Mes deux séjours en forêt guyanaise française

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La Guyane française est connue pour sa base spatiale de Kourou, mais elle l’est sans doute autant pour ses forêts, qui s’étendent à l’infini derrière la bande côtière atlantique. Ce manteau forestier fait partie du même vaste complexe géologique qui s’étend de l’Amazone à l’Orénoque (un autre grand fleuve d’Amérique du Sud). Il est constitué par un socle de roches très anciennes (2,5 milliards d’années), réduites par l’érosion en une pénéplaine faiblement ondulée faite de collines, dont seuls émergent quelques massifs granitiques isolés, entre 400 et 900m d’altitude.

L’influence amérindienne s’est beaucoup atténuée ces derniers siècles, suite à la conquête européenne. S’en est suivie une anthropisation bien plus forte, par des activités d’extraction de l’or, de braconnage de bois et d’animaux, entre autres pillages. Citons, entre la fin du XIXe siècle et les années 1930-40, l’exploitation intensive du bois de rose (Aniba rosaeodora, Lauraceae), et du balata (Manilkara bidentata, Sapotaceae).

Plus récemment enfin, les nouvelles techniques ont permis d’exploiter l’or au fond des rivières et dans des zones auparavant difficiles d’accès. Ce fait, combiné à l’augmentation du prix de l’or, a motivé une nouvelle ruée vers l’or en Guyane depuis 1999. La zone a été exploitée intensivement et illégalement au cours des années 2000.

Vers l’intérieur des terres débute la forêt tropicale humide intacte, globalement entre deux fleuves côtiers, le Maroni et l’Oyapock. Elle recèle autant d’espèces végétales (certes différentes) en un hectare, que toute la France métropolitaine !

1990 : collecte de plantes avant la mise en barrage du fleuve Sinnamary

Un premier voyage, effectué en 1990, avait pour but de collecter des plantes le long du fleuve Sinnamary avant la mise en place du barrage. Cette dernière a eu comme conséquence désastreuse d’ennoyer toute la vallée, si riche en biodiversité. Une autre conséquence liée à la suppression d’obstacles dans le lit du fleuve (on appelle cela des sauts) a aussi facilité la remontée des orpailleurs illégaux, créant des problèmes toxicologiques pour les populations et écotoxicologiques pour tout l’environnement. La chasse illégale s’est également développée, qui fournit Kourou et les villes du fleuve en gibier prélevé dans la jungle.

Ce séjour de 8 jours en pleine jungle s’est effectué en compagnie du botaniste Michel Hoff, de l’ORSTOM (Office de la recherche scientifique et technique outre-mer) de Cayenne. Nous avons parcouru ce fleuve en canoë, nous arrêtant dans des camps forestiers et nous baignant dans l’eau du fleuve.

Après la mission, nous avons visité les plages au nord de Cayenne, où venaient pondre les tortues de mer.

Mars 2006 : étude des lianes, Nouragues

Je suis retournée en Guyane pour une autre mission botanique (étudier les lianes forestières), invitée par des scientifiques du Museum d’Histoire Naturelle de Paris, à l’initiative de Bernard Riera, chercheur en écologie tropicale. J’ai séjourné 3 semaines dans le camp de base de la station des Nouragues.

La station scientifique des Nouragues, où est établi le camp de base, a été créée en 1986. Elle est implantée au coeur de la Réserve Naturelle des Nouragues, qui s’étend sur plus de 105 000 hectares. Sa mission est de promouvoir la recherche scientifique en forêt tropicale humide, dans un site aussi éloigné que possible de l’influence directe des activités humaines.

La station est organisée en deux camps de séjour, distants de 8 kilomètres et ouverts à l’année : le camp Inselberg et le camp de Saut-Pararé. Pour ma part, j’ai séjourné au camp Inselberg.

Le camp de base se situe au pied de l’inselberg en arrière plan, à gauche.

Les forêts aux alentours sont remarquablement préservées. Les reconstructions paléoécologiques dans ce secteur suggèrent en effet que le couvert forestier est resté intact depuis trois mille ans ! Le long du fleuve tout proche, l’Homme était pourtant présent depuis des millénaires, et les Amérindiens Nolaques semblent avoir été parmi les derniers descendants de ces populations indigènes. La carte de Pierre Du Val D’Abbeville (1677) cite en effet ces populations près du fleuve ; les Pères Jean Grillet et François Béchamel ont retranscrit leur voyage de 1674 en Guyane, relatant qu’ils ont rencontré ce peuple amérindien « courtois et affable ». Les fouilles archéologiques faites dans cette région ont révélé une présence assez importante de vestiges (poteries, outils) datées d’environ 1000 ans. Depuis le XVIIIe siècle toutefois, la région des Nouragues est inhabitée. La présence humaine est décelable par quelques traces sur les pierres, et une curieuse forêt de lianes qui s’est installée dans l’immensité forestière, et qui pourrait être le résultat d’un ancien habitat.

