Nisyros est une île à part dans l’archipel du Dodécanèse, qui rassemble les îles grecques les plus proches de la Turquie. D’origine volcanique et de taille modeste, elle est restée relativement isolée des autres îles jusqu’à une date récente.. Les habitants actuels peu nombreux, vivent pour l’essentiel du tourisme ou encore d’une agriculture modeste.
Nous avons visité l’île de Nisyros durant 8 jours, en mars avril 2022, dans le but de connaitre un des paysages volcaniques de la Grèce les moins connus. Généralement, les touristes ne visitent l’île qu’une demi-journée à partir de Kos, ou restent un jour ou deux.
La proximité de la Turquie a aussi fait partie des raisons pour lesquelles nous avons choisi cette île, car les plantes qui l’ont colonisée correspondent au domaine biogéographique du Proche et Moyen Orient, ce qui est plutôt rare en Europe.
L’histoire géologique de Nisyros
Cette île (36° 35′ 10″ N, 27° 09′ 36″ E) située en mer Egée près de la Turquie, fait partie de l’arc volcanique englobant, d’Est en Ouest, créé par la subduction de la plaque africaine sous la microplaque de la mer Egée. Elle se situe à la marge orientale de cet arc volcanique, encore très actif. Pratiquement ronde, son diamètre est de 10 km pour une surface d’environ 43 km².
En son cœur, une caldeira de 4 km de diamètre pour une profondeur de près de 300 m, entourée de sommets rocheux dont le plus haut atteint 698m.
Au sein de la caldeira, se trouvent plusieurs formations géologiques :
- une plaine (plaine de Lakki, voir photo plus haut) ;
- plusieurs dômes volcaniques ;
- et quelques cratères dans la partie Sud, dont le plus spectaculaire est celui dénommé Stéphanos (300m de diamètre et 25m de profondeur).
Ce type de volcan intéresse beaucoup les vulcanologues : en témoigne l’abondante littérature géologique qu’on peut trouver sur les sites spécialisés, témoignant de nombreuses études sur le terrain. De ces études, il ressort que le strato-volcan de Nisyros de type andésitique a évolué en trois périodes principales.
La première période a débuté entre 300 000 et 200 000 ans avant le présent, sous la mer. Le fait d’avoir surgi dans l’eau de mer explique la présence d’hyaloclastites et de laves en coussin, en bordure de plage près du village de Mandraki.
Les hyaloclastites sont des roches volcaniques issues du refroidissement explosif d’une lave au contact de l’eau à faible profondeur, puis de la consolidation des éclats.
Les laves en coussin se produisent lorsque le refroidissement de la lave se fait à plus grande profondeur dans l’eau.
Vers 200 000 ans, l’île émerge au-dessus de la mer. Les coulées, épaisses de quelques mètres, sont plutôt fluides, ainsi que l’attestent les tunnels de lave parsemés dans l’île. S’ensuit un autre type d’éruption, composée de cendres et de scories, qui recouvre les coulées précédentes, suivie d’autres coulées de lave acide. D’autres explosions pyroclastiques couvrent ensuite l’île de pierres ponces sur près de 100m.
Ces explosions ont été produites par deux volcans, dont il reste encore les traces dans le paysage sous la forme d’un neck.
À la fin de cette première période, les accumulations de pierre ponce provoquent l’effondrement du toit de la chambre magmatique, créant la caldeira actuelle.
La deuxième période correspond au remplissage de la caldeira par des éruptions explosives, qui ont créé des dômes de lave (des dacites et des rhyolites), qui remplissent plus de la moitié de la caldeira, atteignant des épaisseurs de plus de 600m.
La troisième période correspond aux éruptions historiques, toutes situées dans la caldeira, en 1422, 1830, 1871 à 1873 et 1887. Des séismes plus récents ont secoué l’île, provoquant l’abandon de certaines parties de village, comme celui d’Emporios.
Ces éruptions sont phréatiques, car il existe deux nappes d’eau souterraine (nappes phréatiques) à 300°C, dans le sous-sol de la caldeira.
L’activité la plus récente se serait produite au sud de la caldeira avec la mise en place de plusieurs cratères phréatiques comme le cratère Stéphanos (300 m de diamètre et 25 m de profondeur, photo ci-dessus), il y a un peu plus de 120 ans.
Des dômes de dimensions modestes se forment à proximité de ce cratère. Leurs couleurs vives, du jaune à l’orange, témoignent de la présence de soufre et de gypse. Les vapeurs de soufre remplissent l’atmosphère, montant avec le vent à l’assaut des pentes, jusque dans les villages perchés avoisinants.
