Le loup : une espèce indispensable aux écosystèmes vosgiens, mais qui peine à s’installer

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Quelques rappels avant de commencer

En Europe, le loup est protégé par la Convention de Berne (1979) transcrite dans le droit français en 1989. Il est inscrit dans les annexes II et IV de la directive « Habitats » de l’Union Européenne et fait partie des espèces prioritaires. Sur la Liste rouge des espèces menacées en France de l’IUCN (2017) , le loup gris, Canis lupus, est classé « vulnérable ».

En France, l’espèce est protégée sur le territoire national par l’arrêté ministériel du 22 juillet 1993 publié à la suite des premières observations attestées du loup en France (mis à jour le 23 avril 2007). Ce statut implique pour les États, donc pour la France, de veiller à la conservation de l’espèce et de ses habitats.

Mais : Depuis 2004, l’État français utilise les dispositions de la Directive européenne Habitats-Faune-Flore et autorise sous certaines conditions que des loups puissent être abattus suite à des dommages aux troupeaux. Au fil des années, les conditions ont été assouplies allant même jusqu’à permettre le tir de loups en l’absence de troupeaux et donc de dommages et en autorisant les chasseurs à tuer des loups lors de leurs parties de chasse. 118 loups pouvaient être abattus en 2021 ! Le gouvernement français est ainsi rentré dans une logique claire de régulation de la population de loups, voire de son extermination au niveau local, en toute illégalité avec les lois européennes. En 2021, FERUS (Première association nationale de protection et de conservation de l’ours, du loup et du lynx en France.) a porté plainte contre les arrêtés ministériels autorisant les tirs de loup.

20 ans après le retour du loup, le seul noyau reproducteur est situé dans les Alpes. L’unique couple reproducteur des Vosges ne constitue pas quant à lui un noyau de population. Alors que des loups sont signalés dans le massif Central et les Pyrénées depuis les années 1990, aucune reproduction n’y a jamais été détectée. Par comparaison, l’Allemagne, où le retour du loup date de 2000, compte un nombre de meutes similaires : 31 en 2015 contre 29 en France (à l’issue de l’été 2014, ONCFS).

Tant que cet objectif d’avoir plusieurs noyaux de reproduction n’est pas atteint, nous pouvons considérer que l’état de conservation du loup n’est pas encore favorable en France et que l’augmentation des demandes de tirs n’est pas conforme aux réglementations européennes.

Une question fondamentale souvent posée : pourquoi protéger le loup ?

Tout d’abord, une question d’éthique

Il est souvent demandé aux protecteurs de la nature pourquoi le loup doit revenir, et à quoi il sert. Ces questions me semblent plutôt étranges : pourquoi une espèce présente depuis des centaines de milliers d’années n’aurait-elle pas le droit de coexister avec l’homme ?

Il s’agit là bien évidemment d’une question éthique, qui à mon sens est aussi importante qu’une justification écologique. Protéger à densités viables toute espèce qui a vécu en Europe au cours des derniers millénaires permettrait l’instauration d’une gouvernance plus écosystémique et plus durable. En d’autres termes, l’écosystème serait alors enfin compris dans son sens le plus juste : des liens d’interdépendance du vivant, sur un le temps long, dépassant les intérêts locaux de l’humanité (ce qui n’exclut pas d’aider les éleveurs, bien sûr).

Importance du loup dans les écosystèmes

Le rôle du loup est bien connu, et complémentaire de celui du lynx. Ces deux prédateurs dispersent notamment la grande faune, ce qui évite des abroutissements locaux trop importants et protège donc la régénération des forêts. Le loup prédate aussi les petits carnivores. Il est lui-même prédaté par le lynx dans les régions où les populations de loup et de lynx coexistent à densités suffisantes. Il s’agit en fait d’une compétition interspéficique destinée à une régulation des carnivores vivant sur un même territoire.

Ci-dessous, quelques photos prises par Vadim Sidorovich au Bélarus (Biélorussie), documentant la rencontre entre un lynx et un loup isolé, qu’il a suffisamment blessé pour qu’il meure un peu plus tard. Le lynx recherche aussi les petits loups dans leur tanière pour les tuer. L’ours fait de même.

Le loup dans les Vosges

Une évocation du loup est celle du dieu au cerf, qui est la figure emblématique du site du Donon. Cette sculpture mise à jour dans le sanctuaire gallo-romain de ce sommet, représente une divinité forestière barbue, chaussée de bottes, les épaules couvertes d’une peau de loup, est associée à un cerf debout derrière lui. De la main gauche, le dieu tient une sorte de hachette à fer courbe et une besace remplie de pommes de pin est accrochée à son épaule.

Le dieu au cerf, Musée archéologique de Strasbourg

Le loup était abondant dans le Grand Est, entre Lorraine et les contreforts alsaciens au XVIIIe siècle, et ne s’est raréfié qu’au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle. Ailleurs en France, en dehors de la bordure occidentale du Massif Central et les Alpes, il en est de même.

Deux livres en font l’histoire en Alsace de manière détaillée : celui de Jean-Yves Chauvet (1986) et Thomas Pfeiffer (2011) et celui de Jean-Yves Chauvet (1986).

