Les îles éoliennes
Avec l’ensemble des îles éoliennes, et plusieurs volcans sous-marins, l’archipel volcanique des iles éoliennes forme un arc de 140km de long d’Ouest en Est. Il est composé de sept îles principales et dont Vulcano est celui qui se situe le plus au sud et donc la plus proche de la Sicile. Vulcano est célèbre pour ses fumerolles de soufre et son cratère spectaculaire où les fumerolles s’échappent en grand nombre.
L’île de Vulcano (2070 ha) comporte trois parties majeures :
- La grande dépression de Vulcano piano (330m d’altitude) qui inclut plusieurs anciens strato-volcans (Mont Aria: 500m; Mont Luccia (188m), Mont Saraceno (580m) etc…
- La caldera de Vulcano au centre, dont la partie centrale comprend Vulcano Fossa, constitué de Fossa 1 à 400m et Fossa 2 qui est le cratère actif. Fossa II est à 500m d’altitude, et sa profondeur est de 200m.
- Le Vulcanello (altitude 123m) qui comprend 3 cratères de petites dimensions.
1555 ha de l’île ont été déclarés Site d’importance communautaire (code européen ITA030027) en 1998.
C’est sans doute à ces éjections de soufre, mais aussi à ses fréquents séismes et éjections de pierre ponce, que sont nées les légendes de l’Antiquité. Les Grecs l’appelaient Thermessa puis Therasia (la Terre chaude), puis Hiera (la terre sacrée). Vulcano était selon Virgile (l’Enéide) l’endroit où vivait le dieu Vulcain assistant les travaux des Cyclopes, géants à un oeil, qui forgeaient les foudres de Jupiter.
Photo 1: Apollon visitant la forge de Vulcain. Huile de Diego Velasquez (1630), musée du Prado, Madrid. Photo 2. Les forges de Vulcain (1690) Alessandro Gherardini
Géologie
Vulcano est touours actif de nos jours, de même que Stromboli. Ses activités volcaniques se sont déplacées selon une ligne sud sud-est à nord nord-ouest. Cela explique les différents édifices et lignes de faille, qui varient en taille en fonction de l’intensité des éruptions et l’effondrement des cratères.
L’histoire éruptive de Vulcano a été divisée en 8 événements au moins, entre 127 000 BP et le XIXe siècle. Ce sont des suites d’effondrements de volcans en caldera, et de dépôts volcaniques divers (pyroclastes et bombes en croûte de pain). Les bombes en croûte de pain sont des fragment de lave (ou bombes volcaniques car de plus de 6 cm) à la surface fissurée, ressemblant parfois à la surface d’une miche de pain. Ces fissures se développent lorsque la surface de la bombe se refroidit très vite, formant une surface fragile qui craque lorsque les gaz présents dans cette lave s’échappent de ses parties intérieures.
L’île de Vulcanello – qui s’est formée au deuxième siècle avant notre ère et qui était à l’origine séparée de Vulcano par une étroite bande de mer navigable – était déjà raccordée à sa voisine au XVe siècle.
Les dernières éruptions documentées du cratère central (Fossa) ont eu lieu en 1771 et 1783. La dernière éruption a eu lieu entre le 2 août 1888 et le 22 mars 1890. Cette éruption est l’événement typique caractérisée par des explosions distinctes très fortes, qui émettent des fragments de lave à l’état presque solide. Les nombreuses grosses bombes en “croûte de pain” en sont les témoins.
La zone étant alors inhabitée, il n’y a eu ni victimes humaines ni dégâts matériels de grande ampleur, même si les retombées de matières pyroclastiques et les ondes de choc provoquées par les plus fortes explosions ont causé des dommages aux bâtiments de l’île voisine de Lipari.
Depuis la fin de la dernière éruption, Vulcano est dans un état de calme éruptif, mais ce “sommeil” est parfois perturbé par des crises d’activité sismique et des augmentations des émissions fumeroliennes et des températures, la plus récente ayant débuté en 1985.
Ci-dessous : Photos de l’éruption de 1889 du Vulcano
La carte géologique montre ces évolutions dans le temps en 9 couleurs différentes. Le violet sombre (eruptive epoch 1) ne subsiste plus que dans la partie sud en violet sombre. Les événements successifs ont été: la formation de la caldera de Piano avec dépôts pyroclastiques (en rouge); lles montagnes de Lentia au Sud Ouest; la formation de la caldera de la Fossa (en violet), la fosse de Vulcano (cône actuel), et enfin l’émergence de Vulcanello au XVIe siècle et qui est resté actif (avec fumerolles) jusqu’au XIXe siècle.
