La Sardaigne : entre montagnes et bords de mer

Notre voyage d’octobre 2023, effectué en bateau depuis Toulon, avait pour but de visiter les parties montagneuses du nord est de l’île, les moins habitées et très forestières. Mais bien évidemment, il y a bien d’autres belles choses à voir dans cette superbe île ! Sur la deuxième carte, sont marquées les différentes étapes de ce voyage: visites de forêts, d’une grotte marine, de bords de mer et de quelques sites préhistoriques et villages.

La Barbagia et le massif du Gennargentu

Les forêts de cette partie nord est de la Sardaigne ont été beaucoup impactées par les activités pastorales et le charbonnage à large échelle ces deux derniers siècles. Fort heureusement, les arbres ont recolonisé des surfaces conséquentes avec l’arrêt de ces activités intensives vers la fin du XXe siècle. La partie nord de l’île que nous avons visitée est donc riche en jeunes forêts de chênes verts.

Vue sur la montagne Supramonte : les forêts qui se développent sur les pentes n’ont guère plus de 50 ans
Aspect de jeune forêt spontanée de chênes verts, Nuoro

Les forêts naturelles

Malgré une surexploitation des forêts, la Sardaigne a cependant conservé des forêts anciennes sur les pentes de quelques montagnes. Les plus remarquables de ces forêts incluent ifs (Taxus baccata). Les forêts d’ifs sont extrêmement rares en Europe: je n’en connais que quelques unes en Espagne et en France, toujours de petites surfaces (quelques dizaines d’hectares). C’est d’ailleurs pour voir ces forêts d’ifs que je suis venue dans l’île, suite aux recommandations de mon collègue Giacomo Calvia, botaniste de l’université de Sassari. Je n’ai pas été déçue !

Sur sa recommandation, j’ai pu notamment visiter le must des forêts de Sardaigne, dans une des dolines karstiques les plus vastes d’Europe (200m de large). Cette doline se trouve à 765 m dans la montagne Supramonte au nord de l’île (Orgosolo, Nuoro). Giacomo Calvia a compté 158 individus, souvent très vieux et de chêne vert également âgés. Y aller nécessite un guide, que m’a trouvé un collègue de Giacomo Calvia, Matteo Cara, géographe de l’île.

Photo de la doline par Google scholar, envoyée par Giacomo Calvia. En rouge, la forêt d’ifs. Le reste de la forêt à l’intérieur de la doline est constituée de chênes verts sur la partie la moins pentue. La profondeur de la doline est estimée à 100m au moins.

L’accès de la doline est difficile : une heure et demie pour atteindre en voiture 4X4 un des sommets de la montagne, plus une autre heure et demie de marche sur les karsts des sommets, au milieu des forêts de vieux chênes verts, pour atteindre la doline. La vue est magnifique au sommet (1ere photo). Les deux autres photos illustrent le chemin en 4X4, effectué par le guide Tore Guigui, de l’association Camineras (cf photo fin du texte)

Ci-dessous : première photo: vue du sommet. 2e et 3e photos: sur le trajet, forêt de chênes verts avec quelques chênes monumentaux mais qui souffre des conditions climatiques rudes (neige profonde durant l’hiver, vent, et pâturage domestique par des animaux en totale liberté).

Ci-dessous: ancienne bergerie qui a aussi servi à quelques bandits sardes dans le passé !

Vieille forêt de chênes verts : les arbres atteignent plus de 20m de hauteur, et semblent mourir précocément (stress clmatique; maladies). La régénération est absente, sans doute en raison de l’importance des moutons, chèvres et bovins, ici en totale liberté et ensauvagés, auxquels s’ajoutent les herbivores sauvages: mouflon, sanglier.

Ci-dessous : le spectacle de cette doline est superbe, surtout au milieu de montagnes totalement inhabitées. Sur la troisième photo, où on voit une petite doline au sein de la grande doline, cela prouve que le soutirage continue, cad qu’il existe une vaste caverne en dessous du plancher de la grande doline. Cette petite doline va s’agrandir dans les siècles à venir. Un if accroché à son bord, est près de tomber.

La doline, trop accidentée et profonde, n’est pas visitée par la faune domestique, mais par les mouflons et les sangliers. Nous avons vu plusieurs mouflons, un beau mâle et plusieurs femelles avec petits, escalader les pentes.