Polissoir (pierre où sont frottées d’autres pierres à aiguiser), d’origine amérindienne, au fond d’une crique, près du camp de base

Le séjour

Au départ de Cayenne, nous avons pris l’hélicoptère, qui en une demi-heure nous conduisait vers les Nouragues. De l’hélicoptère, il était intéressant d’observer la diminution de l’anthropisation au fur et à mesure que nous nous éloignions de la capitale.

Après une heure de vol, l’hélicoptère a longé de très près l’inselberg granitique, d’altitude de quelques centaines de mètres, et non végétalisé.

Forêt vue de l’hélicoptère

Le camp se situe en pleine forêt, avec une dizaine de huttes ouvertes. Il y a les huttes pour les chercheurs, et des huttes communes, qu’on nomme des carbet: un toit, mais pas de murs : carbet cuisine, carbet laboratoire, douches. Ci dessous: le camp, mon carbet et mon lit !

Le carbet laboratoire

Malgré la présence humaine, la vie animale du camp est très active. On voit souvent passer souvent un couple de hoccos (Crax alector), entre les carbets vers 8h du matin, notamment du mien, en roucoulant et en faisant aussi son grondement sourd. Tué pour sa viande, le hocco est l’une des espèces les plus menacées de l’avifaune locale !

On voit également passer des papillons morphos aux ailes bleu électrique, absolument magnifiques, parfois un agouti (Dasyprocta agouti) et même un boa, qui s’est logé sur l’escalier du carbet labo. Des grenouilles se perchent au-dessus des douches, des chauves-souris chassent les termites dans le carbet cuisine, les geckos nous visitent lors des repas.

Un toucan (Ramphastos tucanus) chante souvent à tue-tête sur un grand arbre en face du carbet labo, même sous une pluie battante. Les singes sont fréquents, comme le singe araignée (Ateles paniscus) qui se nourrit dans les feuillages, avec un petit. J’ai aussi aperçu trois singes Cebus, dont un avec un bébé, sauter d’une branche à l’autre.

Les singes hurleurs (Alouatta seniculus) qui vivent en 5 bandes autour du camp, sur un rayon de 3 km, se manifestent bruyamment. Une famille se couche et se lève à proximité de mon carbet, lançant ses cris au-dessus de ma tête.

Les oiseaux passent fréquemment au-dessus du carbet ou s’y installent. Ainsi, le caracara à gorge rouge (Ibycter americanus), qui est un oiseau de proie, se pose en évidence (photo à gauche). Tous les matins, à 6h45, le piauhau hurleur (Lipaugus vociferans) qui chante à tue-tête car il a installé son carré (lek) autour du camp (photo à droite). 

Le soir

Le soir, entre 18 et 19h, l’ambiance est de toute beauté : la forêt est alors entourée de nuages, il fait doux et très humide. Les lucioles remplissent peu à peu le camp, les chauves-souris commencent à chasser les termites autour des carbets.

Après avoir arrosé les pointes du hamac avec de l’insecticide pour éviter la visite des fourmis, renversé et suspendu mes chaussures pour éviter la visite de millepattes venimeux (ils adorent les fonds de chaussures), je me glisse avec délectation dans mon sac de couchage et j’écoute le concert. La soirée démarre par le chant de la grenouille métronome (Trachycephalus hadroceps) qui égrène ses notes uniques et parfaitement rythmées, très puissantes (audible jusqu’à 150 mètres à la ronde en forêt dense).

Le grand tinamou (Tinamus major) étire son long cri langoureux, avant de s’arrêter avant la nuit. Les premiers singes hurleurs se font entendre vers 19 h, une fois la nuit tombée, accompagnés de chants ou coassements d’amphibiens et cris d’insectes.  Ces chants et bien d’autres encore, se font entendre toute la nuit.

