L’archipel maltais : une histoire humaine hors du commun dans une nature en bien mauvais état

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Situé entre le géant sicilien et l’éperon tunisien, l’archipel maltais (7 îles, dont les 3 principales sont Malte, Gozo et Comino) ne comprend qu’une surface globale bien modeste (316 km² en tout, 250 km² et 27 km de long pour la plus grande île de Malte) en mer Méditerranée. Il correspond à la partie émergée d’un plateau d’origine sédimentaire tertiaire, qui relie cet archipel à la Sicile, située à 80 km.

Un paysage très humanisé

Les temps glaciaires

Pourquoi parler des temps glaciaires ? Parce que comme pour toutes les îles méditerranéennes, l’histoire naturelle pléistocène de Malte est tout simplement étonnante. Elle est bien illustrée dans le petit musée de Ghar Darham à l’est de Malte, où sont exposés les restes fossiles d’une faune extraordinaire qui a peuplé l’ile en vagues successives, durant des centaines de milliers d’années.

Des mammifères des temps glaciaires, hippopotames et éléphants ont colonisé la Sicile et Malte au cours des temps pléistocènes.

Pourquoi une telle similitude ? Parce que ces deux îles ont été connectées à plusieurs reprises avec l’abaissement des mers, de 155 mètres au plus fort de la dernière glaciation. Des ponts terrestres temporaires se sont parfois formés entre Sicile et Malte lors de sédimentations ou/et mouvements tectoniques. L’une d’entre elles a eu lieu entre Pléistocène inférieur et moyen (il y a 690 000 ans), permettant l’immigration d’éléphants et d’hippopotames d’Italie en Sicile et à Malte. D’autres migrations ont été possibles lors d’épisodes glaciaires ultérieurs, avec parfois de meilleures connexions avec la Sicile (autour de 90 000 ans). Ces connexions permettaient la survie de ces espèces en agrandissant leurs territoires. Le cas de Malte n’est pas unique. On a retrouvé des restes d’éléphants nains dans la plupart des îles méditerranéennes de l’Ouest : Sicile et Sardaigne, et pour l’Est : Chypre, Crète, Cyclades, Dodécanèse.

Hippopotame, cerf, renard, loup, ours, éléphant ont colonisé les îles méditerranéennes à l’époque glaciaire

L’éléphant de Malte et de Sicile Elephas falconieri, issu de l’éléphant antique Elephas (Palaeoxodon) antiquus, qui habitait toutes les forêts d’Europe au Pléistocène moyen, y a vécu. Isolés dans l’archipel, ils ont diminué de taille au cours du Pléistocène, de 5m à 1m à l’épaule. Plus récemment autour de 22 000-18000 ans, ont été trouvés des restes d’un cerf élaphe, ours et loup, ainsi qu’un cheval. Tous ont disparu bien avant l’apparition des premiers humains il y a environ 7000 ans, sans doute en raison de la diminution de la surface des îles avec la montée des mers. À moins que les chasseurs-cueilleurs occasionnels ne les aient exterminés.

L’arrivée de l’Homme

La position de l’archipel entre Orient et Occident, Europe et Afrique (plus précisément à 284 km de la pointe Est de la Tunisie) explique son rôle majeur pour les navigateurs de la Préhistoire et de l’Antiquité. Cet archipel semble toutefois n’avoir été habité par l’Homme que depuis le Néolithique. Avant cette période caractérisée par l’agropastoralisme, au-delà de 6000 ans, l’île était forestière, dominée par plusieurs espèces de chênes (caducifoliés et sempervirents), accompagnés du Pistachier lentisque (Pistacia lentiscus), du laurier (Laurus nobilis) et de bruyères arborescentes (Erica sp) Les îles avaient perdu de leurs surfaces initiales en raison de la montée des mers. Il n’était alors guère possible pour les chasseurs-cueilleurs de vivre en permanence sur ces petites îles. Ces premiers pasteurs, venus probablement de Sicile, s’établissent à Malte, poussés par la nécessité de trouver nouvelles terres.  Ils occupent tout d’abord des grottes. L’une des plus célèbres d’entre elles est celle de Ghar Damal, dont les traces d’habitation remontent au 6000 et 5000 avant J.C.

