Ce voyage que j’ai fait en 2015 avec ma fille Sophie a été pour nous deux un éblouissement, tant pour ces fascinantes cénotes que pour les visites des forêts et des temples des Mayas. Nous avons notamment visité plusieurs cenotes du Yucatan, de la pleine ville aux ruines archéologiques et aux sites les plus touristiques, entre Valladolid, Chichen Itza, la route de Ruta Puuc, les ruines de Coba, Merida, et la région de Tulum et jusque dans les zones rurales plus reculées et non touristiques du Quintana Roo.
Histoire naturelle du Yucatan
On dit que la péninsule du Yucatan, longue plate-forme calcaire située au sud est de Mexico, est un lieu d’exception de la planète. Dans sa partie nord occidentale en effet, elle a été au plus près de la zone d’impact de la célèbre météorite qui a contribué à mettre fin à l’ère des dinosaures il y a 65 millions d’année. Les trous bleus, ou cénotes, en sont les conséquences bien visibles aujourd’hui. C’est également dans cette péninsule que s’est développée l’ancienne culture des Mayas.
Un peu de géologie: d’où viennent les cénotes ?
C’est à ce bolide céleste qu’on attribue l’origine du gigantesque cratère de 85 km de diamètre partiellement enfoui sous 600 à 1000 m de sédiments marins, dans les profondeurs du golfe du Mexique
Dans sa partie terrestre, l’onde de choc a créé trois anneaux imbriqués les uns dans les autres, de diamètres allant jusqu’à 195 km. Ces structures périphériques du cratère ne sont plus vraiment visibles en surface, mais on en devine au moins l’une d’elle, car elle a été concrétisée au cours des temps géologiques par la création d’une quantité impressionnante de gouffres à ciel ouvert, creusés dans le substrat calcaire de la péninsule. Ces gouffres suivent exactement la ligne de courbe du deuxième anneau.
Ils se sont formés par fracturation quelques millions d’années après l’impact, à la fin de la première moitié de l’ère Tertiaire à la suite d’un affaissement localisé de la plate-forme calcaire du Yucatan. De ces fractures multiples sont ensuite nés en quelques millions d’années des réseaux de galeries et de grottes situés entre la surface et 120 m de profondeur. Une autre théorie place la formation de ce réseau au Quaternaire, durant les variations eustatiques du niveau marin qui ont tour à tour fait émerger ou immerger la plate-forme calcaire du Yucatan. Dans le secteur de Tulum, en mer, la présence de nombreux canyons situés dans le prolongement des grands réseaux souterrains actuels, ainsi que la datation des concrétions (144 000 à 44 000 ans) confirmeraient plutôt cette dernière hypothèse.
En bordure de mer, les eaux se déversent sur les côtes sous forme de sources sous-marines, qu’on peut deviner par les bulles éclatant à la surface de la mer.
Le recensement des cénotes faite par le gouvernement du Yucatan a permis d’évaluer le nombre de cénotes et autres cavernes ennoyées à 2241 pour l’ensemble du réseau souterrain, mais ce chiffre est loin d’être définitif. 900 cénotes font directement partie de l’anneau périphérique du cratère de Chicxulub. En effet, le réseau de galeries, grottes et gouffres reste encore bien mal connu et ne peut s’explorer qu’à l’aide de plongeurs professionnels, car il est en grande partie ennoyé dans la nappe phréatique de la péninsule. La présence de cette eau d’origine pluviale explique d’ailleurs l’étymologie du terme cénote, qui vient de l’ancien maya tz’onot qui signifie « cavité avec de l’eau ». L’eau des cénotes est souvent d’un bleu extraordinaire lié à sa composition chimique et la profondeur.
Les cénotes s’ouvrent en pleine forêt sous la forme de puits verticaux ouverts à l’air libre. On peut descendre pour y nager dans les eaux turquoise. Cette nage est encore plus extraordinaire lorsque le cenote est difficile d’accès, peu fréquenté par l’homme car caché dans la végétation forestière, et qu’on y descend au moyen d’échelles rudimentaires.
La faune des cénotes est tout à fait étonnante.
Dans les cénotes, on peut parfois apercevoir le Mot Mot (Eumomota superciliosa), un oiseau superbe à sourcils bleus . Très coloré, il possède une longue queue se terminant par des plumes bleu turquoise en forme de lyre, du plus bel effet lorsqu’elle les balance comme un pendule. Ce balancier lui a d’ailleurs valu le nom local de pájaro reloj ou « oiseau montre ». Le chant de cet oiseau est simple et sourd, mais l’écho qui s’en empare au fond du cénote en fait un son tout simplement magique.
