Les particularités géologiques et forestières de la région entre Wisches-Schirmeck-Granfontaine, vallée de la Bruche

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A proximité du Donon en territoire alsacien, cette petite région nichée sous les crêtes gréseuses du Narion, Rocher de Mutzig et Jardin des Fées offre un riche patrimoine minéralogique et botanique assez peu connu. Ici en effet, l’érosion a dégagé des grès les couches géologiques plus anciennes du Primaire (ou Paléozoïque), laissant affleurer en une “niche d’érosion” selon un terme géologique, les roches du Dévonien (419-359 millions d’années), du Carbonifère (358-298 millions d’années) ou du Permien (298-252 millions d’années).

Cette carte géologique du BRGM inclut les terrains primaires de la région de Wisches. Les montagnes les plus hautes (900 à 1000m) sont en grès, représenté ici par la couleur rose. Le Permien, dernière période géologique de l’ère primaire, est symbolisé par un gris-vert avec points. Les autres couleurs représentent différents facies du Primaire (Dévonien, Carbonifère…) L’ensemble de ces terrains primaires est traversé de nombreuses failles (traits pleins).

Le paysage de cette région vu de la crête du Narion se présente sous la forme de petits sommets arrondis d’environ 500m d’altitude, entaillés profondément en vallons appelés localement des basses : Rudebasse, Basse du Corbeau……

Au premier plan, les forêts de la crête gréseuse entre Narion et Rocher de Mutzig. En second plan, la région de Wisches-Schirmeck constituée de sommets d’origine primaire aux sommets arrondis et aux vallons profonds. En arrière plan: les montagnes du Champ du Feu.

Un tel paysage est hérité des processus d’altération des roches, notamment des périodes froides et tempérées du Quaternaire. L’érosion s’est poursuivie suite aux déboisements par l’homme. L’extraction de la pierre sur les flans de ces montagnes a été importante entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle.

Une autre forme d’exploitation du milieu s’est mise en place depuis le XXe siècle: la sylviculture intensive par des plantations d’épicéas et rajeunissement de la hêtraie sapinière. Il reste toutefois quelques petites forêts encore naturelles, en fonds de vallon le long des ruisseaux, sur les éboulis, ou dans les anciennes carrières où la forêt a repris ses droits.

J’ai parcouru plusieurs fois cet automne 2023 cette petite région et notamment en compagnie de deux géologues-historiens, Philippe Duringer et Denis Leypold. En voici quelques aperçus qui permettront d’en apprécier l’originalité botanique et géologique.

La vallée de Netzenbach à hauteur de Wisches

Les anciennes carrières d’exploitation de la roche

Cette vallée de Netzenbach débute à l’entrée de Wisches. A flanc de montagne, on y trouve d’anciennes carrières d’exploitation de pelites (qui sont des roches d’origine sédimentaire au grain fin: ces sédiments correspondent à des zones de vases) et surtout grès métamorphique. Ces roches ont servi à faire des remblais de chemin de fer. La plupart de ces carrières se sont reboisées spontanément, comme on peut le voir sur les photos. Sur la troisième photo, on voit une zone marécageuse à aulnes glutineux.

Le promontoire rocheux des Minières

Ce promontoire rocheux de la vallée de Netzenbach, dénommé Rocher des Minières, présente des formes géologiques spectaculaires. On y accède notamment en passant devant la Croix du Jacques. J’ai découvert ce site par hasard, il n’était pas très connu ! Je n’ai pas pu avoir de renseignements sur l’origine de cette croix.

Le chemin se poursuit dans des forêts enrésinées, mais qui comportent encore quelques beaux peuplements de hêtre. En s’approchant du rocher, on voit de nombreux fossés datant de plus de deux siècles, lorsque les habitants recherchaient des filons de minéraux, notamment de fer. Ci-dessous en premier : un de ces nombreux lieux de recherche de minerai. En deuxième et troisième position, respectivement : une roche datant du Permien, la rhyolite, et à droite une petite zone d’hématite, riche en fer.