La faune locale est rapidement exterminée ; les forêts coupées ; les sols soumis à une forte érosion. Pour survivre, les hommes échangent activement avec les îles voisines de Lipari et Pantelléria

Ces échanges font la richesse de l’archipel maltais, et permettent sans aucun doute l’érection de temples. Les premiers d’entre eux sont modestes, mais ils prennent de l’ampleur dès 3600 avant J.C., période à laquelle sont édifiés des édifices aux dimensions titanesques, s’étendant sur plus de 3000 m² pour certains. L’effort considérable pour leur édification a nécessité des dizaines de milliers de tonnes de matériaux qu’il a fallu transporter et assembler. On estime que des équipes de 300 à 500 ouvriers ont dû se relayer durant des siècles. Ces constructions d’architecture monumentale sont bien antérieures à l’édification des pyramides d’Egypte, et sont considérées comme les premiers grands édifices de pierre de l’humanité.

Dieu ou déesse très corpulente, à la symbolique inconnue

En raison de sa situation stratégique, l’archipel maltais a été occupé par de nombreuses sociétés : Phéniciens, Grecs (un millénaire avant J.C., l’île aurait accueilli le plus célèbre des navigateurs de l’Odyssée, Ulysse, retenu par les charmes de Calypso sur l’île de Gozo), Romains, Barbares, Byzantins, Arabes Aghlabides d’Ifriqiya, Normands, Angevins, Aragonais.

Malte a été profondément marqué par l’influence de l’Ordre Souverain de Malte, fondé à Jérusalem en 1048, et établi à Malte au XVIe siècle. Les riches et prestigieux chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem ont couvert l’archipel d’une quantité d’églises et de monuments fortifiés au cours des siècles de leur présence.

Tous ses membres, des nobles de naissance, étaient revêtus d’une cape noire ornée d’une croix blanche. Leurs tombes ornent le sol de plusieurs églises.

Les chevaliers de Malte réussirent à maintenir leur ordre militaire dans une relative indépendance : ils possédaient non seulement leur propre armée et leur marine de guerre, mais ils frappaient monnaie et envoyaient des représentants diplomatiques dans toutes les cours d’Europe. En réalité, grâce aux chevaliers, les îles de Malte formèrent un petit État souverain qui, de 1530 à 1798, rendit les plus grands services à la chrétienté et fut la terreur des pirates musulmans. En 1802, les chevaliers à la croix de Malte furent expulsés par les Britanniques. Aujourd’hui, l’ordre de Malte continue d’être reconnu par l’Église catholique de Rome, mais il ne s’agit plus que d’un ordre de chevalerie strictement honorifique.

Plus tardivement, entre les deux guerres mondiales, Britanniques et Français s’y sont installés.

L’archipel réunit d’autres originalités : il s’agit du plus petit Etat de l’Union européenne depuis son entrée en 2004, quarante ans après son indépendance du Royaume Uni ; sa densité y est une des plus élevées au monde ; ses habitants y parlent une langue sémitique d’origine berbère et arabe, mais qui est la seule ici à être écrite en alphabet latin.

Une nature très abîmée

De tels déferlements humains sur des surfaces aussi réduites ont eu des impacts considérables sur la nature maltaise. Actuellement, on ne peut qu’être un peu déçu par les paysages terrestres, particulièrement abîmés sur la grande île de Malte par l’expansion des villes et le dense réseau routier. Une recherche sur Google prétend qu’il reste quelques reliquats de ces chênaies à chêne vert, avec quelques exemplaires vieux de 9 siècles, dans un lieu protégé dénommé Il-Ballut Tal-Wardija dans la baie Saint Paul, qu’il nous a été impossible de trouver. Sans doute la surface modeste (200m sur 40 seulement) la rend-elle presque invisible. Le chêne vert est éparpillé dans la campagne.

Le lieu le plus boisé est celui-ci ci dessous : une ancienne oliveraie abandonnée !

À défaut de vraies forêts, l’archipel comporte quelques espèces arborescentes, comme le pin d’Alep, largement répandu dans la Méditerranée de l’ouest. Le cyprès de l’Atlas (Tetraclinis articulata), un conifère de la famille des Cupressacées, y a trouvé refuge entre Afrique du nord et sud de l’Espagne, qui constitue son aire de distribution.

Cette espèce est considérée en grand danger d’extinction par l’UICN, en raison de sa rareté naturelle et surtout des multiples usages qu’en ont fait les hommes depuis l’Antiquité comme arbre pour la construction et pour des usages médicinaux. Devenu symbole de l’île, présent sur les pierres tombales des chevaliers de l’Ordre de Malte, il est abondamment planté le long des chemins, routes et jardins, notamment dans le seul grand jardin boisé, un peu sauvage, à Busket Garden. Peut-être subsiste-t-il quelques individus à l’état sauvage. Certains sites sont cités sur internet : Mellieha au nord, il-Maqluba au sud-sud ouest de Malte, dans le centre Est (aire de Mosta) et Iċ-Ċagħak au nord ouest de Malte.