Ci-dessous: schéma 1: la formation des cratères de Vulcano en plusieurs milliers d’années; schéma 2: carte géologique de l’île
Le cône de la Fossa est caractérisé par au moins 5 cratères différents (on n’en voit que 3 sur le schéma ci-dessus), qui sont inclus plus ou moins les uns dans les autres.
Au niveau de leurs frontières, ainsi que dans les fissures, s’échappent des fumerolles (gaz riches en soufre issus du dégazage des profondeurs du volcan) qui altèrent les rochers des cratères et leur donnent une couleur rose. Les fumerolles sont aussi activées par les eaux de pluie qui pénètrent dans les fissures des cratères.
L’activité des fumeroles conjuguée aux petits séismes rendent la Fossa instable, expliquant les nombreux éboulements sur les flancs, dans lesquels s’infiltrent les eaux de pluie.
Vivre sur Vulcano
L’île n’a jamais été très peuplée, sauf ces deux derniers siècles où les signes de surexploitation sont évidents. Aucune forêt ne subsiste, même sur les parties les plus anciennes et les plus pentues, où on devrait trouver des chênaies vertes et des maquis, pour établir agriculture et pâtures et plus récemment des plantations de pin parasol, eucalyptus et robinier faux-acacia.
L’île a été exploitée pour ses ressources géologiques (extraction de soufre et autres minéraux) notamment durant l’annexion du royaume des deux-Sicile par les Bourbons entre 1816 et 1861. Nous en avons quelques représentations très précieuses grâce au talent et la curiosité de Jean-Pierre Louis Laurent Houët (1735-1813), qui a peint le Vulcano dans différentes toiles lors de son voyage en Sicile entre 1782 et 1787, qu’on peut admirer dans le musée de St Petersbourg (cf photos ci-dessous).
Ci-dessous : peintures de Vulcano (1782): l’aspect de l’île était bien différent: très peu boisé, et soumis à une intense exploitation du soufre. Photo 1: vue du volcan la Fossa à gauche, Vulcanello à droite. Photo 2: vue de Vulcanello de Faraglio : on voit bien que ce petit volcan était totalement sans végétation. En arrière plan: l’île de Lipari. Photo 3: le cratère de Vulcano d’où on extrait le soufre
L’extraction des minéraux sur les volcans a continué ensuite par des propriétaires privés avant d’être abandonnée pour le Vulcanello, en 1888 lors de l’éruption de ce petit volcan.
L’ile est actuellement peuplée de 1000 habitants résidents. Vivant essentiellement du tourisme, les habitants laissent beaucoup de leurs terres en friche.
Les risques liées au volcanisme encore actif de l’île sont bien réels. Depuis l’éruption de 1878 de Vulcanello, ce sont surtout les émissions de gaz toxiques, CO2 et autres, provenant des fumerolles qui pourraient augmenter jusqu’à devenir dangereuses.
Plusieurs stations sismiques sont installées pour mieux localiser les événements sismiques près du cratère, ainsi qu’une caméra thermique, d’une part autour du cratère actif de la Fossa et d’autre part dans la baie du Levant (où se trouvent les bains de boue). On a ainsi pu détecter une augmentation de 20 fois de la concentration de gaz carbonique de juin à septembre 2022. Dans la baie, les émissions de fumerolles ont fait bouillir l’eau sur le rivage et dans la mer proche.
Mes visites
Montée au Vulcanello
Le Vulcanello, relié à Vulcano depuis le XVIè siècle, comporte plusieurs petits cratères couverts de végétation de maquis dense riche en espèces buissonnantes (dont des cistes, genre endémique de la Méditerranée). Précisons que le maquis est une forme dégradée de l’écosystème d’origine, qui est la forêt méditerranéenne à chênes. Le retour du maquis vers la forêt est lent en Méditerranée car le plus souvent les sols profonds (et fertiles) ont été détruits par des millénaires d’activités humaines destructrices (feu notamment). Il est cependant possible que la forêt revienne, mais l’absence d’eau du climat méditerranéen rend le processus très lent, voire impossible en climat très sec. La garrigue est une forme plus avancée de la dégradation des forêts originelles, avec surfaces caillouteuses sans végétation.
Sur les pentes, les espèces exotiques sont exubérantes. On y monte par un petit chemin discret qui fait ensuite le tour des cratères
Sur ces photos ci-dessous: photo 1: vues du cratère Vulcanello. photos 2 maquis sur les bords et dans le fond du cratère photo 3: deux anciennes excavations sur les flancs du cratère.