Ci-dessous : les arbres souffrent beaucoup des conditions climatiques (neige l’hiver, sol très sec l’été) et géologiques (karst). Le nombre d’arbres morts est très important. Ce qui n’empêche pas la « fructification » de certains ifs, comme on peut le voir sur la 1e photo: cet if a produit de nombreuses arilles rouge vif, renfermant une graine d’une grande toxicité. Les 4 photos ci-dessous représentent des ifs, qui présentent des formes très tortueuses.

Les chênes verts, de dimensions bien plus imposantes que ceux des jeunes forêts en recolonisation, ne peuvent se maintenir que dans la partie la moins pentue de la doline.

J’ai pu visiter également d’autres forêts anciennes, tout à fait remarquables par leur état de conservation, et surtout par l’importance des ifs.

Co-dessous trois photos d’une forêt protégée dans un ravin, à Mularza Noa (Bolotana, province de Nuoro).

Ci-dessous : les deux premières photos correspondent à la région de Bolotana (site de Pabude): les ifs sont très imposants, sans toutefois atteindre la taille remarquable de l’if de Badde Salighes (toujours à Bolotana, à quelques km de distance),. Cet if est le plus gros if de Sardaigne: 7,8 m de circonférence !

La forêt de Sos Nibberos (Bono, province of Sassari) présente d’autres intérêts écologiques et scientifiques: un sous-bois très sombre, constitué de très vieux individus mélangés à des houx gigantesques. Ce site de 10 ha environ est difficile à trouver car à peine marqué sur une route fort modeste. Cette forêt a échappé aux coupes rases qui ont eu lieu en Sardaigne fin XIXe et XXe siècle.

Des oliviers millénaires à Luras

On dit que ces oliviers compteraient parmi les arbres les plus vieux du monde, ils auraient 4000 ans pour le plus gros, et 2000 ans pour les deux autres. Renseignements pris auprès d’un dendrochronologue (Frédéric Guibal, Université d’Aix en Provence), il est impossible d’évaluer l’âge. En effet, « l’olivier est une espèce à feuillage persistant qui peut former couramment deux à trois cernes par an. En plus, il est facile de se tromper et d’interpréter comme une limite de cernes, des assises de cellules riches en gommes ou en tannins. Le plus fiable est de repérer l’emplacement de la moelle et, si cela est possible, de prélever sur ce secteur quelques grammes de bois afin de procéder à une datation par radiocarbone. Mais, si l’arbre est creux, un tel résultat sera éloigné de l’âge réel. »

Toutefois, ces oliviers sont absolument remarquables par leurs dimensions !! 10 m de circonférence pour le plus gros.

Une grotte de toute beauté: Bue marino dans le golfe d’Orosei

Le Bue Marino est une grotte se trouve à Cala Gonone, dans le Golfe d’Orosei. On y accède par bateau en longeant une longue falaise calcaire.

Entrée de la grotte marine

À l’entrée de la grotte se trouvent plusieurs gravures datant du Néolithique, qui semblent représenter des hommes en train de prier, bras levés. Il existait en effet un important commerce d’obsidienne (pierre volcanique) à cette époque entre la Sardaigne, les autres îles et les continents proches. Il est fort dommage qu’il n’y ait aucune explication pour les visiteurs sur l’importance de ces gravures: la plupart ne les voit tout simplement pas ! Et surtout, elles ne sont pas protégées efficacement.

Lac semi salé où les phoques moine élevaient leurs petits à l’abri des prédateurs

Dans ce lac situé à 900m à l’intérieur de la grotte, et où se mêlent eaux douces et eaux salées, les phoques moines (Monachus monachus) y élevaient leurs petits, sans doute pour éviter le contact avec l’homme, et ce dèpuis plusieurs millénaires. En effet, des ossements de phoques ont été trouvés à cet endroit, datant de 5000 à 6500 ans.