Une autre plante m’a intriguée : le lierre. Il survit sur les murs, n’ayant presque plus de supports arborescents qui lui conviennent. Il pourrait venir de la même population que celle de l’Afrique du nord, ou alors de Sicile. Toutefois, on prétend qu’il aurait été importé par les Anglais. Peut-être que les deux théories sont exactes : il aurait colonisé Malte naturellement, comme partout dans les îles méditerranéennes et atlantiques, mais se serait métissé avec des lierres importés d’Europe.

Lierre sur un mur, dans la capitale

Ces îles dévastées par l’homme conservent encore quelques paysages magnifiques dans les champs en friche et dans les maquis au printemps. Les fleurs sauvages (glaieul, iris, coquelicot) y sont de toute beauté.

Parmi les nombreuses espèces endémiques de l’île, la curieuse plante nommée en forme de champignon, le cynomorium écarlate (en maltais Għerq tal-Ġeneral, racine du Général), une plante vivace parasite aux vertus diverses (aphrodisiaque, anti hémorragique, anti dermatoses) ne vit que sur un rocher à l’Ouest de Gozo (cf image à gauche ci-dessous). On peut en voir une représentation dans un musée à Malte (image de droite).

Depuis l’isolement de l’archipel, seuls les petits mammifères ont survécu. À cela s’est ajoutée l’impressionnante liste des animaux apportés par l’homme, dont les plus anciens sont le rat et le lapin, arrivés avec les Phéniciens il y a 2700 ans. La chair du lapin est d’ailleurs fort appréciée sur l’île.

Quant aux oiseaux migrateurs, ils croient trouver sur ces îles un refuge lors des grandes migrations printanières et automnales. Malte, grâce à sa position géographique entre l’Italie et la Tunisie, est en effet un lieu de halte essentiel pour ces oiseaux franchissant la Méditerranée. C’est l’un des trois principaux couloirs de migration entre l’Europe et l’Afrique avec Gibraltar et le Bosphore. Mais sur Google on peut lire de nombreux articles témoignant que ce pays devient un enfer pour les oiseaux de passage. En effet, il existe des « traditions » scandaleuses de chasse aux oiseaux, qui n’ont pas été totalement remises en cause avec l’entrée de ce pays dans l’Union européenne. Il s’agit selon certains auteurs d’un véritable massacre organisé d’une partie des oiseaux migrateurs européens qui ont la malchance de migrer au-dessus de ce pays dans leur route vers l’Afrique. En 2022, le lobby de la chasse à Malte est toujours présent, et semble même augmenter, incluant la destruction de plusieurs oiseaux de proie protégés.

Certains oiseaux, tels que le faucon pèlerin, de la même famille que le célèbre faucon maltais, ont disparu de l’île depuis 1980, rapporte le quotidien britannique The Independent.

Voici la triste liste de l’estimation du nombre d’individus tués annuellement réalisée en 2015.

Bondrée apivore (500-1.000), Faucon crécerelle (1.000-1.750), Busard des roseaux (400-800), Faucon hobereau (500-1.000), Héron cendré (500-1.000), Bihoreau gris (1.000-2.500), Aigrette garzette (1.000), Héron pourpré (400-800), Pluvier doré (1.000-1.500), Tourterelle des bois (100.000-200.000), Coucou gris (500-1.000), Petit-duc et Hiboux des marais (500-1.000), Grive musicienne (200.000-300.000), Rouge-gorge (20.000-50.000), Huppe fasciée (1.500-2.500), Engoulevent d’Europe (2.000-3.000), Alouette des champs (50.000-100.000), Pie-grièche à tête rousse (100-300), Loriot (4.000-7.000), etc. Plus de 250.000 Moineaux espagnols, 30.000 Hirondelles rustiques et de fenêtre et 15.000 Martinets noirs servent également chaque année de cibles d’entraînement, le corps des victimes mortes ou blessées jonchant les rochers. En outre, il faut également constater le tir de Chevaliers aboyeurs, Traquets motteux, Guêpiers d’Europe, Avocettes élégantes, Echasses blanches, Oedicnèmes criards, Busards cendrés, Balbuzards pêcheurs, Circaètes Jean-le-blanc, Percnoptères d’Egypte, Faucons kobez, Cigognes, Flamants, Grues cendrées…

En résumé, tout ce qui passe !

Il reste les oiseaux sédentaires commensaux, comme les moineaux, qui semblent pour la plupart atteints de dépression génétique, ainsi qu’en témoignent les formes albinos partielles ou totales qu’on peut voir un peu partout.

