Fuerteventura est l’île des Canaries la plus proche du continent africain 100 km des côtes d’Afrique.
Cette île est la deuxième plus grande île des Canaries (100 km sur 25) et d’altitude moyenne basse (44m). Elle se situe à 100 km de la côte nord de l’Afrique. Tout au nord se trouve l’île de Lobos. En hiver, les températures varient entre 15 et 21 °C tandis qu’en été, elles varient entre 20 et 30 °C. Ces températures sont en partie dues au chergui, un vent très chaud venu du Sahara.
(photo ci-dessous à gauche situation de Fuerteventura dans l’Océan atlantique et par rapport à l’Afrique; les deux photos de droite représentent Fuerteventura, son relief et les visites que nous avons faites).
Pour qui a visité certaines îles luxuriantes des Canaries telles que Gomera, Tenerife ou Lanzarote, l’île de Fuerteventura semble bien austère : paysages désertiques de reliefs fortement érodés, creusés de ravins profonds, larges plaines de cailloux et de sables.
La végétation quasi inexistante, se réfugie dans les fonds de vallée, en bordure des ruisseaux temporaires.
En revanche, les grandes plages dunaires du Nord Est et du Sud tranchent par leurs couleurs d’un blanc éblouissant contrastant avec le bleu de la mer. On sent une nature difficile par le climat aride (moins de 100 m de pluie par an), et les vents constants. Fuerteventura attire pourtant les touristes, venus admirer les dunes à Corralejo, les plages battues par les vents, ou les petites criques protégées comme sur l’îlot de Lobos (photo à droite).
Les touristes sont relativement peu nombreux lors de notre séjour en novembre 2017.
Un peu de géologie
L’histoire géologique des Canaries a été présentée dans le lien suivant, auquel je reporte le lecteur. On y lit que Fuerteventura est une des plus anciennes des îles de l’archipel, et aussi la plus proche du continent africain avec Lanzarote.
Fuerteventura est le résultat de quatre grands types de formations géologiques.
Le complexe basal qui s’étend sur 40 km dans la partie occidentale de l’île. Les paysages des montagnes de Beatncuria sont issus d’une surrection au grand jour d’un matériel géologique très ancien (entre 80 et 20 millions d’années), dit plutonique, formé dans des chambres magmatiques du manteau terrestre, à plusieurs kilomètres de profondeur dans la terre. Les roches plutoniques sont en effet différentes des roches volcaniques. Elles se forment par refroidissement lent, par agrégation de grands cristaux, à la différence des roches volcaniques, expulsées brutalement et formées de petits cristaux. Les roches plutoniques de Fuerteventura sont remontées à la surface lors de la naissance de cette île. Elles étaient alors surmontées par des volcans qui atteignaient alors près de 3000 m d’altitude. Depuis 5 millions d’années, l’activité volcanique a disparu, et l’érosion a fait son œuvre.
Les plus beaux paysages de l’ouest se situent à Ajuy, qui outre une plage noire, des dunes anciennes de couleur crème. Au nord de ce port se trouve un ravin célèbre à hauteur de Puerta de la Pena, par lequel Jean de Béthencourt seigneur normand, menant une expédition à partir de 1402 aux Canaries pénétra dans l’île, pour fonder la capitale à Betancuria. Ses grottes sont classées monument naturel
Trois cycles volcaniques successifs de volcans subsistent dans l’île, au nord, au centre et au sud. Le premier correspond à un cycle de volcanisme qui a eu lieu au Miocène, entre 20 et 12 millions d’années. Au cours d’un deuxième cycle de volcanisme ayant eu lieu à la transition entre Pliocène (Tertiaire) et début du Quaternaire, autour de 5 millions d’années, se sont formés les paysages de lave noire et sans végétation, les « Malpais » impropres à l’agriculture (photos ci-dessous)
Le dernier cycle est âgé de moins d’un million d’années. On lui doit quelques magnifiques paysages, comme la « Montagne Colorée » au nord de l’île : quelques minutes avant le coucher du soleil, ces petits volcans arrondis prennent une couleur rouge incendiaire d’une surprenante beauté.
Au cours des derniers cycles volcaniques se sont également déposées les vastes étendues de sables provenant du Sahara, qui forment des dunes plus ou moins encroutées, d’une blancheur immaculée au nord et au sud de l’île.
Le désert : une conséquence des activités humaines
Avant les défrichements, Fuerteventura n’avait pas la physionomie de désert qu’elle a aujourd’hui. En effet, l’eau douce est bien présente sur l’île, notamment grâce à des pluies diluviennes périodiques qui s’écoulent des flans des montagnes, envahissant parfois routes et villages. L’eau s’infiltre ensuite dans les fonds de vallon, rejaillissant plus en aval jusqu’à la mer.