Les phoques moines étaient nombreux autour des côtes de Sardaigne, et les côtes d’Italie. Ils sont à présents très rares depuis les années 1980. C’est pourquoi l’espèce est classé en danger critique d’extinction par l’UICN (Union internationale de conservation de la nature)

Ci-dessous trois photos prises dans la grotte. Les deux premières montrent de belles concrétions calcaires, la troisième des fossiles d’huitre datant de l’ère mésozoîque (ère secondaire)

Le culte de l’eau

Le culte de l’eau, sous la forme de monumentalisation des fontaines et des puits, est attesté en Sardaigne pour la fin de l’Age du Bronze (1300-1200 ans avant J.C.), C’est également une caractéristique du début de l’Age du Fer, qui a suivi l’Age du Bronze. Ces structures n’ont pas seulement pour rôle que de capter et retenir l’eau, mais aussi de servir de lieu sacré. Des temples sont parfois bâtis autour de ces constructions. L’origine de cette monumentalisation pourrait être un événement naturel : des pluies torrentielles suivies de périodes de sécheresse récurrentes, autour de 1300-1200 av. J.C. qui auraient limité les ressources en eau de l’île, d’où des constructions importantes et des rites. D’autres chercheurs préfèrent l’interprétation culturelle avec la venue de la civilisation des nouraghes (pierres mégalithiques et des tombes dédiées aux ancêtres). Des élites auraient géré les ressources en eaux par des rites et des monuments sacrés, construisant aussi des villages sanctuaires.

J’ai visité trois sites préhistoriques dédiés à l’eau.

Le site de Su Tempiesu

Proche de la ville de Orune, au nord de Nuoro. On y descend par un petit sentier qui conduit à un édifice bien préservé (le seul qui ait conservé une structuré complète de la fontaine. Les jeunes personnes qui se trouvent sur la photo ci-dessous semblent vouloir rfaire revivre de vieux mythes en mettant des bougies et en faisant de la musique. Mon guide à Su Suercone m’a dit que cela se faisait aussi dans les anciennes cabanes de bergers ou de bandits dans les montagnes !

Tombe des géants de Madau, Fonni

Cette petite structure funéraire située en plein champ et partiellement effondrée est également liée au culte de l’eau. elle date de l’époque nuragique (Age du Bronze).

Romanzesu

Ce puits sacré est situé au centre d’un vaste village sanctuaire où sont encore préservés plusieurs autres temples, dont un en forme de spirale. Les photos et l’image ci-dessous illustrent la structure du puits sacré, qui comprend à une extrémité un puits, et à l’autre un amphithéatre sous forme de bassin. Les deux parties sont reliées par un canal de 42 m de long. L’eau envahit toute la structure au printemps.

Orgosolo

La ville d’Orgosolo est située sur le flanc nord du massif de Gennargentu. Orgosolo est souvent comparé à une forteresse où les habitants réfractaires à l’autorité italienne s’y retranchaient. Mais l’histoire des peintures murales est plus tardive: ces peintures datent de 1969, année au cours de laquelle le gouvernement italien avait souhaité installé un camp militaire tout près de la ville. Les habitants ont alors fait appel à des artistes locaux pour mettre des slogans politiques sur les murs des maisons. Par la suite, d’autres peintures ont vu le jour, montrant localement la vie rurale des montagnes, mais aussi illustrant divers autres événements de la planète. Je n’en ai mis que certains qui m’ont semblés particulièrement esthétiques ou significatifs.

Illustration d’une vie rurale sarde

Ci-dessous première photo : représentation de l’attentat du 11 septembre, 2e photo : une protestation contre les excès des motos qui perturbent la vie des villages. 3e photo : illustration des bateaux de migrants: le message est que nous sommes tous des migrants !

Ci-dessous : 1e photo: un débat sur la biodiversité. 2e photo: un événement de la deuxième guerre mondiale 3e photo : des rochers peints à l’entrée de la ville

Mais au cours de notre visite en Sardaigne, nous avons vu bien d’autres peintures murales dans d’autres villages. C’est en fait un phénomène qui s’étend à l’ensemble de l’Italie.

L’archipel de la Maddalena, la Gallura

L’archipel de la Maddalena tout au nord de la Sardaigne, près des bouches de Bonifacio, était relié à la Corse au cours des glaciations en raison de l’abaissement du niveau des mers (cf photo ci-dessous). Cela avait alors permis le passage d’animaux au cours des périodes froides, dont un mammouth et un megaceros, ainsi qu’en témoignent les restes osseux trouvés sur l’île. De même que l’homme bien sûr, présent depuis le Paléolithique inférieur (400 000-150 000 ans.

