Nature et culture sur les sommets de grès entre Dabo et Saverne

La région visitée correspond à un ensemble de montagnes d’altitude moyenne (autour de 400-500m) situées au nord immédiat de Dabo et de la Hoube, et au sud de Saverne. Elle est bordée à l’Ouest par les villages de Haselbourg et Garrebourg, et à l’Est par le rebord du plateau gréseux qui plonge ensuite vers la plaine. Ces petites montagnes boisées d’orientation nord sud, sont creusées par des vallées parfois profondes parcourues par des cours d’eau.

Vue sur la forêt à partir du Schweizerberg. On voit que la forêt est une hêtraie où les plantations d’épicéas et de pins sont nombreuses

Actuellement peu habitées, ces montagnes, qui totalisent environ 30 km², n’en ont pas moins riches en vestiges archéologiques de diverses époques de la Protohistoire au Moyen Age et le début de l’époque moderne.

Le deux cartes ci-dessous montrent la région à différentes échelles. La photo 1 indique la région étudiée à l’échelle du 200 000e, qui se situe autour du lieu-di Schlossberg. La photo 2 cible le site au 100 000e

Un peu de géologie

L’ensemble de la région appartient à l’étage géologique du Buntsanstein moyen, riches en rochers de grès. Leurs sommets sont relativement plats. Certains d’entre eux (Kupferfkopf, Geisfels, Schlossberg) sont couronnés de corniches abruptes de Conglomérat principal, constituées de galets de quartz et quartzite cimentés par du grès rouge. D’autres sommets sont plus plats, comme le Wustenberg et le Schweizerberg. Ils sont constitués d’une couche géologique plus récente du Buntsanstein supérieur, plus riche en argiles et aux sols plus meubles. Sous cette couche géologique apparait le Conglomérat, qui entoure ces sommets de corniches très raides. Sous certaines corniches se creusent parfois des abris grâce au matériel de grès plus tendre.

La région visitée correspond à la partie droite de cette carte géologique(BRGM feuille de Saverne 1/ 50 000e). Elle est constituée de grès (en rose sur la carte). La couleur bleu sombre correspond aux corniches de conglomérat principal qui couronnent certains sommets.

Des forêts naturelles, uniquement sur les rochers de hauteur

Les forêts de la région devraient être dominées par la hêtraie chênaie, avec sans doute quelques sapins çà et là dans les vallons les plus humides. L’homme a cependant beaucoup modifié le paysage forestier en plantant des épicéas en monoculture dans la plupart des pentes, et en éliminant tous les vieux arbres. Sur le bord de la route menant au lieu-dit Haberacker, a longtemps subsisté un hêtre mort monumental, dénommé Billebaum (arbre à bosses). Ces bosses sont dues à des coupes anciennes qui ont stimulé la formation d’une multitude de troncs secondaires. Sa circonférence était de 6m environ, et son âge estimé à plus de 2 siècles, ce qui est assez peu pour cette espèce qui peut vivre au moins le double. Il a été malheureusement abattu en 1988 parce qu’une de ses branches avait été arrachée par une tempête. Un chapeau couronne le haut du tronc laissé en place, en bordure de la route.

Le dessin ci-dessous a été exécuté par Henri Ulrich en 1987, un an avant sa destruction. Henri Ulrich est connu pour son talent de dessinateur de vieux arbres, et ses films sur les milieux naturels d’Alsace. Ce dessin a été publié en 1988

“La sympathie que je ressens pour l’arbre, l’arbre vieux, l’arbre immense, ranime en moi un archaïque phénomène d’identification avec ces êtres extraordinaires et fascinants. Elle est la révélation des connections profondes qui nous relient aux mystères de l’unité organique. Laissons vivre des arbres là où la nature les fait germer et grandir. Donnons-leur, dans chacun de nos paysages forestiers, des parcelles assez vastes pour s’épanouir librement avec toutes les espèces associées à leur devenir.”

