Forêts magellaniques et milieux naturels de Patagonie

  • Post category:Voyages et forêts
  • Temps de lecture :60 min de lecture

Qu’appelle-t-on forêts magellaniques ? Ce sont des forêts vivant dans les régions tempérées, et incluant des espèces qui perdent leurs feuilles en hiver (feuillage caduc), et d’autres espèces qui les conservent plusieurs années. Celles qui vivent en Patagonie, correspondent aux les forêts les plus australes au monde. Elles sont composées par ce qu’on appelle communément le hêtre austral (genre Nothofagus), avec trois espèces : Nothofagus pumilio, un arbre de relative grande taille à feuilles caduques, N. antarctica de petite taille et à feuilles caduques, et N. betuloïdes à feuillage persistant et de petite taille.

Le climat du bout de l’Amérique du Sud est rude: vents chargés d’humidité et de froid, en raison de deux courants frois: celui de Humboldt, qui longe l’Amérique du Sud côté ouest, et le courant antarctique, qui tourne autour de l’Antarctique, qui envoie des masses d’air humides et fraiches sur ces forêts proches des pôles. Le brouillard est aussi très fréquent.

De telles forêts à 1000 km des côtes de l’Antarctique est plutôt étrange, mais cela s’explique par la particularité géographique de l’extrémité de l’Amérique du Sud, et de la Patagonie en particulier : une bande étroite de terres entourée par de grandes masses maritimes. Ces vastes mers tamponnent les extrêmes des températures provenant de l’Antarctique, empêchant les hivers gelés, et favorisant des pluies importantes. Des zones très arrosées, fraîches l’été et à hivers relativement doux conviennent bien à ces forêts de feuillus, qu’on retrouve jusqu’au cap Horn !! toutefois, les vents violents desséchent ou cassent les branches, ce qui explique que sur les côtes, certains arbres soient tordus et de très petite taille. Ces conditions expliquent aussi l’abondance du bois mort dans les forêts.

Pourquoi explorer ces forêts

Ce voyage en Argentine s’est produit entre novembre et décembre 2011. Le but était d’aller visiter les forêts pluviales d’Amérique du Sud, qui se développent jusqu’en Terre de feu, à 1000 km des glaces antarctiques. Mais cela a été aussi l’occasion de visiter ce bout de coin du monde, et de côtoyer les paysages traversés par Charles Darwin, et quelques siècles auparavant, par Magellan.

Une première étape a été la visite de Buenos Aires, mégapole impressionnante et moderne, la capitale du tango !

La suite du voyage nous a menées en Patagonie. Tout d’abord à El Calafate, puis à Ushuaia.

El Calafate est une petite ville touristique en bordure du grand lac Lago Argentino à la couleur bleu laiteux, comprenant de petits icebergs provenant des glaciers. Un ibis d’allure spectaculaire (l’Ibis melanopis ou ibis à tête noire) arpentait les toits des maisons. Un oiseau très peu farouche

En fin d’après-midi, nous avons fait un tour à la Laguna Nimez, réserve urbaine en bordure du Lago Argentino, pour observer les oiseaux.

On y observe de nombreux flamants (Phoenicopteris chilensis), un canard (Anas platatas) à bec noir, et une oie (Chloephaga picta) très commune autour du sentier de découverte.

Autour de ce magnifique lac s’étend la steppe patagonienne aride. Le temps était alors froid et venteux, mais ensoleillé.

De El Calafate nous avons effectué plusieurs visites aux glaciers les plus impressionnants des Andes : celui d’Upsala et de Perito Moreno, tous deux situés pour partie dans le parc national Los Glaciares en Argentine.

Le glacier d’Upsala, atteint après une heure de bus dans des paysages semi-arides, évolue dans une large vallée totalement boisée de hêtres austraux, qui descendent jusqu’au niveau de l’eau. Nous prenons un bateau pour s’en approcher de près

Le Perito Moreno est encore plus impressionnant que Upsala. Ce glacier, situé à 187m d’altitude, fait 5-6 km de front, Sa longueur est de 30 km et les glaces 70 m de hauteur !