Mais depuis 10 000 ans, Corse et Sardaigne sont séparées par la mer, et il ne reste de l’ancienne partie commune que les îles Maddalena et les bouches de Bonifacio.

On accède aux îles de la Maddalena par bateau à partir de Palau. Ces îles offrent des paysages de toute beauté par ses rochers granitiques multiformes bordant les belles eaux turquoises de la mer Méditerranée.

Les formes curieuses de ces roches : une action naturelle complexe (Michel Wienin)

Les granites sont des formes issues de l’érosion maritime au niveau des diaclases (ou fissure naturelles). Ces diaclases naissent de la diminution de volume de la roche lors de la consolidation de la masse de magma. Une fois refroidie, la roche conserve ces diaclases qui sont les points d’attaque pour la corrosion et d’abrasion dans le bloc rocheux, par deux voies :

  • par voie chimique (corrosion) des minéraux : les feldspaths s’altèrent en micas et les micas en argile. Les quartz résistent mieux et restent en relief avant de se détacher et de former du sable appelé arène granitique.
  • par voie physique (abrasion mécanique) : les courants liés aux vagues et surtout les matériaux abrasifs transportés (sable…) usent la roche exactement comme au bord d’un torrent. Explications de Michel Wienin, géologue.

.

Ci-dessous : la survie des genévriers en bordure de mer est très difficile, comme on le voit sur ces rochers. Sel, sécheresse et manque de sol ont eu raison de ces individus, qui sont peut-être loin d’être très jeunes.

Le musée dédié à Giuseppe Garibaldi, Caprera

L’île de Caprera, la deuxième plus grande île après Maddalena, est intéressante en raison de l’importance de la forêt spontanée, qui renait de coupes par un maquis parfois dense. On y trouve cependant de petites formations de chêne vert, qui sont protégées dans ce parc national.

J’ai été très impressionnée par l’histoire de Giuseppe Garibaldi (1807-1882), héros de l’indépendance italienne, qui a vécu à Caprera les dernières années de sa vie, avec toute sa famille. Grand guerrier, sa vie a été à a fois mouvementée et très romanesque, quoique empreinte de beaucoup d’événements douloureux (perte d’épouse, d’enfants). Je suis restée admirative de sa force de caractère et son dynamisme malgré une maladie terrible (polyarthrite rhumatoide) dont il a souffert dès l’âge de 40 ans. Dans le musée qui lui est consacré, on peut d’ailleurs voir plusieurs de ses fauteuils roulants pour invalide. Ce grand homme a combattu dans plusieurs pays, et même en France pendant la guerre franco-allemande de 1870. Le musée de même que le mémorial, situé plus loin dans l’île, retracent les traits importants de sa vie familiale et politique. Il est fort dommage que les vidéos et la plupart des explications soient en italien !

Les photos ci-dessous sont quelques illustrations du physique de Garibaldi. La 3e photo est celle de son tombeau.

En conclusion

Nous n’avons vu qu’une infime partie de cette superbe île, mais je compte bien y revenir, en compagnie de mes collègues botanistes, pour d’autres découvertes de forêts naturelles, et aussi des visites culturelles, dont la Sardaigne est très riche.

Références

Bundone, L. (2010). Cave habitats used by Mediterranean monk seals (Monachus monachus) in Sardaigne.

Concu G. 2023 Séries La memoria visiva. Il culto delle Acque ini Sardegna. Text

Remerciements

Mes remerciements vont tout d’abord à Giacomo Calvia et Matteo Cara qui m’ont permis de visiter de très belles forêts d’ifs. Je remercie également mon guide, Tore Guigui pour sa gentillesse et sa compétence sur le terrain. Je recommande vivement son association pour des treks en Sardaigne (cf image ci-dessous) !

Merci également à Michel Wienin et Frédéric Guibal pour leurs indispensables explications.

Et bien sûr à Damien Saraceni pour la relecture et la mise sur le site !

Cette publication a un commentaire

  1. Robert Ponzo

    Une découverte, les ifs de Sardaigne, mais aussi cet olivier gigantesque.

Laisser un commentaire