A 500m d’altitude, on trouvait des forêts d’oliviers sauvages, Olea europaea subsp. cerasiformis, de pistachiers de l’Atlas, Pistacia atlantica, un laurier endémique, Laurus azorica. Les euphorbes géantes (plusieurs espèces) occupaient d’autres habitats. On peut encore découvrir des vestiges de ces forêts sur des parois verticales inaccessibles aux chèvres, ou des sites protégés.
Dans les ravins , les forêts étaient constituées d’ un Tamaris (Tamaris canariensis) et un palmier (Phoenix canariensis), tous deux endémiques des Canaries.
Il y une quinzaine de plantes endémiques à Fuerteventura, dont le fameux dragonnier, que je n’ai pas trouver.
D’autres endémiques sont herbacées, comme l’aulaga (Launea arborescens)(photo à gauche) et Pulicaria canariensis (photo au centre). En revanche, le tabac arborescent (Nicotiana glauca)(photo à droite) est originaire du Mexique et du sud-ouest des États-Unis
L’île de Lobos est également peu végétalisée (cf ci-dessous).
En dehors des petits mammifères (chauve souris et rongeurs), les mammifères n’ont pu parvenir à Fuerteventura, malgré la proximité de l’Afrique. Les oiseaux ici sont souvent des sous-espèces endémiques de l’île. J’ai pu admirer certaines d’entre elles, le Pipit de Berthelot (Anthus berthelotii), la pie-grièche méridionale (Lanius meridionalis)(photo du centre), très commune dans l’île, la mésange bleue des Canaries (Cyanistes caeruleus), le grand corbeau (Corvus corax), un des rares corvidés de l’ile, et plus petit que son cousin européen), le faucon crécerelle (Falco tinnunculus), la buse variable (Buteo butea ssp insularum). D’autres hivernent comme le courlis corlieu (Numenius phaeopus) que j’ai pu aussi apercevoir. Malheureusement je n’ai pu observer des espèces plus localisées typiques de l’avifaune d’Afrique du nord, comme l’Outarde houbara (Chlamydotis un dulata ssp fuertaventurae) malgré des recherches actives dans leurs sites au Sud Est de l’île)(photo de gauche).
L’écureuil de Barbarie (Atlantoxerus getulus), un hôte envahissant et familier (photo de droite). Un couple de ces écureuils d’écureuil a été introduit en 1965 à Fuerteventura ; depuis l’espèce est devenue envahissante. La plupart des prédateurs de Fuerteventura l’ont incorporé dans leur régime alimentaire (chat, buse, faucon, corbeau, busard).
Histoire de la colonisation humaine
A l’échelle des îles Canaries, les migrations humaines ont eu lieu plusieurs fois, mais chaque île présentait une forte individualisation culturelle, notamment avec le continent tout proche en raison de la force et de la direction des courants marins qui n’aident guère à revenir sur le continent.
L’arrivée de l’homme pourrait être très ancienne. En effet, des restes de souris domestique ont été trouvées dans le site paléontologique de la Cueva del Llano, daté du cinquième millénaire av. J.-C. Les hommes seraient arrivés par des radeaux, toujours pour la même raison : une intensification de la présence humaine sur les côtes d’Afrique du Nord. L’arrivée de ces hommes aurait été favorisée par une période climatique plus humide qui aurait permis la traversée du courant rapide et froid des Canaries. Lors du retour de phases arides, la colonisation humaine n’a plus pu se réaliser durant quelques millénaires.
Les données archéologiques canariennes ont détecté une présence humaine dès le milieu du premier millénaire av. J.C., autour de 1830 av J.C. Des Africains poussés par une croissance démographique des côtes occidentales, sont arrivés sur cette île par bateaux pontés, visible par temps clair, sans essaimer sur les autres îles. Ce peuple a alors développé une culture spécifique, celle des Majos. Les traces des Majos restent toutefois rares. Les plus impressionnantes sont le village berbère près de Pozo Negro sur la côte Est, fait de huttes rondes en pierres de lave (ci-dessous)
Ces hommes ont apporté des animaux domestiques, chiens, chèvres, moutons et porcs. Ces animaux sont typiques de races sélectionnées par les peuples préhistoriques et protohistoriques des zones de l’Atlas, de Fezzan et de Tassili, et aussi d’Egypte ancienne. Ce sont également les Majors qui ont gravé les trois cents pétroglyphes en forme de voûte plantaire, qu’on trouve concentrés au sommet de la montagne volcanique sacrée de Tindaya vers le nord de l’île.
Lieu sacré et de culte pour les anciens habitants de l’île, le volcan éteint de Tindaya comporte sur son sommet des pétroglyphes énigmatiques en forme d’empreintes de pied.