Le marnage fait plus de 30 m. Par endroits, on voit bien les stries glaciaires sur les rochers mis à nu. Sur la photo de gauche, on voit la chute d’un morceau de glace dans l’eau, qui fait une grande vague.

En bordure du glacier et du lac, dans les endroits défrichés, se développe le « firebush » (buisson de feu, Embothrium coccineum), une Protéacée, qui flamboie au cours de ce printemps.

Firebush, en fleur

La troisième visite dans le parc national Los Glaciares a été celle de El Chalten. Le cerro Chaltén (ou cerro Fitz Roy) est une montagne située près du village d’El Chaltén, en Patagonie, à la frontière entre l’Argentine et le Chili.

Le “pain des indiens” est en fait un champignon Cyttaria darwinii, fréquent sur les troncs et les branches, et fait en ce moment de belles fructifications jaunes comestible.

L’altitude du Fitz Roy, magnifique montagne pointue, est de 3 405 mètres.

Le mythique Fitz Roy

Le rio Fitz Roy est de toute beauté, avec un cours naturel et de nombreux bois morts.

Balade au milieu des forêts jusqu’à un petit lac à proximité du FitzRoy.

Le champignon, Cyttaria darwinii est fréquent sur les troncs et les branches, et fait en ce moment de belles fructifications jaunes (pan de los Indios), et qui contient des larves de diptère. L’arbre ne meurt pas et se défend en faisant tomber les branches, ou en formant de gros chancres. Sur la photo de gauche ci dessous, un hémiparasite, (Myzodendron sp) qui prolifère surtout lorsque l’arbre est stressé. Une plante hémiparasite n’est que partiellement parasite : elle effectue la photosynthèse, mais puise certains éléments nutritifs vitaux dont elle a besoin, sur des plantes hôtes

Cela pourrait expliquer l’abondance des branches au sol. Comme le climat est froid, et la décomposition lente (quoique la litière soit rare au sol) ces branches s’accumulent. L’humidité explique la présence d’un lichen abondant sur les troncs , Usnea barbata.

L’aspect des forêts change avec l’altitude et l’exposition au vent. Vers le FitzRoy, les arbres sont tordus, petits, et perdent leurs feuilles dans la canopée. L’ouverture des forêts par les sentiers ou la pâture les fragilisent aussi sans doute.

Dans les prairies ou les parties défrichées, le firebush (Embothrium coccineum), une Protéacée, flamboie au cours de ce printemps (à droite ci-dessous). Au sol, on peut admirer des tapis de Anemone multifida, anémone jaune blanc, (au centre) et une belle Scrophulariacée à feuille jaune (Calceolaria uniflora) (à gauche).

Tierra del Fuego : le bout de l’Amérique du Sud, proche du cap Horn !

Arrivées à Ushuaia, nous visitons cette ville très animée, et d’où partent les bateaux vers l’Antarctique. Ushuaia est une petite ville industrielle et touristique, en bordure du canal Beagle (découvert par le marin et explorateur Fitz Roy, et parcouru par Darwin).

La visite du musée maritime s’imposait pour connaitre l’histoire de la Terre de feu. Ce musée était une ancienne prison, où étaient enfermés des prisonniers politiques et de droit commun. Leurs souffrances sont bien mises en évidence dans les couloirs et les anciennes cellules, par des dessins.

Des peintures soulignent la dangerosité du canal de Beagle. Le célèbre bateau de Fitz Roy y est aussi représenté.

On y trouve aussi de nombreuses peintures représentant les ethnies amérindiennes, totalement décimées ou disparues. Les Yamanas occupaient le canal Beagle. Dans le musée, ils sont représentés avec un cache sexe alors qu’ils étaient nus en réalité. Ces hommes seraient venus il y a 10 000 ans, et auraient pu provoquer l’extinction de la mégafaune (Mylodon ou paresseux, chevaux, un grand renard).

Le triste passé des Yamanas a été peint sur des murs de la ville, mais on y trouve aussi de nombreux dessins de l’oppression argentine moderne sur son peuple.

Nous faisons une belle balade autour d’un lac proche. 