Henri Ulrich, 1988

Les forêts les plus naturelles (vieux arbres souvent tordus, couverts de mousses, et arbres morts) qui subsistent dans ce secteur sont celles qui ont colonisé les sommets plats de rochers. Elles ne sont cependant pas très anciennes, car on y trouve des traces d’habitats (du gallo-romain au médiéval voire temps modernes) ou d’usages (pâturage ou coupes d’arbres isolés). Mais il semblerait que la sylviculture moderne ne s’y est pas intéressée, en raison d’un manque de rentabilité.

Les découvertes archéologiques indiquent la présence de hameaux, de nécropoles, de chemins antiques datant de l’époque gallo-romaine, mais aussi de zones refuge au cours des guerres, de bornes délimitant les territoires à différentes époques de l’histoire. Ces vestiges existent toujours, enfouis dans la végétation, ou bien visibles sous forme de bornes, de constructions en ruine et de châteaux.

De la maison forestière du Kempel aux rochers de Pfannenfels, du Schoenfels (Gemsenberg)

Cette sortie débute à la maison forestière du Kempel, située entre le Gemsenberg (506m), le Kuhbergkopf (587m) et le lieu-dit « Pfanne » (504m).

La maison forestière du Kempel est située en bordure de la frontière des départements de la Moselle et du Bas-Rhin, sur le territoire de Haegen. CLe empel était habité, comme beaucoup de hauteurs entre Saverne et Dabo, à l’époque celtique et gallo-romaine. Les fouilles ont livré divers monuments lapidaires bas-reliefs de divinités, pierres funéraires, qu’on peut voir au musée de Saverne, entre autres.

Un sentier bien plaisant part de cette maison forestière du Kempel vers le nord, en direction des beaux rochers du Pfannenfels. Notons que le chemin du Club vosgien, qui mène à ces rochers est décoré de deux pierres avec des gravures, un peu effacées par le temps. La première date de 1940 mais a été malheureusement peinte par le Club vosgien pour indiquer le chemin. La deuxième est un peu en retrait, et représente un garde forestier. Elle date sans doute du XIXe siècle.

En parcourant ce sentier sous ces rochers, la forêt m’a semblée bien attrayante avec son bois mort, ses quelques beaux hêtres et ses rochers sur les pentes, mais d’après une promeneuse avertie, « c’était bien plus beau avant que l’ONF ne passe avec ses engins ».

Ci-dessous : la première photo montre un bout de forêt sommital avec du bois mort creusé par les pics, les seconde et la troisième photos sont celles des rochers sommitaux du Pfannenfels

Ces rochers sommitaux ont conservé un bel environnement dominé par des arbres venus spontanément occuper la moindre fissure. Les marmites,en allemand « Pfanne » sont ici de dimensions peu communes. Remplies d’eau, elles doivent pouvoir accueillir au printemps une faune aquatique (larves d’insectes et de tritons ??).

Les cupules naturelles des rochers du Pfannenfels
Rocher en forme de dolmen, se détachant d’autres roches plus tendres et sculptées par l’érosion.

Sous ces sommets rocheux couverts de fougères aigles, et isolé dans la pente orientale, se dresse un superbe rocher, le Kelchfels (les trois photos ci-dessous), au sommet couronné d’un tapis de fougères qui semble être du Polypode vulgaire (Polypodium vulgare). La forme en champignon s’explique par une érosion différentielle des couches de grès : ici les couches les plus friables se trouvent dans les premiers mètres, et les plus résistantes vers le haut.

La grotte des Francs Tireurs sur la montagne en prolongement du Pfannenfels, est un des rares lieux où s’est formé un abri naturel creusé dans un grès plus tendre. Cette grotte est connue pour avoir abriter les habitants de Garrebourg durant la guerre de 1870. Il est dommage que les visiteurs y laissent trainer déchets et y fassent des feux.

Face au Pfannenfels, s’étend dans la même direction nord sud, le Gemsenberg. Le chemin menant à ce rocher traverse des milieux forestiers bien mal exploités, avec successions de coupes et de plantations d’épicéas.

