que l’histoire de la Terre s’est construite sur une période très longue, confortant ainsi la théorie de Lyell. La visite des lieux qu’a fréquentés Darwin est à ce titre très émouvante. Il est fort dommage que la population de cette île n’en est pas fait davantage état, à la différence d’autres sites qu’il a visités dans le monde, comme la  Terre de Feu et les Galapagos, où sa présence est abondamment citée.

Plage comportant des alternances de calcaire et de sable volcanique

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L’aéropostale

Il existe au Cap vert, dans une petite anse isolée à Calheta São Martinho, les vestiges d’une hydrobase de l’Aéropostale, construite en 1928. Il s’agissait d’une escale stratégique sur la route entre France et Amérique du Sud. Un site difficile à trouver, car perdu dans des champs d’acacia, et où on y accède après quelques kilomètres de chemins défoncés. On y trouve des vestiges divers, de bâtiments, rails, chariot. Une plaque commémorative à demi illisible est encore suspendue à un des murs d’un bâtiment. En 2003 a eu lieu une commémoration du 75e anniversaire de cette hydrobase. Depuis, tout a été abandonné aux chèvres et aux déchets. Nous avons écrit à l’association Mémoire d’Aéropostale, créée en 2004, mais n’avons pas eu de réponse.

Ces deux îles du Cap vert, peu connues, sont riches d’information mais pourraient être bien davantage mises en valeur. Il en reste d’autres, que nous n’avons pas eu le temps d’explorer.

Références

  • Chevalier Auguste 1935 Les Îles du Cap-Vert : Géographie, biogéographie, agriculture : Flore de l’archipel, Paris, laboratoire d’agronomie coloniale du Muséum national d’histoire naturelle.
  • République du Cap vert, Ministère de l’Agriculture et de la pêche, direction générale de l’environnement, projet CV1/G4/A/1G/99. Deuxième rapport national de l’état de la biodiversité au Cap vert, Praia, 2002
  • PRAIA, juillet 2002 Edition: Direcção Geral do Ambiente – DGA
  • Cornelis J. Hazevoet 1 & Marco Masseti 2011 On the history of the green monkey Chlorocebus sabaeus (L.,1766) in the Cape Verde Islands, with notes on other introduced mammals. Zoologia Caboverdiana 2 (1): 12-24,  2074-5737

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