Un séjour très enrichissant, mais qui laisse finalement une impression de profonde destruction des milieux naturels, sans apparente remise en question de la part de ses habitants.

Un peu de bibliographie

Hunt, C.O. & Schembri, P.J. 1999 Quaternary environments and biogeography of the Maltese Islands. In: Mifsud, A. & Savona Ventura, C. [eds] Facets of Maltese prehistory. pp. 41-75; Malta : The Prehistoric Society of Malta; vii + 243pp.

Guilaine J. 2001 Malte et la préhistoire de la Méditerranée dans Malte du Néolithique à la conquête normande, Dossier d’archéologie, 267, p. 18-19.

Palombo M.R. 2001 The World of Elephants – knowledge, problems and perspectives. International Congress, Rome 2001.

Stevens D. 2000. The Maltese national tree

Cet article a 3 commentaires

  1. comte Lanza

    Bonjour,

    J’ai trouvé vitre article sur le milieu naturel maltais très intéressant.

    Dans votre rappel historique, une petite précision. Vous écrivez : ” En 1802, les chevaliers à la croix de Malte furent expulsés par les Britanniques. Aujourd’hui, l’ordre de Malte continue d’être reconnu par l’Église catholique de Rome, mais il ne s’agit plus que d’un ordre de chevalerie strictement honorifique.”

    En fait, les chevaliers furent expulsés par Bonaparte, en route pour l’expédition d’Egypte, en 1798 : il donna trois jours aux chevaliers pour se rendre et ceux-ci se rendirent sans combat (un dédommagement fut même promis par Bonaparte), une partie des chevaliers français “acquis aux idées nouvelles” comme on dit, se joignant même à l’expédition de Bonaparte. Les îles passèrent sous domination française mais en peu de temps les Français se rendirent impopulaires et les Maltais, révoltés, appelèrent au secours la flotte anglaise, aboutissant à l’expulsion des Français en 1799. En 1802, lors de la paix d’Amiens, il fut convenu que Malte reviendrait sous l’autorité de l’ordre de Malte, mais la population ayant protesté auprès des Anglais contre le retour des chevaliers, cette clause ne fut pas appliquée et provoqua (avec d’autres circonstances) la reprise de la guerre entre la France et la G-B.

    Vous écrivez aussi “Plus tardivement, entre les deux guerres mondiales, Britanniques et Français s’y sont installés.” – si des Britanniques se sont fixés à Malte (sorte de protectorat de 1799 à 1814 puis colonie anglaise de 1814 à 1964) – est-ce que les Français ont été nombreux à s’y fixer ?
    Si cela vous intéresse, j’ai publié sur mon site une étude sur les possessions britanniques en Méditerranée, dont Malte évidemment :
    http://comtelanza.canalblog.com/archives/2016/07/03/34042200.html
    Bien cordialement,
    G. PAGANELLI alias comte Lanza

  2. Ponchon (ascendants maltais Grima, Zamuth)

    Merci pour ce focus, tres interessant, sur un territoire qui m’est cher.
    Vous pourriez ajouter deux points importants me semble t il:
    – l’un est l’attachement viscéral au catholicisme de cette île constamment assiégée par l’islam, qui fut un des grand rempart contre l’expansion ottomane. Le “Grand Siege” a été gagné d’extrême justesse, au prix d’une mobilisation sans faille de la population autour des chevaliers.
    – l’autre est l’importance des flux migratoires à partir de cette île, plateau calcaire, sans eau et très peu de terres cultivables (d’où la chasse, cruelle mais source traditionnelle de nourriture).

    Au XIX ème siècle, nombre de maltais se sont établis en Afrique du Nord lors de la colonisation, en Algerie notamment. Leur langue, d’origine sémite, en faisait des interprètes précieux. Ils se sont mélangés aux émigrés economiques (espagnols et italiens), français de partout (souvent déportés politiques autour de 1851 et lors des nombreux changements de regimes ), alsaciens-lorrains autour de 1870 après la défaite de Sedan.
    Née en Algérie en 1956 je suis un quart maltaise. Les 2 grands pères de ma mère étaient maltais, ses grands mères, lorraine pour l’une, mi espagnole mi bourguignone pour l’autre.
    C’est un cas de figure extrêmement fréquent.
    Nombre de mes compatriotes font le voyage pour retrouver des ancêtres ou simplement connaître le pays.

    1. Annik Schnitzler

      bonjour
      merci pour vos précisions. ce pays est vraiment très particulier! Dommage que la nature ne puisse plus y avoir de place, mais c’est vrai que c’est difficile sur un aussi petit territoire.
      Bien cordialement
      Annik Schnitzler

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