Citons aussi le travail de Jacques Baillon, qui mentionne la présence des derniers loups à l’échelle des deux derniers siècles en France. En voici deux extraits concernant l’Est de la France :

  1. Un loup fut en effet aperçu pour la première fois le 25 mai 1994 près de Senonges, non loin de Vittel, c’est-à-dire à environ 70 km à l’ouest de la route des Crêtes. Notons que les Vosges se distinguent comme étant l’une des deux régions de France où ont subsisté les dernières populations de loups, autour de 1923, bien que six louveteaux y furent capturés en 1939. Mentionnons ensuite que l’on y observa encore un loup en 1977, la fameuse « bête des Vosges ». Les Vosges s’illustrent donc comme étant la région de France où l’absence du loup fut la plus courte, 54 ans au plus.
  2. Une meute de quatre à cinq loups sauvages aurait aussi été observée dans les Hautes-Vosges durant l’automne 1993. Le récit de cette observation a été recueilli en 1999 par Nicolas Manlius, du laboratoire d’Ethnobiologie Biogéographie du Muséum National d’Histoire Naturelle.

De gauche à droite: crâne de loup, Musée zoologique de Strasbourg; loup du musée de Champlite; musée de Grenoble (hybride)

Parmi ces échantillons, a été intégré un loup provenant d’un particulier habitant Walscheid (Moselle), Pierre Gérard.

Loup de Walscheid : ce loup a été analysé avec une centaine d’autres échantillons. Son histoire locale n’est malheureusement pas connue

Le loup en France et dans les Vosges

Les loups sont suivis par l’Office Français de la biodiversité (OFB). On compte 145 ZPP (Zones de Présence Permanente) et 128 meutes sont recensées (contre 92 ZPP et 70 meutes à la sortie de l’hiver 2018/2019). Le loup est donc en expansion, mais de manière très inégale selon les départements.

Dans les Vosges, on sait, grâce aux recueils de traces et pose de caméras par l’OFB et l’observatoire des carnivores sauvages, que le retour le plus récent du loup dans le massif vosgien date d’avril 2011. Ces loups sont d’origine italienne, mais pourraient être aussi dans l’avenir d’origine Europe de l’Est. Mais depuis, il n’a pas pu s’étendre, à la différence de la partie alpine. En effet, il n’existe que 3 zones de présence permanente, dont celle du Donon/Champ du Feu, et qu’un seul couple reproducteur dans le sud des Vosges. Cela signifie que l’espèce n’arrive pas à former des populations stables. Sans doute y a-t-il une mortalité naturelle, mais leur absence d’expansion est surtout liée à des abattages illégaux ou légaux, au vu de la fécondité des loups ! Selon Vadim Sidorovich, il devrait y avoir des centaines de loups en 30 ans de protections, au vu de leur fécondité !

Le loup n’est donc guère accepté dans les Vosges, souffrant, comme partout ailleurs en France, de peurs ancestrales qui empêchent son retour dans les écosystèmes forestiers, où pourtant son rôle est indispensable. Notons que les dégâts faits aux éleveurs sont largement indemnisés et des moyens d’éviter ces inconvénients majeurs provoqués par les loups (mais aussi par les chiens errants) sont bien connus.

Les caméras posées par l’Office français de la biodiversité, et l’Observatoire des Carnivores sauvages sont les moyens de s’informer de sa présence et de son état de santé. Jusqu’à présent, il n’a été détecté formellement qu’un seul loup dans le Massif du Donon/Champ du Feu, qui parcourt cette immense région et dont on peut parfois détecter la présence par les traces ou une proie.

Le loup était pourtant bien présent dans tout ce massif, comme pourrait en témoigner, indirectement, les légendes et les lieux-dits. Une légende encore bien présente dans les esprits est celle de la croix au loup à Dabo.

Des lieux-dits aux noms évocateurs

Les lieux-dits sont aussi évocateurs, et on en trouve notamment au cœur du massif : le “trou du loup” près du château de Canceley, ou proche de ce lieu, Wolfsgrubkreuz et Kleine Wolfsberg, Wolfsthal entre vallée de la Sayotte et Grossmann. La “grotte du loup” en forêt d’Urmatt en est un autre exemple.

Grotte du loup dans une fissure de rocher constituté d’ignimbrites (origine volcanique)

Notons que le fait de citer le loup dans des lieux forestiers peut aussi signifier qu’il y avait des bandits et non des loups !

En conclusion

Suivre une piste de loup ou trouver une proie est une merveilleuse découverte pour qui sait lire les traces et s’aventurer dans ce massif en plein hiver !

Cette piste de loup fraîche nous a menés à une proie tuée par le loup du Donon

Terminons sur une captation rare du loup du Donon par Emmanuel Schnitzler :

En bonus ! À la recherche d’images de loups, il arrive que les caméras captent d’autres animaux dans des situations inattendues. C’est ainsi que ce couple de renards a été filmé à plusieurs reprises autour d’un point d’eau gelé en hiver :


Références

  • Baillon Jacques 2020 Les Loups, éd. Ramsay.
  • Chauvet Jean-Yves 1986 Les loups en Lorraine. Histoire et témoignages. Editions Horvath
  • Pfeiffer Thomas 2011 Alsace : le retour du loup. La nuée bleue
  • Planhol de Xavier 2003 Le paysage animal. L’homme et la grande faune : une zoogéographie historique. Fayard
  • Site Zoology by Vadim Sidorovich
  • Suivi du loup en France

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