Les sorties en forêt

Lors de mes sorties en forêt, j’ai eu l’occasion de déranger un singe araignée, qui dans sa fureur, m’a fait toute une mise en scène, cassant et lançant des branches dans ma direction. D’autres rencontres ont été avec des amphibiens très colorés, comme une grenouille bleue et jaune magnifique (Dendrobates tinctorius), toxique au toucher. Un étonnant amphibien est le crapaud buffle (Rhinela marina) de taille gigantesque (20 cm). Il a été introduit d’Australie il y a 75 ans. Des rencontres avec des mygales, qui parcourent la litière, ne sont pas rares.

Mon site d’étude

Le site Petit Plateau est à une demi-heure de marche du camp. Sa surface est de 10 ha. Il est parcouru régulièrement par les chercheurs, qui y mesurent les arbres, notent les arbres tombés, et autres événements de la dynamique forestière. Les sous-bois sont de toute beauté, très denses, et difficiles à pénétrer.

Un arbre s’est effondré au sol, mais la végétation le cache très vite !
Les jeunes feuilles des sous-bois se colorent en rouge, peut-être pour dissuader les herbivores !

Les lianes sont nombreuses, et certaines atteignent des diamètres de 40 à 45 cm. Elles se concentrent dans les trouées créées par les tempêtes. Avides de lumière, elles s’élancent vers la canopée en s’enroulant sur les troncs et les branches. Elles s’agglutinent souvent l’une sur l’autre, parfois à plusieurs espèces sur le même individu. La forêt regorge aussi d’épiphytes qui vivent sur les troncs ou les grandes branches, et qui quand elles tombent au sol, « se déplacent » jusqu’à trouver un autre tronc (photo à droite ci-dessous).

Certaines lianes s’enroulent autour d’elles-mêmes avant de s’accrocher à un arbre tuteur

Mais les arbres sont parfaitement capables de se défendre contre les lianes : sur la photo ci-dessous, on voit que l’arbre a fait éclater une liane enroulante par sa simple croissance en largeur.

J’ai également fait de belles observations de formations forestières sur mon parcours pour rejoindre le camp, notamment des criques marécageuses où le niveau de l’eau de la crique était plus ou moins haut en fonction des pluies. Ce milieu est très beau avec son eau jaune et moussante, ses arbres à échasse (genre Pterocarpus).

Le ballon

Durant une belle journée chaude sans vent, dès 6h du matin, les cinq filles du camp testent le ballon du camp afin de voir la forêt de la canopée. On s’installe sur la nacelle et on tire la ficelle pour atteindre l’arbre le plus proche. Curieuse impression, de balancer comme un bouchon au-dessus du feuillage ! Cela ne dure que 15 min, dommage !

La montée à l’inselberg

Nous y sommes montés à 6 personnes. La montée est rude car la pente est raide, il fait aussi chaud et très humide. Vers le sommet, la forêt se raccourcit de plus en plus, les épiphytes se font plus nombreuses. La vue là-haut est superbe, mais brumeuse :  l’étendue de forêt est immense, avec de petits sommets à perte de vue. Le sommet lui-même est fait de bosses granitiques avec fourrés de clusia (arbustes) et dans les mares une Broméliacée. Il fait bon et frais, avec un peu de vent.

Rocher granitique émergeant du massif des Nouragues d’où on peut admirer à loisir l’immense étendue de la forêt tropicale humide

En redescendant, après un petit affût, on voit aussi 3 coqs de roche (Rupicola rupicola), qui se tapissent dans les sous-bois denses en nous entendant. Cet oiseau de couleur orange vif est vraiment magnifique.

En conclusion

Le site des Nouragues continue d’être étudié et exploré par les chercheurs du monde entier. Une belle initiative pour la protection de ces milieux et de leurs habitants.

Toutefois, un mois après mon retour, j’ai appris l’assassinat de deux agents de la réserve naturelle des Nouragues, Capi et Domingo, sur un campement proche, par des chercheurs d’or. L’insécurité de ces lieux était déjà prégnante en 2006. Le guide qui m’accompagnait parfois en forêt m’a raconté des histoires terribles qui se passaient sur les côtes atlantiques, entre Cayenne et pays voisins. Apparemment, la situation n’a guère changé en 10 ans, au vu des récentes manifestations en Guyane.

Il est à souhaiter que la France s’engage fermement dans un avenir meilleur pour les hommes vivant en Guyane. Car seules des sociétés en paix peuvent réellement assumer l’avenir de la nature qu’ils côtoient.


Références

Richard-Hansen C., Le Guen R.  2002 Guyane, ou le voyage écologique. Panacoco

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