La roche de Solutré, Bourgogne : un site préhistorique de grande valeur, dans une nature en voie de renaturation spontanée

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On ne peut manquer, en visitant la Bourgogne, le spectaculaire Grand Site de France Solutré Pouilly Vergisson des monts du Mâconnais. En s’approchant du village de Solutré, on voit poindre deux superbes rochers en forme d’éperons qui pointent leurs talus raides au-dessus des vallées voisines, toutes couvertes de vignes.

La roche de Solutré, vu du village du même nom
La roche de Vergisson

Ces éperons sont constitués des calcaires du Jurassique (il y a 150 millions d’années), reposant sur des couches géologiques cristallines. Celui de Solutré présente une double corniche, dont la plus élevée et la plus raide culmine à 493 m. Elle repose sur les marnes du Lias, épaisses ici d’une quarantaine de mètres.

Le paysage vu de ces rochers s’ouvre au sud sur les Monts du Beaujolais. On y admire des collines couvertes de vignes, des bocages avec murs de pierres sèches. Des forêts de chênes s’étendent sur les versants anciennement cultivées, bordées soit de genêt sur sol siliceux, soit de buis sur sol calcaire. Des plantations de conifères apparaissent sur quelques hauteurs.

Les villages viticoles proches (Solutré et Vernisson) sont typiques du Mâconnais. Ce terroir est en effet réputé pour les grands crus de Pouilly-Fuissé et de Saint-Véran.

Les chevaux de Solutré

La célébrité de Solutré est aussi liée à sa préhistoire, et à l’histoire de cette science. Solutré constitue en effet un des sites fondateurs de la science préhistorique en France au XIXe siècle, car de grands débats ont alimenté la connaissance de cette période de la préhistoire, entre 1866, date de la découverte du site, et 2004.

Ces recherches nous ont appris que la présence de l’homme est fort ancienne, puisque déjà l’homme de Néandertal avait fréquenté le site il y a 50 000 ans. Il en a laissé quelques indices dans l’actuel village de Solutré situé à faible distance, sous forme de dents.

C’est à Solutré qu’ont été découvert de milliers d’ossements de chevaux préhistoriques, au pied d’une falaise mythique par sa forme surgissant au-dessus de collines. En Europe, les sites d’abattages massifs de chevaux bien documentés sont peu nombreux. Au début de cette découverte, au XIXe siècle, les amoncellements de chevaux ont été interprétés comme des carnages faits par les hommes préhistoriques, après avoir jeté les chevaux dans le vide.

L’interprétation actuelle est bien différente. Ces amas d’ossements sont le résultat de milliers d’années de chasse sur un même site, par plusieurs cultures humaines successives (Aurignacien, Gravettien, Solutréen et Magdalénien). Ce site était alors parcouru par des vagues migratrices de chevaux, dont les hommes ne prélevaient que quelques uns, mais toujours au même endroit. En 40 000 ans, on estime ainsi que quelques dizaines de milliers de chevaux ont ainsi été abattus pour la consommation, ainsi que d’autres espèces dont le renne, le mammouth, le lièvre.

Ci-dessous: scène de chasse représentée dans le musée de Solutré

Les accumulations osseuses de chevaux et de rennes, révèlent des indices d’activités de boucherie, de préparation des peaux, de façonnage des pierres. Il semblerait qu’ils aient profité de ce lieu stratégique pour intercepter ces troupeaux au moment de leurs déplacements migratoires de l’automne. En effet, la situation de Solutré était idéale pour ces animaux: le piémont des Monts du Mâconnais, une ouverture sur la large plaine de la Saöne, et un vallon secondaire encaissé présentant un probable couloir de passage de troupeaux.

En dehors de ces intérêts pragmatiques pour la chasse, il est possible, selon dertains auteurs que le caractère spectaculaire du site lui-même ait pu jouer un rôle dans les choix d’installation des hommes.

Quatre espèces de chevaux ont été identifiées à Solutré : Equus caballus germanicus et Equus hydruntinus, présents il y a 50 000 ans (période de l’homme de Néandertal) ; Equus caballus gallicus ou cheval de Solutré, associé aux industries aurignaciennes et périgordiennes (24000/23 000 BP) et Equus caballus arcelini, plus petit, contemporain des industries magdaléniennes (12 500 BP) (article en cours de publication).

Les chevaux de la Préhistoire ont disparu progressivement avec le dernier réchauffement climatique, il y a 10 000 ans.

Quelques précisions sur la culture de Solutré

La culture solutréenne (Solutré étant le site éponyme d’une culture plus vaste de l’Europe de l’Ouest) est bien expliquée dans le musée installé au pied du rocher. Cette culture date du Pléniglaciaire, il y a 21 000 ans, et a duré jusqu’il y a environ 17 000 ans. Les paysages à Solutré se présentaient sous forme d’une steppe arborée (cf photo ci-dessous, musée de Solutré)

Cette culture se caractérise par la fabrication d’outils en feuille de laurier (les silex taillés avaient la forme d’une feuille de laurie !), d’une grande finesse et d’une grande précision. Ces lames de silex avaient entre 15 et 25 cm, et servaient notamment à être enchâssées sur les lances à propulseurs. Le propulseur, autre invention des Solutréens, prolonge le bras humain et multiplie sa vitesse par effet de levier. Il permet de tuer à plus grande distance et à moindre risque la grande faune.  