La faune des cénotes est également constituée des populations d’hirondelles à front brun (Petrochelidon fulva) et plusieurs espèces de chauves souris. En pleine ville, à Valladolid, j’ai pu observer un faucon (Falco rufigularis) spécialisé dans la chasse aux chauves-souris, en attente au-dessus du gouffre à la tombée de la nuit. Un autre prédateur, plus rare et que je n’ai pas pu voir est le boa constrictor, qui attend, comme le faucon, la sortie vespérale des chauves-souris pour les happer au passage. Ce boa frappe au hasard, s’aidant de la chaleur de leur corps qui leur permet de mieux viser.
Au sein même des eaux des cénotes, la vie est également très active, et très variée en fonction du degré d’éclairement. Dans les cénotes ouverts et semi ouverts, le phytoplancton est à l’origine des réseaux trophiques. Dans l’obscurité, cette végétation aquatique disparaît et certains animaux (crustacés, poissons) s’y maintiennent grâce à quelques adaptations bien connues : dépigmentation, perte de la vue – au profit du développement de capteurs sensoriels. Dans les cénotes fermés, les organismes se nourrissent de matières organiques issues de la surface ou provenant de cavernicoles (guano de chauve-souris).
Les cénotes, la forêt et l’homme
Sans les relations des arbres avec l’eau souterraine, la forêt mixte (caduque/semi sempervirente) du Yucatan ne bénéficierait pas d’un couvert foliaire aussi dense et permanent. En effet, le climat de la péninsule est de type tropical sec, et caractérisé ici d’une longue période sans pluies, de novembre à mai. Durant la période pluvieuse, le Yucatan reçoit certes jusqu’à 1 500 mm dans certains secteurs, mais l’eau s’infiltre rapidement dans le réservoir karstique, éliminant toute possibilité de cours d’eau de surface.
Les cénotes sont d’une grande importance pour les populations humaines du Yucatan soumises à un manque chronique d’eau. La photo ci-dessous montre l’étendue des forêts sèches qui s’étendent à perte de vue dans la péninsule, rendant invisibles la plupart des infrastructures créées par l’antique peuple maya.
Les cénotes étaient sacralisés du temps des anciens Mayas, faisant l’objet de cérémonies en hommage aux dieux de ce monde souterrain. Les hommes descendaient au moyen d’échelles ou autres aménagements creusés à même le roc pour accéder à l’eau. À Chichen-Itza, de jeunes vierges et des enfants étaient drogués, sacrifiés et jetés dans le Cenote Dzonot de 65 m de circonférence et profond d’une trentaine de mètres. Ci-dessous représentation des escaliers des Mayas vers ce profond cénote. Ce site est également célèbre pour les boas qui ouvrent leurs gueules au bas de la pyramide. Les photos suivantes représentent une statue d’un léopard et d’un oiseau de proie. Le dernier correspond à des crânes d’homme sculptés alignés sur plusieurs mètres de longueur.
La forêt tropicale sèche
Première et deuxième photos : des lianes et des épiphytes en sous-étage. Troisième photo: les marques d’une liane sur ce tronc, mais la liane a disparu.
Première photo : une termitière a été édifiée sur une grosse liane.
Deuxième photo: une très grosse liane s’accroche aux arbres.
Troisième photo: une belle construction édifiée par un insecte (fourmilion ?) pour attraper des proies.
Les grottes sèches
La somptuosité des cénotes fait oublier qu’il existe d’autres merveilles naturelles et archéologiques nées des mêmes processus géologiques : ce sont les grottes sèches, dénommées localement « rejolladas ». Elles étaient également des lieux sacrés pour les anciens Mayas, qui y plantaient l’arbre qui fournit une boisson sacrée à base de cacao (Theobroma cacao), ramené des forêts denses d’Amérique centrale.
Ces grottes sèches ont aussi servi d’abri et de lieu de culte à des sociétés postérieures aux anciens Mayas. Certaines cavernes atteignent 60m de profondeur et peuvent couvrir plusieurs kilomètres. Ainsi la grotte de Loltun près de Mérida, est longue de 2 km. De nombreux témoignages d’occupation humaine sous forme d’outils, pétroglyphes, peintures rupestres y ont été trouvées, qui témoignent de toutes les étapes de l’évolution des sociétés mayas. Le plus émouvant témoignage de cette présence humaine ancienne est une main en négatif, posée sur une paroi au fond d’une paroi, telle qu’on peut en voir souvent dans les grottes préhistoriques en Europe. Cette main a été datée de 10 000 ans.