Il est surtout connu pour son superbe rocher, le Schoenfels (anciennement le schonefelsen). Ce lieu formait un abri et un poste de surveillance avant la révolution française. C’est là que tous les sept ans, les bourgeois de Saverne se rendaient en procession : selon un usage ancien, cette procession se rattachait au droit que possédait Saverne de conduire les troupeaux en cas de danger. De cet usage ancien de pâture subsiste peut-être une mare pour abreuver les animaux, au pied du promontoire, et qui est à présent envahi de joncs

Actuellement le Schoenfels sert de lieu d’escalade. J’espère que ni son sommet, noi la petite forêt naturelle qui s’y est implantée, ne sont pas abîmés, ils ne sont accessibles que par ce sport. Sur le rocher isolé proche, d’architecture semblable à celle du Kelchfels, on retrouve une couverture de polypodes si typique des zones rocheuses de grès.

Une petite nécropole gallo-romaine

Sous le Gemsenberg, dans un endroit peu fréquenté, on peut tomber sur une petite nécropole gallo-romaine. Elle a été découverte au cours des prospections effectuées à partir de 1970 par deux archéologues amateur passionnés, Eugène Kurz et Jean-Marie Holderbach, bien connus dans les milieux de l’archéologie. La stèle maison était alors à demi enterrée, de même que la pierre taillée, qui a été dégagée. Aucune fouille n’a été faite sur ce site, mais un sondage a été autorisé, qui n’a pas permis d’interpréter l’histoire du site. En attendant d’éventuelles fouilles, les hypothèses retenues ont été qu’il s’agit peut-être d’une nécropole de type privée, proche d’un habitat modeste d’un propriétaire qui exploitait les bois et la pierre pour les habitants de la ville de Saverne.

Le sommet du Kuhberg

On accède à cette montagne proche de la maison forestière du Kempel, dans le prolongement du Gemsenberg au sud, par un sentier qui passe par le lieu-dit “Pierre St Martin”.

Le sommet est tout simplement remarquable, par son large sommet plat, protégé par des corniches de conglomérat, l’aspect de la forêt, constituée par une hêtraie par endroit riche en arbres morts, et ses amas de pierres qui suggèrent l’existence d’un village gallo-romain. Des fouilles archéologiques seraient les bienvenues.

On peut lire dans le texte publé par Alphonse Wollbrett en 1962 :

“Jadis frontière entre la Marche de Marmoutier et le territoire de Daob, à présent entre le départ du Bas-Rhin et de la Moselle, ce sommet comprend sur le flanc occidental une roche appelée tout à tour “roche aux trois têtes sculpté ou roche à la tête de mort. et où sont gravés divers signes (croix, fers à cheval) et considéré quelquefois comme une pierre sacrée druidique.”

Le Schweizerberg

Le sommet de cette montagne correspond à un large plateau bordé d’une falaise de conglomérat avec gros blocs fort impressionnants. Le plateau lui-même comporte quelques chênaies laissées en libre évolution.

Proche de la falaise (photo 1 ci-dessous), se dresse une pierre avec grosse cupule qui semble taillée (photo 2).

La faune

Quelques belles photos prises en caméra cachée par Jean-Claude Génot révèlent la présence de cervidés qui utilisent les cavités. Le site est également riche en oiseaux (ici une buse).

Ce sommet comporte quelques traces d’habitations, mais je n’ai rien trouvé sur l’existence de ces amas de pierres.

Construction en ruine

Le Geisfels

Ce sommet bien connu des promeneurs est riche en gros rochers et bien connu pour sa vue spectaculaire sur la plaine. Malgré des chemins trop larges et une antenne au bout du rocher, il reste quelques belles petites forêts laissées à l’évolution naturelle, riche en arbres déformés par les conditions difficiles des sommets (vents forts, sol peu épais, présence de gros blocs).