Ce lieu est interdit d’accès, en raison des déprédations faites sur les pétroglyphes. Il y a aussi une contestation locale, car un projet pharaonique imaginé par le célèbre sculpteur Eduardo Chillida serait encore d’actualité. Il souhaite créer un espace artistique à l’intérieur de la montagne, en perçant des ouvertures afin que la lumière du soleil et de la lune y pénètrent jusqu’à une chambre intérieure. Il s’agit d’une « œuvre de tolérance » d’un coût évalué à 25 millions d’euros. Les opposants ayant occupé la montagne, sa visite est à présent interdite aux promeneurs.
Mais les gravures rupestres existent sur bien d’autres endroits de l’île. On les trouve sur des parois rocheuses des ravins, sur des blocs de pierres, sur des laves colorées. Certaines sont groupées, d’autres isolées. Une excellente étude en a été faite en 2011 (cf livre ci-dessous). Il s’agit le plus souvent de formes géométriques, abstraites (carrés, lignes pallalèles), ou figuratives (empreintes de pied, bateau, échelle). Leur signification fait l’objet de débats.
L’ingéniosité de l’homme à capter l’eau : un élément essentiel pour la survie des populations en dépit de l’aridité du milieu
L’île permet de supporter de petites populations humaines grâce à des précipitations certes irrégulières et de type torrentiel, mais qui une fois canalisées supportent une agriculture durable. La preuve, Fuerteventura a été le grenier des Canaries ces derniers siècles, jusqu’à la récente déprise agricole. Les vestiges de cette agriculture ingénieuse sont nombreuses dans les paysages actuels. Certaines montagnes aux reliefs doux supportent une « agriculture du sec », par un système de petites terrasses successives, qui couvrent d’impressionnantes étendues dans certaines montagnes, comme la vallée de Vallebron.
Ces terrasses sont construites également dans les lits des rivières temporaires qui creusent les flans des vallées. Dans les lits asséchés, on plante alors des légumes, quelques arbres fruitiers. Les gavias sont d’autres techniques communes aux pays à climat arides, propices à retenir l’eau de ruissellement et les sédiments tout en minimisant l’évaporation. Ce sont des sortes de cuvettes en terre, entourées de murs en terre et reliées entre elles à partir du flanc de coteau, dans des zones proches des ravins. Cette culture d’irrigation collective qui a pris son essor dans les années 1930, permet de cultiver, après les pluies, fruits et légumes. Dans les zones plus sèches, la culture est de type céréalier (blé, millet, orge), légumineuses (lentilles) et de légumes (ail, pomme de terre). En bordure des gavias on plante le palmier canarien, souvent accompagné par le tamaris endémique lorsque les eaux sont légèrement salées.
Outre des zones de culture, les paysages sont émaillés de grandes mares (pour abreuver les animaux domestiques), des réservoirs au fond imperméable, au fonctionnement complexe, muni de rigoles, de murets et dont l’eau était transporté par des dromadaires, et de puits profonds atteignant les nappes qui permettaient de faire une culture d’irrigation dans les paysages les plus favorables à l’agriculture ; l’eau a été amenée en surface au XXème siècle par des moulins à vent ou au diesel, provenant d’Allemagne ou d’Angleterre puis après la Grande Guerre, des Etats Unis.
sur les photos ci-dessous, on voit combien les villages peuvent être florissants dans un contexte sec. Le dromadaire est même sculpté dans certains villages! les moulins anciens sont préservés dans les musées. Sur la photo de gauche, le village de Betancuria.
Un excellent livre expliquant l’agriculture du sec, datant de 2010, était en vente en 2017 (cf le titre photo à gauche ci-dessous). Des images convaincantes de conservation de l’eau y sont publiées, que je reproduis ici.
Ces paysage agraires et paysages d’eau se sont détériorés ces dernières décennies avec le déclin des activités agricoles au profit du tourisme. Les murets de pente et de ravins s’écroulent, envahis par des plantes rudérales (cactus, tabac glauque, ou espèces épineuses locales typiques des stades de colonisation).
Le paysage végétal a en effet été profondément marqué par l’abroutissement par les chèvres qui constituaient un important cheptel dans le passé. Ces chèvres sont cependant encore bien présentes sur l’île (70 000 en 1998, auxquels s’ajoutent les 4000 à 20 000 individus ensauvagés qui vivent sur les terres improductives. Ces chèvres sont maintenant confrontées à un nouveau problème, l’intoxication par la consommation du tabac glauque qui provoque notamment des avortements spontanés.