Ci-dessous : escalier pour accéder à la grotte, qui comprend deux orifices, et des inscriptions sur parois
Il y a mieux encore : en 2007, un squelette remarquablement conservé, trouvé en compagnie d’ossements de 26 mammifères dont un tigre à dents de sabre, a été trouvé dans la grotte noyée de Hoyo Negro, près de Tulum dans le Quintana Roo, lors de l’exploration en plongée du réseau de grottes et galeries. L’analyse génétique de l’ADN d’une dent de la personne en question a déterminé son sexe, son âge lors de sa mort, la période à laquelle cette personne avait vécu, et son origine géographique. Il s’agit d’une femme décédée à l’âge de 15 ans et ayant vécu il y a 12 000 – 13 000 ans. A cette époque le niveau marin était suffisamment bas pour que ce cénote ne soit pas totalement ennoyé. Ce squelette, le plus ancien connu pour l’Amérique, atteste de l’origine asiatique des Amérindiens, venus coloniser ce nouveau continent à partir du détroit de Béring.
Les zones humides du Yucatan
Nous avons également visité la réserve de Sian ka’an, zone humide riche en marais et mangroves, située dans le prolongement de la zone hotelière de Tulum. Très riche en oiseaux, nous en avons observé un grand nombre parmi les flamants roses, balbuzard pêcheur, cormorans, pélican brun, ibis blanc.
L’histoire du cacao
Le cacaoyer, originaire du bassin amazonien, a été cultivé principalement en Mésoamérique, à partir du IIe millénaire av. J.C. Le cacaoyer est un arbre dont les graines, qui sont appelées fèves de cacao, permettent de produire le cacao par torrefaction.Le cacao était produit pour les peuples d’Amérique à des fins alimentaires, rituelles, médicinales et économiques. Il a été introduit en Europe par Hernan Cortes. Un petit musée à Santa Elena nous en illustre l’histoire. Il existe aussi quelques recettes délicieuses à partir de cacao qu’on peut déguster dans les restaurants.
En conclusion : les cénotes et leur environnement doivent être mieux protégés
Rien n’est plus rébarbatif que les cénotes proches des centres touristiques de masse, bétonnés et surfréquentés. Entre Tulum et Cancun, et dans les grandes villes, les cénotes sont en effet défigurés par des aménagements en béton, leur niveau de salinisation augmenté par l’utilisation de pompages intensifs pour l’alimentation en eau de ces villes. Dans les secteurs très peuplés, les eaux souffrent aussi de l’agriculture productiviste avec son cortège d’engrais chimiques, pesticides, insecticides, voire de résidus domestiques jetés sciemment. De nombreuses fosses septiques sont situées à l’aplomb des rivières souterraines ou de l’aquifère de telle sorte que la contamination bactériologique consécutive pose de sérieux problèmes d’ordre sanitaire. Sur la côte Caraïbe, ce sont des réseaux entiers d’écoulements clandestins qui se déversent dans ces cavités. Par ailleurs, de nombreux animaux sauvages (ci-dessous un tamanoir) peuvent être tués par la circulation automobile, malgré les pancartes de signalisation (ci-dessous en seconde position : panthère)
Les cénotes, et plus globalement tout le réseau karstique souterrain du Yucatan, l’un des plus vastes du monde, occupent une place à part dans les merveilles naturelles de la planète. Leur beauté et les ressources en eau sont appréciées à leur juste valeur depuis la venue de l’homme sur cette partie isolée du monde. Leur lien originel avec un événement géologique majeur de la Terre les rend encore plus précieux. Les cénotes méritent donc pleinement une gestion durable, incluant création de réserves naturelles et respect de leur biodiversité.
Références
Crespo M.B. 2001. A new approach on the bioclimatology and potential vegetation of the Yucatan Peninsula (Mexico). Phytocoenologia 31, 1, 1-31.
Salomon J.N. « Cenotes et trous bleus, sites remarquables menacés par l’écotourisme », Les Cahiers d’Outre-Mer [Online] http://com.revues.org/815 ; DOI : 10.4000/com.815.
Chatters J.C. 2014. Late Pleistocene human skeleton and mDNA link Paleamericans and modern native Americans. Science 344, 6185, 750-754.
Bonjour
Merci beaucoup pour cet article ! Je suis actuellement dans le Yucatán.
Pouvez-vous préciser le nom du ” superbe marais avec arbres à échasses” que vous avez visité svp ?