Il existe quelques sources d’origine hydrothermale qui surgissent aux ruptures de pente, au niveau de la mer. Mais elles ne sont pas potables, car composées d’eau de mer, de fluide magmatique et d’un peu d’eau de pluie. Leur richesse en éléments minéraux explique qu’elles soient utilisées pour des bains thermaux, et ce depuis l’Antiquité.
Il a existé plusieurs établissements thermaux sur l’île, tous en ruine, sauf un, appartenant à un hôtel.
L’andésite est une roche volcanique de couleur grise, appartenant à la série magmatique calco-alcaline. Elle est surtout dominée par les feldspaths. La dacite est de couleur claire, elle est composée de quartz, de plagioclase, de verre et de minéraux ferromagnésiens. La rhyolite est de couleur claire, souvent rosée, composée de grands cristaux de quartz, feldspath et biotite.
L’histoire des paysages
Un problème pour la vie sur l’île : le manque d’eau
Les sources d’eau sont inexistantes sur l’île, car le matériel volcanique est bien trop poreux. L’eau de l’île provient donc des pluies, plutôt abondantes en hiver et au printemps, qui est encore recueillie par les habitants dans des citernes. Mais actuellement, l’eau est surtout acheminée à partir des sources disponibles dans d’autres îles.
Un paysage vert
Les sols fertiles liés au volcanisme, et une pluviométrie suffisante en dehors de l’été (total des précipitations annuelles moyennes de 700 mm) assurent une productivité importante à l’île de Nisyros, expliquant son aspect verdoyant. Mais les paysages actuels sont issus d’usages millénaires. Qu’en serait-il si l’homme n’y avait jamais mis les pieds ?
En fait, les paysages originels de Nisyros seraient sans doute des chênaies à Quercus ithaburiensis ssp macrolepis, et Quercus coccifera, présentes en Grèce, en Crète, et dans les pays du Proche et du Moyen Orient. Sans doute y avait-il d’autres espèces feuillues d’origine orientale :frêne fleur (Fraxinus ornus), ou charme-houblon (Ostrya carpinifolia).
Un autre facteur a détruit les forêts : l’activité volcanique ! toutefois, ces parties à l’intérieur de la caldeira ne sont pas stériles. Erica arborea et Cistus creticus, deux buissons des maquis, s’avancent jusqu’au pied des zones les plus riches en soufre, devenant de plus en plus petites et rabougries. Dans une ancienne partie du cratère Stefanos, on note même un beau chêne, entouré de nombreuses Euphorbia characias d’un jaune vif ! et les chèvres s’en donnent à cœur joie jusqu’au cœur des cratères, malgré le sol toxique et les émanations de soufre.
Les sociétés humaines
Les humains se sont installés à Nisyros depuis les temps préhistoriques, comme en témoignent les découvertes archéologiques, présentées dans le musée de l’île de Rhodes. L’île a connu une histoire complexe, en raison de sa proximité avec la Turquie. Nisyros a eu à se défendre contre les attaques de pirates, ce qui explique que deux villages, Nikia et Emporios, soient situés sur les points les plus hauts de l’île. Mandraki, le port actuel, est celui qui concentre actuellement la majorité de la population, qui avoisine les 1000 habitants vivant pour l’essentiel du tourisme d’été. Mais la population était bien plus nombreuse au début du XXe siècle, car estimée autour de 5000 habitants.
Avant les années 1940, Nisyros était cultivé en vue d’une production locale, plus un approvisionnement des marchés les plus proches. La pratique culturale majeure était de type agro-sylvo-pastoral caractérisé par l’association d’une culture d’arbres, buissons et herbacées, le tout confiné à d’étroites terrasses étalées les unes au-dessus des autres sur les flancs de toutes les montagnes, à l’intérieur et à l’extérieur de la caldeira. De tels paysages en terrasses se sont surtout développés à la fin du Moyen Âge dans les îles grecques. Ils constituent de véritables « forêts fruitières » composées d’un chêne à glands doux (Quercus ithaburensis ssp macrolepis), aux usages multiples (consommation animale, tannerie, écorce, charbon), mais de bien d’autres espèces : le caroubier, l’olivier, le figuier, l’amandier, le poirier, le pistachier, parfois le palmier.
Le chêne Quercus ithaburensis ssp macrolepis, typique de l’Est de la Méditerranée, est le seul chêne décidu de l’Est méditerranéen. En général, les espèces à feuilles caduques sont plus résistantes que celles à feuilles pérennes. Ce chêne est apte à vivre après les incendies et supporter des stress dont les autres espèces de chênes sont incapables. Ses glands sont de taille impressionnante.