Par endroits, la forêt semble totalement morte. Les forêts aux alentours ne sont plus exploitées depuis plusieurs décennies, depuis que la ville se chauffe au gaz (poches de gaz). Elles sont très riches en bois mort. Les arbres sont par endroits riches en plantes hémi-parasites (Myzodendron sp) qui prolifère surtout lorsque l’arbre est stressé.

Au fond des vallées, les castors, importés d’Amérique du nord pour leur fourrure et échappés des élevages, se sont reproduits dans la nature et font des barrages sur les rivières. Comme ils ne sont pas natifs de l’Amérique du sud, ils sont considérés comme une nuisance.

Barrages édifié par le castor d’Amérique, importé pour sa fourrure et ici ensauvagé

Sur une île privée, propriété de l’estancia Harberton. La voiture fait 80 km dans des milieux plus ou moins ouverts avec des lacs. Les forêts sont non exploitées et semblent à moitié mortes, avec forte accumulation de bois mort.

L’estancia Harberton se situe dans une anse du Canal de Beagle, où les descendants de Thomas Bridges continuent d’entretenir et de gérer la première estancia de l’histoire de la Terre de Feu.  À cette époque, les habitants étaient les chasseurs-pêcheurs amérindiens Yamanas. Thomas Bridges avait appris la langue Yamana auprès d’indiens durant son enfance aux Malouines. Ces hommes ont été chassés et décimés par les maladies du vieux continent. Thomas Bridges quitta la mission en 1886 pour continuer ailleurs son travail sur la langue Yamana et son combat pour la protection et la survie du peuple natif. Il s’installa dans cette région proche du canal de Beagle, et baptisa ce site déserté par les Amérindiens. Harberton, du nom du village natal de sa femme anglaise.

Sur l’île, on suit un petit sentier autorisé, où plusieurs centaines de pingouins (Spheniscus magellanicus) se reposent sur la grève. A l’arrière, on voit de nombreux nids creusés dans le sol , qu’on retrouve aussi dans les collines adjacentes. Cette espèce est ici très abondante.

Une trentaine de nids de pingouins papous (Pygosalis papua) d’origine antarctique, se situe un peu plus loin et même un individu isolé de manchot royal (Aptenodytes patagonicus)!  Ces oiseaux nichaient jusque dans le détroit de Magellan, mais ont été décimés.

Au centre, un manchot royal. A l’arrière, une forêt aux couronnes obliques en raison des vents violents.

Nous avons visité en bateau les îles au large d’Ushuaia dans le canal de Beagle. Une île, baptisée ïle aux lions est le lieu de repos des lions de mer (Otaria byronia).

La faune est riche : huîtrier noir (Haemotopus ater) au pied d’une colonie de pingouins de magellan, sternes (Gaviotin sudamericano). Cormoran (Phalacrocorax magellanicus), canard (Tachyeres leucocephalus). Tout autour, de très beaux paysages avec hautes montagnes des Andes.

La dernière étape de notre voyage a été la visite du Parc national de la Terre de Feu, au-dessus de Bahia La Pataya .

La forêt est ici en meilleur état, avec des arbres atteignant 35m de hauteur, avec sous-bois de petits buissons (Empetrum) et « Vanillo », buisson à larges feuilles laurifoliées.

J’ai eu la chance d’observer un pic de Magellan (Campephilus magellanicus)  : une femelle sur une branche, un mâle inspectant un tronc mort. Ce pic est le seul à avoir traversé le détroit de Magellan et à s’établir en Terre de feu !

Pic de Magellan, plutôt timide derrière les arbres

Une dernière visite a été d’embarquer dans le petit train dit « du bout du monde », pour voir les paysages où travaillaient les bagnards. Cette visite est finalement de peu d’intérêt, tout semble artificiel (employés déguisés en conducteurs alors qu’il s’agissait d’un bagne). Le train à vapeur a été reconstitué en Europe.

Ce voyage du bout du monde a été riche d’enseignement, mais je n’ai pas réussi à voir le cap Horn, et j’ai vu des voyageurs embarquer pour l’Antarctique. Je me suis promis d’y retourner pour aller encore plus loin au bout du monde !

Laisser un commentaire