Janvier 2023 : Un an après l’éruption du volcan sur l’île de la Palma, Canaries

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J’avais visité l’île de Palma l’année dernière en décembre 2021, avant la toute fin de l’éruption du nouveau volcan de la Cumbre Vieja, qui correspond à la partie volcanique la plus active de l’île. On y trouve, outre ce nouveau volcan, d’autres bouches volcaniques non actives, qui se sont formées au cours des 125 000 dernières années.

L’objectif de cette deuxième visite, en janvier 2023, était de parcourir, avec un guide, les parties qui étaient préalablement interdites, afin de voir comment les forêts avaient résisté à la chaleur, aux retombées pyroclastiques du volcan, et aux émissions toxiques de soufre, durant les quelques 3 mois de l’éruption.

Un retour sur l’historique de cette dernière éruption

Cette partie de l’île de la Palma a connu la plus grande quantité d’éruptions de tout l’archipel pour les temps historiques, l’avant-dernière étant celle du sud de l’île, qui a eu lieu en 1971. Les éruptions précédentes avaient eu lieu en 1712 et en 1949. La suivante a été celle de 2021.  

Photo ©Emilio Morenatti /AP

L’événement a débuté par une déformation du sol de plus en plus marquée et s’est prolongée par des secousses sismiques à partir de 2017. L’augmentation spectaculaire de la sismicité a débuté le 11 septembre 2021, avec une irruption du magma au travers plusieurs fissures successives. La première fissure a créé un édifice volcanique, appelé Volcan de Tajogaite, atteignant 100 m en deux jours, par des explosions de type strombolien (avec rejet très haut dans l’atmosphère de gaz et tephras : soit des cendres, lapillis et bombes), et des « fontaines » qui laissent échapper d’abondantes coulées de laves. Ces laves se sont dirigées vers la mer, formant deux deltas de lave dans la mer après un parcours de 6 km au milieu des habitations et de plantations de bananes (principale activité de l’île).

La photo prise ici est prise de l’océan par l’association Ocean Explorer. On voit bien les coulées de lave arriver à la mer

Les explosions de tephra (cendres, lapillis) ont aussi touché les îles voisines de Hierro, Gomera et Tenerife.

Ci-dessous deux images fournies par le guide, et extraites de photos prises par drone en septembre 2021

Les bouches actives du volcan Tajogaite

Cette explosion a été la plus longue de toutes les éruptions recensées pour l’île : 85 jours, entre le 19 septembre et le 13 décembre. Elle a émis une quantité très élevée de matériel (200 millions de mètres cubes) dans une zone habitée.

De nombreuses habitations ont été détruites par les coulées de lave

Les forêts de la Cumbre vieja

Les forêts sont dominées par le pin des Canaries, sur toutes les parties sèches ou à sols volcaniques récents de l’île. Il existe aussi une partie de l’île qui pourrait accueillir des forêts humides, la laurisylve, mais celle-ci a été détruite pour y mettre des cultures, sauf dans certains endroits difficiles d’accès. 

Les pins (Pinus canariensis) de la crête de Cumbre vieja à 1000m d ‘altitude restent petits. Leurs branches sont souvent cassées et ils poussent de manière isolée. Plus bas en altitude, les individus se réunissent en petits groupes, puis finissent par former un couvert plus ou moins continu, traduisant une diminution des conditions de vue vers la vallée.

Le pin des Canaries est remarquablement adapté aux environnements stressants comme les versants les plus secs (200 mm de précipitations annuelles), à toutes les altitudes. On le retrouve aussi dans les parties humides de l’île, mais il est alors concurrencé par la laurisylve. Le pin des Canaries peut aussi supporter le gel et la neige au-dessus de 1700 m. En conditions favorables, il peut atteindre près de 60m de haut et vivre près de 8 siècles selon des études effectuées sur quelques rares exemplaires de très vieux et très grands pins aux Canaries. Le plus célèbre est le Pino gordo, à Vilaflor (île de Ténérife) où il pousse à 1500m d’altitude: il atteint 56 mètres de hauteur pour une circonférence de 26 m, et un âge de 400 ans !

Une visite sur place, le 11 janvier 2023

La sortie guidée a débuté au haut de la montagne, que nous avons progressivement descendu pour s’approcher de la bouche active du volcan. En revanche, il n’était pas possible de grimper sur le volcan, encore chaud, tant sur les pentes (400°C) que dans le cône (800°C).

Le chemin avait été balisé au milieu d’une couche très épaisse de cendres noires. Nous n’avions pas le droit de quitter ce sentier de fortune : en effet, les cendres et autres dépôts volcaniques impriment une physionomie particulière aux paysages tout nouveaux créés par ces projections, qu’il est important de conserver vierge pour l’étudier en détail dans les années à venir.

Curieuse impression de marcher sur ce type de substrat, qui crisse sous les chaussures et remplit les chaussettes ! Le temps était alors à la pluie et au vent, rendant le trajet quelque peu difficile pour les observations.