Les chemins de cette partie du territoire, proche de la route qui menait anciennement de Dabo à Saverne les siècles passés, sont fort nombreux. Les plus pratiqués dans le passé et donc les plus vénérables se repèrent par le fait qu’ils sont profondément creusés dans le sol vosgien. Sur les trois photos ci-dessous, les deux premiers sont très anciens et mériteraient d’être cartographiés. La troisième photo montre un chemin récent pour l’exploitation forestière.

Ci-dessous trois photos prises sur le sommet du Geissfeld, qui comprend de belles parcelles forestières naturelles :

Sur un sommet voisin, se trouve cette superbe pierre de 10m de hauteur, dénommée Spille (Spille=Spindel). D’après la légende locale, elle y a été placée par des fées.

Le Schutzenfels

Cette montagne modeste est proche du Geissfels (cf carte ci-dessus). D’après les indications de Jean-Marie Holderbach, elle comprend une limite territoriale entre les possessions de l’abbaye de Marmoutier et des Hanau-Lichtenberg. Leurs armoiries sont encore visibles sur des bornes anciennes et un rocher borne. Cette limite ne correspond plus à la limite admistrative actuelle.

La sortie démarre à la ferme du Haberacker direction l’abri de Geissfelswasen (photo 1). Une croix récente (1930) toute proche pourrait évoquer la mort d’un bucheron (photo 2). Une des bornes de 1723 e trouve adossée à un arbre qui a caché une partie des armoiries gravées

La suite de la promenade se situe sur la croupe du Schutzenfels, qui est rocheuse et riche en bois mort.

Voici un exemple de bornes trouvées le long du chemin où j’ai pu observer 4 bornes datant de 1723 et numérotées. En voici un exemple ci-dessous. La crosse symbolise les armoiries de l’abbaye de Marmoutier et l’écusson à 3 chevrons les armoiries des Hanau-Lichtenberg

Il est dommage que certaines bornes aient disparu ou qu’elles soient tombées.

Sur ce rocher en forme de dolmen (photo 1), est gravé un M (photo 2) qui correspond au sigle Marmoutier. En dégageant l’humus et les feuilles mortes, j’ai retrouvé les armoiries gravées de l’abbaye de Marmoutier et des Hanau-Lichtenberg, signalées par Jean Marie Holderbach

Voici les données fournies par Jean Marie Holderbach, qui a recherché les tracés de ces abornements anciens. Le premier dessin note le numéro des bornes. Les tracés vert et jaune correspondent au tracé de 1723. Le jaune correspond à une partie des abornements encore plus ancien, datant du XVIIe siècle.

Ces textes correspondent au PV d’abornement datant du XVIIIe siècle trouvé aux archives du Bas Rhin

En conclusion

Cette entité géologique gréseuse présente une histoire singulière pour les Vosges du Nord. Son passé humain est tumultueux, et ce depuis la Protohistoire. Des fouilles archéologiques seraient souhaitables pour mieux comprendre ces événements anciens, dont il reste encore de nombreuses traces cachées dans le manteau forestier.

Ce milieu est actuellement forestier, mais souffre de pratiques sylvicoles trop intensives au regard de la fragilité des sols (sableux et pauvres en éléments minéraux). Il serait à souhaiter que les pratiques sylvicoles changent totalement, et qu’on puisse aussi instaurer des zones de paix pour la grande faune, qui souffrent aussi d’autres pratiques de loisir, comme l’escalade et la motorisation des sentiers.

Remerciements

Un grand merci à Jean Marie Holderbach, pour les indications et sources bibliographiques qu’il m’a aimablement transmises, à Jean Claude Génot pour les photographies de la faune dans cette jolie région, et à Damien Saraceni pour la relecture et mise en forme du texte

Références

Ulrich H. 1988 Arbres 50 dessins indédits. Du réel au transfiguré, une approche éthique. Editions de la Nuée-Bleue.

Wollbrett A. 1962 Par monts et par vaux. Notices descriptives et historiques. Dans “Du château de Birkenwald aux rochers du Schneeberg”. Société d’histoire et d’archoélogie de SAverne et environnés, 40, 52-56.

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