Le rocher sommital est constitué de rochers en forme de tours d’une dizaine de mètres de hauteur, surmontées pour certaines de tapis denses d’une fougère (Blechnum spicant). Ces “tours” sont issues de l’érosion durant des millions d’années de coulées volcaniques très acides de rhyolite, datant du Permien. Rappelons que la rhyolite, qu’on voit aussi au Nideck, (deuxième photo ci-dessus) est une roche volcanique très acide de couleur rose, avec des cristaux (quartz, feldspath) visibles à l’oeil nu.

Explication de l’histoire géologique du site par Philippe Duringer lors d’une sortie avec la Société philomathique

Le processus de formation de ces tours est le suivant: à l’origine, une nappe de lave s’est étendue sur de larges surfaces. Elle a été au fil des millions d’années de plus en plus fracturée par déformation naturelle. Dans les fractures, l’eau s’est infiltrée, ce qui a activé le processus d’érosion des parois, créant des diaclases. Ces diaclases se sont élargies au fil des millions d’années, formant ce paysage de “tours”.

La vie est difficile pour ces rochers : le sol est quasi absent, la pente forte. Les arbres morts y sont nombreux. Une vraie petite zone de haute naturalité !

En plus de l’aspect esthétique des roches, on peut y observer une association végétale rare dans le secteur, constituée par des arbres thermophiles : chêne sessile, tilleul, orme, érable sycomore, qui sont éliminés de la forêt environnante de hêtres. Le hêtre quant à lui, ne peut vivre dans cet environnement où le sol est quasi absent.

Ces trois photos montrent : en premier le tilleul, puis un très gros chêne sessile, probablement pluricentenaire, et enfin une petite colonie de lichen Lobaria pulmonaria, sur quelques chênes. Ce lichen très rare dans les Vosges du nord semble ici avoir beaucoup souffert des canicules de l’été 2023.

Toute proche du rocher, la hêtraie n’intègre aucun des éléments qui poussent sur les rochers.

Les vallons secondaires de Rudebasse et de Basse de Corbeau

La vallée de Netzenbach est boisée et exploitée de manière intensive, avec nombreuses plantations d’épicéas et reliquats de forêts mixtes à hêtre et conifères. Seuls les fonds de vallon présentent quelques petites forêts intéressantes, et le long des ruisseaux et sur les éboulis.

Ces trois photos ci-dessus montrent en premier un bois joli (Daphne mezereum) en bordure de chemin, en second un éboulis à hêtre, et en troisième une belle aulnaie marécageuse, inondée au cours de l’hiver.

Les photos suivantes montrent des coulées volcaniques très présentes le long des chemins. En premier, un site de promenade menant à la grotte au loup, qu’on voit sur la deuxième photo. En troisième, une belle coulée volcanique avec éboulis.

Dans les photos ci-dessous: le Rudebasse. Le sommet est dominé par le chêne sessile. Sur les pentes, des coulées volcaniques. En troisième, une curieuse réaction d’un tilleul qui a été déraciné: il a recréé de jeunes tilleuls à partir de la base déracinée de l’ancien tronc !

L’ancien massif volcanique de Schirmeck

Ce massif, pourtant parcouru par une autoroute, et situé directement au-dessus de la ville de Schirmeck, recèle quelques trésors cachés : une belle chênaie sur éboulis.

Jolie chênaie sessile riche en bois mort sur les pentes du massif volcanique dominant Schirmeck.

Une promenade agréable (malgré le bruit des autos !) au-dessus de Schirmeck. Dans les sous-bois, quelques blocs volcaniques parsèment le sentier dominant la vallée.