La visite de la roche

Le parcours autour de la roche de Solutré est aussi de grand intérêt pour l’histoire des paysages actuels. Ce site très prisé des visiteurs est un site Natura 2000 intitulé « Pelouses calcicoles du Mâconnais ». Issues d’un héritage pastoral, les pelouses calcaires sont reconnues comme des milieux emblématiques de la Bourgogne.

Ces pelouses calcaires associées aux buissons à buis et aux jeunes forêts de chênes pubescents sont inscrites depuis 2002 au titre des sites d’importance communautaire dans le cadre du projet Natura 2000. Il compte 5 surfaces situées au niveau des deux roches de Solutré et de Vergisson, du Mont de Pouilly, du Bois de Fée (Leynes) et du Monsard (Bussières), représentant environ 160 ha.

Sur le parcours entre le musée et le sommet de Solutré, de nombreux panneaux ont été mis en place pour le promeneur, par le Conservatoire des Espaces naturels de Bourgogne qui, via des conventions avec les communes, intervient sur ces sites regroupés sous l’intitulé Entité Cohérente de Gestion (ECG) « Pelouses de la Côte Mâconnaise”

Personnellement, je trouve qu’il manque une information d’importance : l’avancée spontanée des forêts ! Malheureusement, elle n’est guère mise en valeur. On lit sur ce panneau ci-dessus le terme ‘”embroussaillement”, “responsable de la disparition des pelouses”: ce qui n’est guère objectif. Il s’agit d’un stade premier de succession forestière qui reprend ses droits sur un paysage anthropisé et modifié depuis des siècles. En quoi le retour à un écosystème naturel, prenant le pas sur un écosystème fabriqué par l’homme, est-il négatif ? On ne semble tolérer que des buissons en mosaïque dominé par des espaces ouverts.

Il est dommage de donner de telles informations au public nombreux qui parcourt le chemin vers le rocher. Déprécier la forêt naissante est une erreur écologique. Une forêt naturelle est d’un grand intérêt pour l’Europe, où les forêts primaires ont disparu. Il s’agit d’une chênaie pubescente sur buis, qui avance dans les paysages dès que l’homme n’utilise plus les terres. Le buis s’installe aussi sur les lisières forestières comme on le voit sur le premier plan de la photo ci-dessous. À l’arrière plan, les plantations défigurent le paysage.

En parcourant cette forêt naissante, à laquelle personne ne prête attention, j’ai même vu un if (Taxus baccata) , qui a pu s’installer au milieu des chênes, sans doute grâce à un oiseau qui en a apporté une graine à partir d’un jardin ou d’un cimetière. Cela tendrait à prouver que cette espèce, en fort déclin depuis des millénaires en raison d’une surexploitation humaine, arrive à se réinstaller malgré leur extrême rareté (cf photo ci-dessous, prise sous le sentier menant au rocher de Solutré).

Le même processus a été observé dans la montagne Sainte Victoire en Provence, où l’if avance lentement dans une chênaie abandonnée sur les flans de cette montagne. La photo ci-dessous, prise dans cette chênaie à environ 400 m d’altitude, montre des sous-bois dominés par le buis, le genévrier commun et une belle population de jeunes ifs. Il faudra attendre quelques siècles pour retrouver les chênaies matures. L’if y a toute sa place, jusque dans les hauteurs de la canopée… si on lui en laisse le temps.

Ce site de la Bourgogne, hautement emblématique pour son histoire naturelle et humaine, est à visiter absolument, de même que celle du musée qui lui est associé.

Références

Connet, N., Bayle, G., Bemilli, C., Kervazo, B., Konik, S., Julien, M., … & Molez, D. (2012). Stratégies de subsistance des Aurignaciens de Solutré (Saône-et-Loire): les apports de la fouille préventive de 2004. Gallia Préhistoire–Préhistoire de la France dans son contexte européen, 54, 33-65.

Cet article a 5 commentaires

  1. Robert Ponzo

    Un site à découvrir…. pas si loin celui là.
    Entièrement d’accord avec la remarque à propos de l’embrousaillement des pelouses.
    Depuis maintenant pas mal de temps, le discours dominant considère le retour de la forêt comme un mal qu’il convient de maitriser.
    Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet. Pour faire court, on trouve l’idée que l’action humaine est indispensable et qu’on ne peut laisser la nature se développer librement.
    Toujours l’idée de l’homme extérieur et au dessus de la nature.

  2. Annik Schnitzler

    très bien ! pleinement d’accord avec vous !

  3. Régis buchillet

    Excellent article 👍 !
    En revanche il s’agit de la roche de Solutré et de la roche de Vergisson et non des rochers.😉

    1. Annik Schnitzler

      merci ! je vais corriger

  4. Rivoire

    Important de souligner la nécessité du sous étage pour aider la régénération naturelle qui ne doit toutefois pas être étouffée au début de la pousse des jeunes chênes : donc intérêt du compagnonnage arbre- homme – (animal en surveillant l’aboutissement).
    Hélas pour les buis, la pyrale bouscule leur rôle protecteur en les tuant amplement cet été.

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