Ci-dessous : le Vulcanello vu de la mer. Il est entouré de maquis. Photos 2 et 3 : coulées volcaniques émanant du Vulcanello
Les cratères de Vulcano
La montée vers le cratère de la Fossa se fait facilement, mais n’est permise que si le signal des feux est vert. La montée se fait au milieu de formations de genêts, les seuls à supporter les conditions rudes de ce volcan : sols toxiques, pentes instables et éboulements fréquents.
Arrivée au sommet, une pluie violente s’est abattue sur le volcan (on est en octobre ! L’eau a commencé à s’écouler dans les fissures comme on le voit sur la photo 2 ci-dessous. Cette eau a rapidement disparu dans les débris volcaniques. Photo 1: le cratère actuel, sillonné de groges profondes créées par l’érosion pluviale. Photo 3: le cratère vu du sommet dans la partie la plus riche en fumerolles
Le canyon de la vallée du mont Rosso
Cette balade dans le canyon démarre sous le Mont Rosso, par un petit sentier difficilement visible de la route, mais marqué sur les cartes. En octobre, il n’y a plus personne qui le visite !
Ce canyon disposé entre deux volcans d’âges différents laisse supposer qu’il y a entre les deux une zone de faiblesse liée à deux histoires largement séparées dans le temps. Sans doute même que ce canyon existait au pied d’un des volcans avant la mise en place du deuxième volcan, et qu’il a été réactivé après. Les eaux d’écoulement pluvial contribuent aussi à creuser dans les coulées.
Les photos ci-dessous montrent les derniers kilomètres de cette vallée. On voit que les flancs des deux volcans (la fossa et mont Luccia) sont couverts de maquis, mais qu’on a planté des pins.
Photos ci-dessous : 1 et 2 le début du canyon est relativement large et le terrain de choix pour les chèvres échappées ! Photo 3: cimetière de chèvres dans une grotte le long du chemin. De nombreux de leurs ossements sont d’ailleurs éparpillés sur le chemin.
Les parois montrent des superpositions de coulées, la deuxième des litages obliques de cendres volcaniques sans doute liés aux souffles (déferlante basale par effondrement de la colonne éruptive).
Les éruptions qui ont provoqué ces coulées semblent avoir été très violentes, avec fortes émissions de gaz. En effet, lorsque ce taux est élevé, le gaz en expansion dans la colonne magmatique fragmente le magma et le volcan émet des matériaux pyroclastiques (ou cendres très fines), très fragmenté par le feu, et en très grandes quantités.
Ces matériaux s’accumulent en bas de volcan à très grande vitesse, en déferlement très rapide.
Le canyon se fait de plus en plus profond, étroit et instable :
Il n’est plus possible d’accéder à la mer depuis qu’un mouvement de terrain a fait s’affaisser de plus de 10m la partie terminale du canyon. On ne peut voir le débouché de ce canyon que par bateau.
Photos ci-dessous: 1 le canyon apparait dans le flanc de la falaise, vue du bateau. 2: une statue de 1950 représentant une sirène, a été posée sur un rocher avant le débouché du canyon;
Le tour de l’île en bateau
Ce tour de 3 heures autour de l’île nous fait voir les différentes formations géologiques et des grottes.
Ci-dessous : les parties les plus anciennes de l’île avec coulées volcaniques et plissements
Photos 1 et 2: la grotte du cheval. Photo 3 prise à hauteur de l’isthme qui sépare Vulcano de Vulcanello. Un piton rocheux se dresse à ce niveau.
Les usages par l’homme
Les usages traditionnels sont devenus rares; on trouve quelques oliveraies et des vignobles (le vin est très bon d’ailleurs). Il reste encore quelques animaux domestiques (chèvres) dont certaines se sont ensauvagées et vivent dans les falaises.
Photo 1: vignoble après la vendange, Vulcano piano. photo 2 : barque de pêche, petit port de Gelso; photo 3 pâturage encore utilisé avec bouquet de chênes verts
Les anciennes plantations d’eucalyptus, robinier et parfois chêne vert, sont devenues des friches. La plus étendue de ces forêts se trouve sur les sommets des monts Saraceno et quelques voisins. On devine d’ailleurs sous ces plantations abandonnées des usages plus anciens de cultures.
Quant aux chênes verts, qui devaient couvrir naturellement une partie de vulcano piano, ils sont rares et ne survivent qu’en bosquets dans les pâtures et les bords de route.
L’essentiel des revenus est le tourisme : cela a entrainé d’une part l’abandon de nombreuses cultures et l’extension des friches, mais aussi l’extension des maisons.