Pour protéger la biodiversité unique de l’île, une grande partie a été classée en réserve de la biosphère en 2009, mais il y a d’autres titres de protection, comme le parc rural de Betancuria, aux affleurements géologiques de complexe basal, qui protège sur 16 000 ha plusieurs sommets montagneux (cf première photo du texte) et le monument naturel d’Ajuy. De nombreuses plantes et animaux sont aussi protégés.
Toutefois des problèmes de survie sont soulevés pour certaines espèces. Ainsi, la sous-espèce canarienne du vautour percnoptère (Neophron percnopterus ssp majorensis)cf photo ci-dessous (photo Internet), naturellement présente sur les îles macaronésiennes, s’est récemment considérablement réduite. Il ne reste d’individus qu’à Fuerteventura et Lanzarote, où la population continue à se réduire depuis environ 20 ans. Pourtant la nourriture abonde dans l’île, grâce à la présence de troupeaux de chèvres, captives ou en liberté, de moutons, vaches, chevaux, dont les vautours consomment les cadavres laissés sur place. Une possibilité pourrait être les causes indirectes de la lutte par le poison contre la prolifération des animaux féraux (chiens, chats, buse, corbeau). Des programmes de protection sont mis en place, incluant à la fois la mise en garde de la population contre les dangers de l’épandage de poisons, la protection des sites de nidification, l’élevage de poussins en zoos, suivis de lâcher dans toutes les îles des Canaries.
Quelques autres sites à visiter
La vierge de la Pena se trouve dans l’église de Sainte Marie de Betancuria, dans un retable en bois du XVe siècle. Curieusement, cette vierge est représentée avec une lune, qui est un symbole païen. C’est la sainte patronne de l’île
L’église de Pajara
Sur la façade de l’église de Pajara près de Betancaria, se trouve des sculptures plutôt insolites, d’influence aztèque. Sur la photo de gauche au-dessus du portail, deux serpents se mordent la queue, l’un enfermant le soleil, l’autre la lune. Au-dessus des serpents, se trouve un personnage féminin aux traits amérindiens, avec plumes, entouré de hommes emplumés et deux pumas. Ce serait une cérémonie aztèque Le tout surmonté d’une croix, qui devrait montrer la christianisation de ces peuples préhispaniques.
Sur l’île de Lobos, une statue peu avenante acueuille les visiteurs à l’entrée de l’île, à côté de sculptures de phoques (phoques moines disparus bien longtemps), une statue représentant Josefina Pla, écrivaine, céramiste et présentatrice radio paraguayenne née sur l’île en 1903 (et décédée à Asuncion en 1999).
En conclusion de ce petit voyage, je retiens quelques faits essentiels : à quel point la nature a été transformée par les vagues de populations humaines depuis des millénaires, tant par les extinctions que les apports d’espèces (un classique pour les îles proches des continents, et de surcroit naturellement vulnérables par les climats); et combien ces populations humaines ont été habiles à survivre dans un tel milieu. Fuerteventura est décidément une île pleine de surprises !
Références
De Menocal P., Ortiz J., Guilderson T., Adkins J., Sarnthein M., Baker L., Yarusinsky M. 2000. Abrupt onset and termination of the African Humid Period: rapid climate responses to gradual insolation forcing. Quaternary Science Reviews 19, 347-361
Gaillard M.C. (1934) Contribution à l’étude de la faune préhistorique de l’Egypte. Archives du Muséum d’Histoire Naturelle de Lyon 14:1-121.
Donazar J.A., Palaiosa C.J., Gangosoa L., Ceballosa O., Gonza M.J., Hiraldoa F. 2002. Conservation status and limiting factors in the endangered population of Egyptian Vulture (Neophron percnopterus) in the Canary Islands. Biological Conservation 107, 89–97.
Michaux J. La souris, les rongeurs endémiques et l’implantation humaine sur les îles Canaries 2007 https://www.cairn.info/revue-diogene-2007-2-page-78.htm
Deux livres: El paisaje del agua en Fuerteventura, 2010. Unidad de patrimonio cultural cablido d Fuerteventura
Grabados upestres de Fuerteventura 2011 AZrqueofuer. Estudios patrimoniales.
La vierge de la Pena, protectrice de l’île, se trouve dans la belle église de Vega de Rio Palma, à environ 3km au sud de Betancuria. Je l’y ai photographiée l’an dernier, mais je ne sais pas comment joindre la photo, la même bien sûr que la vôtre.
Merci pour votre étude passionnante.
Il a plus voici environ 3 semaines et plein de petites plantes ont poussé et fleuri.
Vous ne mentionnez pas l’adorable petit camachuelo, roselin gitagyne, on en voit moins hélas. Il y a moins aussi de tourterelles. Il a dû y avoir un programme très efficace de dératisation, c’était un mal nécessaire. Ça pullulait…