Le lynx

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Quelques rappels pour commencer

Le lynx est inscrit sur la liste rouge des espèces protégées, Annexe 2 (CITES). Il est inclus dans la catégorie « préoccupation mineure » pour l’UICN (2012). C’est une espèce de la Directive européenne annexes II et IV de la Directive « Habitats » de l’Union Européenne.

En France, l’espèce est considérée comme en danger, protégée sur le territoire national par l’arrêté ministériel du 22 juillet 1993 publié à la suite des premières observations attestées du loup en France (mis à jour le 23 avril 2007). Ce statut implique pour les États, donc pour la France, de veiller à la conservation de l’espèce et de ses habitats.

Histoire du lynx dans l’Est de la France

L’histoire du lynx diffère de celle du loup. Espèce plus discrète, il n’a guère laissé de traces dans les écrits locaux. Mais l’archéozoologie apporte d’autres témoignages de la présence de l’espèce. En effet, depuis 2004, la création d’une base de données nationales au Museum d’Histoire Naturelle de Paris permet de collecter les données bioarchéologiques de toute la France. On apprend dans un article de synthèse de Callou en 2001 que le lynx est signalé dans le Haut-Rhin du Néolithique à l’âge des métaux (2100-52 av. J.C.), puis l’époque gallo-romaine. Autre donnée provenant d’un site proche de l’Alsace, la présence d’ossements de 1635 restes d’animaux sauvages, incluant le lynx, mais aussi l’ours au château de Sponeck, à Jechtingen (Bade-Wurtemberg), face à la ville de Colmar en plaine du Rhin.

De l’époque moderne, le texte le plus ancien pour les Vosges du nord date de 1638. Découvert par l’historien Philippe Jehin, il décrit une chasse au lynx dans une lettre adressée au comte de Hanau-Lichtenberg. Ce lynx, qui avait attrapé un chevreuil, en avait dévoré un cuissot s’est enfui devant un forestier. Ce dernier l’a rattrapé et l’a tué par balle, proposant la consommation du lynx au seigneur. Il semblerait donc que le lynx puisse constituer un mets comestible au XVIIe siècle. Peut-être en était-il ainsi pour le lynx du château de Sponeck, tout comme l’ours, qu’on consommait également dans le passé. D’autres auteurs comme Lavauden considèrent que le lynx n’aurait disparu dans les Vosges en 1830.

Un autre îlot tardif est situé dans les Vosges. Daniel Spekle affirme dans la légende de sa carte d’Alsace dressée en 1576 qu’ils y sont nombreux. Par ailleurs, la coutume d’Orbey, dans sa rédaction de 1564 contient un article qui règle la chasse du lynx, et les redevances y afférant envers les comtes de Ribeaupierre, auxquels ils devaient faire parvenir toute dépouille de l’animal, à charge pour lui de la payer. Des auteurs ultérieurs le mentionnent encore comme présent au début du XVIIIe siècle. Gérard le considère comme disparu en 1871.

Autre différence avec le loup : si ce dernier est revenu naturellement par l’Italie, le lynx, lui, a été réintroduit dans les Vosges. Plusieurs articles et livres font état de son histoire. Citons Véronique Herrenschmidt en 1990, Jean-Claude Génot en 2006, Alain Laurent en 2009, Pierre Athanaze en 2014.

L’idée de la réintroduction du lynx dans les Vosges a fait suite à celles qui ont eu lieu au cours des années 1970, dans le Jura et les Alpes suisses. Cette réintroduction est suivie d’une recolonisation naturelle dans le Jura et les Alpes françaises entre 1970 et 1980. En 1977, une demande officielle de réintroduction du lynx dans les Vosges, qui se concrétise en 1983. Au total 21 individus, 12 mâles et 9 femelles sont introduits dans les Vosges, qui sont suivis par radiopistage durant quelques mois, ce qui révélera que plusieurs individus sont morts peu de temps après leur lâcher, certains suite à une maladie, d’autres ayant été abattus illégalement. Plus aucun suivi par télédétection n’est réalisé à partir de 1994 et seuls des indices de présence sont alors recensés. Cette population s’est maintenue durant une vingtaine d’années, en diminuant au cours de la dernière décennie, malgré une remontée de lynx par le Jura. Des actes répétés de braconnage en ont eu raison.

Depuis 2016, le programme Life a permis la réintroduction de 20 lynx dans la forêt du Palatinat (Rhénanie-Palatinat) : 12 femelles et 8 mâles, capturés en Suisse et en Slovaquie. En mars 2020, le dernier lynx a été relâché mettant un terme à cette politique de réintroduction. Le programme a abouti en Allemagne à quelques 17 naissances. Côté français, le suivi de la colonisation des Vosges du Nord par les lynx est effectué par les membres du réseau loup/lynx sous la coordination de l’Office français de la biodiversité et l’Office des Carnivores sauvages (OCS) qui a aussi des membres actifs dans les Vosges, du nord et du sud.

C’est en 2017 que les premiers lynx du programme Life passent la frontière. Deux d’entre eux, des mâles, s’installent dans le massif vosgien. En mars 2020, une femelle, Lycka, les y rejoint. Une portée de deux jeunes de cette femelle a été découverte dans les Vosges du Nord en 2021.