J’étais venue aussi pour observer la résistance des pins à l’éruption volcanique. Les arbres ont en effet résisté à la chaleur, aux pluies de cendre et aux émissions de soufre continues durant 3 mois, du moins les individus déjà adultes et grands (beaucoup de petits pins sont morts), et seulement ceux qui étaient à une distance importante du cône actif. Les troncs étaient noircis, mais vivants, grâce à une écorce à plusieurs couches imperméables à l’oxygène, qui empêche l’arbre de prendre feu. Par ailleurs, le volcan avait émis des gaz lourds qui se sont accumulés au sol, et qui ont chassé l’oxygène, évitant ainsi les incendies de forêt.

Une observation intéressante était l’apparition de petites aiguilles sur les troncs noircis. En effet, ce pin possède deux types d’aiguilles. Des aiguilles très longues, de 30 cm, groupées en fascicules sur 2 à 3 axes courts ; et des aiguilles plus petites, de couleur glauque, qui apparaissent avant les aiguilles longues. 

Les aiguilles longues retiennent les eaux de brouillard en temps pluvieux et la litière empêche le sol de se dessécher, mais ici, avec l’éruption volcanique, elles limitent la surchauffe après l’éruption… avant de tomber (la litière était très riche en aiguilles) car les pins, abîmés par les émanations gazeuses, doivent éviter une évaporation trop forte. La photosynthèse se fait donc par les autres aiguilles, plus petites, et glauques, protégées contre l’acidité de l’air, la sécheresse et autres stress par une couche de cire qui leur donne cet aspect vert clair. Elles sont apparues en abondance au cours de l’année, par stimulation de bourgeons protégés dans l’écorce très épaisse de l’arbre.  Elles poussent vite, grâce à l’importance des sucres dans la sève.

Certains bourgeons ont aussi servi à réparer les dégâts faits aux branches, qui sont souvent tombées, tuées par le soufre. D’autres branches, souvent à partir des troncs, sont alors apparus. Dans les cas extrêmes, l’arbre est tué. C’est le cas des arbres situés sous le volcan.

Une dernière façon de résister aux événements extrêmes du volcanisme, très typique des pins en général, est de fabriquer très vite des graines lorsque les conditions s’améliorent, afin de renouveler la population adulte. Des semis apparaissent très vite dans la litière ou sur les dépôts même des cendres un an après.

En revanche, les arbres les plus proches du volcan sont presque tous morts, ou mourants. Le paysage est saisissant !

Toutefois, certaines espèces (souvent échappées des jardins plus bas : mûrier, figuier) ont résisté grâce à leur petite taille. Ils reverdissent le paysage jusqu’à quelques centaines de mètres des bouches actives !

Ce palmier semble avoir mal résisté à la proximité du volcan

Les cétacés de l’île de la Palma

Nous avons profité de ce séjour pour faire une sortie en bateau autour de l’île, afin d’admirer les cétacés. Une belle balade en mer, bien expliquée par le guide, et par un très beau temps, et une manière aussi de voir les paysages de la Palma d’une autre manière !

L’embouchure de la caldera de Taburiente

De gauche à droite: Dauphin à bec étroit, rorqual tropical et globicéphale. Ces photos sont données par le guide de la sortie Ocean

Pour finir, une vue sur l’observatoire de Palma, qui se consacre à l’étude des exoplanètes !

L’observatoire des exoplanètes, la Palma

La suite du voyage s’est faite à l’île de Goméra, afin d’y admirer les laurisylves les mieux préservées des Canaries.


Références

Climent, J., Tapias, R., Pardos, J. A., & Gil, L. (2004). Fire adaptations in the Canary Islands pine (Pinus canariensis). Plant ecology, 171(1), 185-196.

Grill, D., Tausz, M., Pöllinger, U. T. E., Jiménez, M. S., & Morales, D. (2004). Effects of drought on needle anatomy of Pinus canariensis. Flora-Morphology, Distribution, Functional Ecology of Plants, 199(2), 85-89.

Stabentheiner, E., Pfeifhofer, H. W., Peters, J., Jiménez, M. S., Morales, D., & Grill, D. (2004). Different surface characteristics of primary and secondary needles of Pinus canariensis. Flora-Morphology, Distribution, Functional Ecology of Plants, 199(2), 90-99.

Génova, M., & Santana, C. (2006). Crecimiento y longevidad en el pino canario (Pinus canariensis Smith.). Invest Agr: Sist Recur For15, 296-307.

Cet article a 2 commentaires

  1. Robert Ponzo

    Volcan et pin des Canaries, un beau programme ! Le “pino gordo” est impressionnant.
    Remarquable comme ce pin est adapté à son milieu.

  2. Emmanuel Torquebiau

    Très intéressant les petites aiguilles vert glauque des pins qui reprennent vite la photosynthèse après l’incendie.

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