Et surtout, ce massif à présent laissé en libre évolution, voit l’if recoloniser lentement ses pentes ! L’if est une espèce très rare dans les forêts vosgiennes, en raison d’une surexploitation très ancienne de son bois, ou une destruction directe car il est toxique pour le bétail. Son retour dans cette petite forêt signifie en tout cas que l’espèce pourrait être présente naturellement dans les forêts de Schirmeck et Wisches car le terrain volcanique riche en minéraux lui est propice.

Localisation des ifs colonisant les pentes de la chênaie à hauteur de Schirmeck

Photos Emmanuel Schnitzler, découvreur de cette petite population d’ifs. . l’if est discret dans ces forêts feuillues qui ne sont plus exploitées depuis plusieurs décennies. Sur la troisième photo, on voit que les chevreuils en apprécient les aiguilles, malgré leur grande toxicité. IL y aurait une centaine d’individus présents dans ce massif.

Les sites des anciennes exploitations à ciel ouvert de GrandFontaine

Le site de Grandfontaine proche de Schirmeck, sous le Donon (cf photo ci-dessous) a été très anciennement, et jusqu’à la fin du XIXe siècle, une terre d’exploitation minière, à ciel ouvert.

Vue sur le Donon à partir du sentier des mines en pleine forêt de la montagne dénommée la Tête Mathis

La première photo montre quelques traces du passé minier de Grandfontaine. La deuxième, une ancienne mine, une sculpture avec deux marteaux, symbole des ouvriers mineurs, au débouché d’une ancienne galerie éliminant l’eau de la mine. La troisième montre le trou laissé par le creusement d’une galerie, à présent totalement bouchée. Au-dessus de ce trou on voit un petit monticule du sol extrait pour creuser cette ancienne galerie. On appelle cela une halde. Les haldes sont nombreuses dans la forêt de la Tête Mathis

Il existe plusieurs sites d’extraction dans la montagne Tête Mathis, parfois de grande envergure (cf photos ci-dessous). Les hommes y recherchaient des minéraux de fer à partir d’hydroxyde de fer, ou autres minéraux rares (phénacites, silicates de berylium).  Avant le XVIe siècle, l’exploitation se faisait au burin. Près une longue période d’exploitation au burin : selon la dureté de la roche, avancer de 1 m nécessitait plusieurs mois ! Par la suite, au XVIIIe siècle, les premières galeries ont été agrandies en utilisant la poudre noire.  Des galeries étaient creusées en pente pour écouler les eaux de pluie. L’eau des chantiers inférieurs était rejetée grâce à des systèmes de pompe à bras à partir de puits.

Un sentier dédié à ces anciennes pratiques minières (appelé sentier des mines) nous emmène voir certaines de ces impressionnantes exploitations à ciel ouvert des siècles passés. En troisième position, la coloration de la roche en jaune explique qu’on ait qualifié ce site d’extraction de “mine jaune”. D’autres zones d’extraction, les roches sont colorées en rouge ou en noir. D’où les noms de mine jaune, mine rouge, mine noire etc..

En conclusion:

Le piémont de la Vallée de la Bruche et ses vallons adjacents offrent de belles surprises naturalistes, géologiques et historiques. Je recommande la consultation de revues traitant de ces sujets passionnants, accessibles à la bibliothèque de Schirmeck.

Cet article a 4 commentaires

  1. Frederic Lavachery

    Êtes-vous certaine que les tours de rhyolithes ne sont pas des orgues formées lors du refroidissement des coulées ?

    1. Annik Schnitzler

      c’est un géologue averti qui m’a expliqué cela . Au nideck, on voit des colonnes de rhyolithe mais pas ce genre de structure, je ne sais pas pourquoi

  2. Jean François Dehlinger

    Magnifique et très complet reportage , richement illustré et commenté sur une région que je connais assez bien mais qui m’a appris beaucoup d’éléments très intéressants sur j’ignorais.

    1. Annik Schnitzler

      merci pour votre commentaire. Allez vous promener au printemps dans les fonds de vallon derrière Wische, il parait qu’il y a des nivéoles et que les bois joli (Daphne mezereum) sont en fleur !

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