Toutefois, la population vosgienne est fragile : sur la dizaine de lynx des Vosges, il n’y a qu’ une seule femelle, Lycka. Un risque majeur pour cette population est celui des accidents lors de leurs traversées d’axes routiers, ainsi que le braconnage et la consanguinité qui est couramment évoquée dans la population d’Europe de l’Ouest.

Un article récent, publié dans le quotidien les Dernières Nouvelles d’Alsace, est plutôt alarmant. Réunis au Parc animalier de Sainte-Croix à Rhodes, des spécialistes du lynx ont débattu samedi 21 mai de la situation de l’espèce dans le massif des Vosges. Pour eux, il y a urgence à procéder à de nouvelles réintroductions car la population actuelle très faible, n’inclut que cette seule femelle ! Sans la réintroduction de femelles, l’espèce connaîtra sa 3e extinction dans le massif des Vosges.

Entre le 13 et le 15 juin 2022, la femelle Lycka est photographiée plusieurs fois dans la forêt domaniale de la Petite Pierre. Une des photographies a été prise sur un tas de bois : la femelle n’a pas bougé lorsqu’elle a été approchée pour faire la photo ! Une autre photo a été prise lorsque cette femelle était couchée dans les hautes herbes. On la retrouve traversant rapidement une route, toujours dans le même lot de chasse.

Notons que Gérard Lang, qui est titulaire d’un doctorat sur l’écologie du cerf, connait bien l’écologie de l’écosystème vosgien, et tout à fait ravi d’accueillir sur sa chasse ou les forêts avoisinantes, le seul lynx femelle qui puisse pour le moment assurer la reproduction de l’espèce dans les Vosges !

La femelle Lycka s’est installée sur un tas de bois
La femelle Lycka dissimulée dans un buisson

Qu’en est-il dans le massif du Donon ?

On l’a compris, détecter un lynx n’est guère évident. L’histoire des lynx dans le Donon ne peut donc qu’être incomplète. Lorsqu’une présence est détectée, il est donc fort possible que l’animal ait été dans le secteur depuis longtemps.

Des lynx ont été aperçus çà et là. Emmanuel Schnitzler a eu cette chance en 2008, en novembre. Le lynx attendait sagement en position assise en bordure de route proche d’une prairie près de Rothau. Il s’est éloigné lentement lorsque la voiture a passé près de lui.

Images recueillies par Emmanuel Schnitzler

Quelques années après, au cours de l’hiver 2012, des empreintes et des pistes ont été repérées, une proie (faon de cerf) a été retrouvée et 5 pièges photographiques ont été posés par Alain Laurent (animateur Réseau loup-lynx, Franche-Comté & Massif vosgien). Ces appareils, mis à disposition par le CROC (Carnivore Recherche Observation Conservation), ont été disposés dans différents secteurs du massif à partir du 3 mars 2012. Un lynx mâle y a été photographié plusieurs fois entre Grandfontaine, Abreshwiller et Lutzelhouse : il était reconnaissable aux caractéristiques de son pelage, et surtout au fait que son oreille droite semble être coupée à la base, ce qui lui a valu d’être surnommé « Van Gogh ». Suite au vol et à la dégradation d’une partie du matériel en place, le suivi a alors été arrêté. Par la suite, aucun nouvel indice de présence n’avait été collecté dans le secteur. Deux ans plus tard, on constate que Van Gogh a disparu.

Un lynx mâle, dénommé Letty, a été récemment détecté dans le massif du Donon. Un premier indice est détecté par Frederic Preisemann à la fin de l’hiver, début 2021. Tout début mars, le mâle vocalise à partir de 23h, selon Vincent Michel. Des traces sont ensuite régulièrement relevées au cours des mois suivants : mars et avril, où l’animal est plusieurs pris en photo ou en caméra par plusieurs observateurs, membres de l’Observatoire des carnivore sauvages et l’OFB. Des photos sont ensuite régulièrement prises au cours de l’année 2021 et 2022, jusqu’à ce début d’été 2022, par ces mêmes observateurs, démontrant que l’animal parcourt un vaste territoire, tout comme le seul loup mâle du massif.

Images recueillies par Guillaume Greff
Les traces du lynx sont clairement visibles sur cette chaume enneigée
Le lynx a parcouru le même chemin que des promeneurs à quelques heures de distance.

Un lynx marquant l’arbre où se trouve une caméra. Images captées par Emmanuel Schnitzler


Références

Athanaze P. 2014 Qui veut la peau du lynx ? Libre & Solidaire

Génot J.C. 2006 Vivre avec le lynx. Editions Hesse

Gérard C. 1871 Faune des mammifères d’Alsace Colmar, Barth

Jehin P. 2002 Une chasse au lynx Lichtenberg en 1638. Société d’Histoire et Archéologie de Saverne et environ. Cahier Varia, 200, III, 11-12.

Laurent A. 2009 Sur la piste du lynx Saint Brice Editions,Illfurth

Lavauden L. 1930 Essai sur l’histoire naturelle du Lynx. Imprimerie Allier père et fils

Observatoire des Carnivores Sauvages (OCS). Association pour l’étude et la conservation des carnivores sauvages. ocs.asso@gmail.com

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