Une procession à Sainte Marie des Anges
Il y a 3 églises dans l’ile de Vulcano. Celle de Sainte Marie des Anges se situe à Vulcano piano. En 1950, elle était isolée dans la campagne. Détruite par un séisme, elle a été reconstruite, mais elle n’est plus isolée, car le village s’est beaucoup agrandi.
Le dimanche 6 octobre, il y a chaque année une procession dans le village de Vulcano piano. Avertis par l’hôtel, nous y avons assisté. Une fête discrète qui ne réunit que les gens pieux du village. La statue de Sainte Marie des Anges (représentée avec 2 ailes) est promenée dans le village durant plus d’une heure. Le prêtre chante des litanies auxquelles les fidèles (une centaine de personnes) répond. Il s’en suit quelques mélodies d’une fanfare ; et cela une dizaine de fois.
Le village troglodyte du mont Rosso
Un petit village troglodyte sans doute d’âge néolithique, constitué de grottes funéraires et d’abris, se trouve sous les maisons en arrivant à Vulcano Piano. Ce site a ensuite été utilisé par les bergers, et il l’est encore. C’est bien dommage qu’il ne soit pas préservé, et rempli de déjections et d’ossements d’animaux domestiques !
Photo 1 ci-dessous : le site sous le village actuel. Photo 1: on voit les grottes funéraires et un enclos avec puits. Photo 2 et 3: ces grottes funéraires comportent des tombes.
Ces grottes creusées dans le tuf servent d’abri aux animaux, mais on ignore leurs fonctions dans le passé lointain
En conclusion
Ces quelques jours à Vulcano ont été d’un grand intérêt géologique, naturaliste et historique. A recommander à tous !
Voir aussi
Les forêts des monts Nebrodi, Sicile
Le but de la visite aux monts Nebrodi était de visiter les forêts de Sicile, constituées de diverses espèces de chênes et du hêtre. Mais les activités humaines depuis des siècles ont éliminé le sapin, (Abies nebrodensis) endémique de l’île et l’if (Taxus baccata) est devenu très rare. D’autres espèce sont rares, comme Celtis sp. La Sicile serait couverte de forêts sans les déforestations, car le climat y est très humide, jusqu’en bordure de mer.
La plus belle population d’ifs qui subsiste en Sicile se trouve dans la réserve forestière de Tassita (35 ha), sur la petite route en Capizzi et Caronia au col de Portella dell Obolo. On y trouve des ifs de tous âges, y compris de très vieux individus, ainsi que des jeunes, qui visiblement s’étendent dans cette belle forêt de hêtres. Ce site est protégé de la dent du bétail par des clôtures,
Ci-dessous : quelques aspects de la hêtrae à ifs de Tassita avec régénération de jeunes ifs dans les sous-étages. On parcourt la forêt en suivant un sentier empierré.
Il reste aussi dans cette forêt quelques très beaux hêtres et un lichen rare; Lobaria pulmonaria, ici très abondant.
La conservation d’une telle forêt à haute naturalité dans des paysages aussi transformés par l’homme pourrait avoir une origine religieuse. On trouve en effet devant l’entrée du site un petit autel avec une image d’un saint Giovanni, associé à un arbre peint. Devant l’image, des fleurs artificielles … et une petite branche d’if sèche (cf photos ci-dessous). Les deux premières images montrent un if en fruit : les arilles rouges sont anormalement nombreuses, ce qui signerait un if planté d’origine horticole… pour honorer le site ?
La protection de l’if dans le pays explique qu’il soit en expansion discrète grâce à une protection active (engrillagement ; réduction des activités humaines) mise en place lors de la création du parc régional en 1993.
En dehors de ce petit trésor de forêt, la forêt des monts Nebrodi porte les marques d’une forêt pâturée. On observe cependant encore plusieurs animaux domestiqués et libres dans ces forêts, comme le porc noir sicilien, très rustique, des chevaux et des vaches.
Les forêts en dehors de la réserve sont bien moins riches en espèces, avec des arbres plus petits (photo 1) . On y trouve des fours à bois conservés par le parc régional (photo 2). Mais ces forêts réservent parfois de belles surprises, comme cette floraison de cyclamens (Cyclamen hederifolium) en octobre !
Le culte de Saint Jacques de Compostelle
Ce culte semble très vif en Sicile, et ce malgré l’insularité et l’éloignement de ce pays du nord de l’Espagne !
Les habitations troglodytes
En conclusion
Un superbe pays que la Sicile, surtout en automne, lorsque les chaleurs sont moins importantes.
Remerciements
Un grand merci à Damien Saraceni pour la relecture des textes; à Giacomo Calvia pour ses indications sur la forêt de Tassita aux monts Nebrodi, et à Philippe Duringer pour ses explications géologiques