Le caroubier (Ceratonia siliqua) est d’origine incertaine, peut-être d’Arabie, ou d’Indo Malaisie, ou encore de Turquie et Syrie. Domestiqué depuis le Néolithique, il est largement répandu dans tout le pourtour méditerranéen. Ses appellations en français sont nombreuses : Carouge, Pain de Saint Jean-Baptiste, figuier d’Egypte, fève de Pythagore. Il est utilisé pour ses fruits (une silique) et ses graines, aux vertus médicinales, et pour son bois. À Nisyros, se trouve un caroubier aux dimensions spectaculaires : près de 20m de hauteur, une circonférence de plus de 3m.
Sous leur ombrage sont cultivés vigne et céréales (avoine, seigle) des herbes aromatiques ou médicinales (thym, lavande, origan, gomme balsamique du pistachier).
Les terrasses étaient également pâturées pour partie, permettant l’élevage extensif de chèvres et moutons. Ces animaux étaient soigneusement parqués afin d’éviter le vagabondage et la consommation des plantes domestiquées. La fertilisation des terres était assurée par des sols naturellement riches, notamment à l’intérieur du volcan, et par les déjections animales.
Le travail agricole, parfois loin des villages, explique que ces paysages de terrasse soient parsemés de maisons en pierre de forme rectangulaire, mais dont le porche d’entrée et l’intérieur sont en arc en plein cintre d’une grande beauté. Les parois, épaisses, incluent des enfoncements de différentes hauteurs et dimensions. Ces abris servaient entre autres, de site de dépeçage des animaux domestiques. D’autres types de construction, encore bien présentes dans le paysage, sont les petites chapelles ou les sanctuaires, car la population est chrétienne orthodoxe.
1980-1990 jusqu’à nos jours : Evolution des paysages par effondrement des usages traditionnels
La population de l’île a connu un net accroissement à la fin du XIXe siècle et jusqu’au début du XXe siècle. Les constructions de terrasses en pierre sèche ont alors fortement augmenté, allant jusqu’à occuper près de 60% de la surface de l’île. Le départ des habitants a débuté au milieu du XXe siècle, s’accélérant dans les années 80-90. Un des anciens habitants, avec qui nous avons discuté lors de notre séjour, se désolait de la dégradation rapide des milieux cultivés, par glissements de terrain suite aux abandons des cultures, croissance des arbres des bords de terrasse, et effondrement des murets lors de passages répétés de chèvres, évoluant en totale liberté. Des rochers, s’écroulant des anciennes coulées de lave, parsèment certaines terrasses.
Les anciennes cultures de vigne apparaissent çà et là accrochées aux buissons et à quelques arbres ; les céréales anciennement cultivées comme le seigle poussent par petits groupes sur les sentiers étroits ou les bords de route, en compagnie des anciennes messicoles (coquelicot etc.). Les euphorbes (Euphorbia characias) s’étalent souvent dans les anciennes cultures enrichies par les excréments des chèvres, formant de vives taches de couleur entre les terrasses. Quelques plantes exotiques commencent à s’étendre, dont le redoutable figuier de Barbarie, d’origine américaine, qui envahit de nombreux paysages du bassin méditerranéen.
Ce qui frappe peut-être le plus dans les paysages actuels est l’impression qu’une forêt s’est à nouveau installée sur l’île.
En effet, bien des arbres plantés en bordures de terrasse sont devenus énormes. Ainsi, la plupart des chênes étalent leurs branches très largement au-dessus de troncs parfois tourmentés. En joignant les houppiers entre arbres voisins, le paysage semble s’être considérablement refermé. Les oliviers, parfois énormes, accumulent les branches mortes tout autour d’eux.
C’est dans les parties les plus loin des quelques villages, ou en hauteur que l’ensauvagement est le plus accentué. Les sentiers ont souvent disparu, ce qui rend difficile l’exploration des montagnes. Celui que j’ai suivi, entre Evangelistria et le centre de la caldeira, était parsemé de pierres écroulés, d’arbres effondrés, de bonsaï de chênes kermes, intensivement broutés par troupeaux de chèvres en pleine liberté. Les maisons de bergers peuvent servir de mouroir : un bélier y est mort, et gisait, à moitié décomposé, et entouré d’ossements plus anciens, sans doute dus aux dépeçages de bergers, datant de plusieurs décennies. Quelques crânes de chèvres parsèment ce sentier. La partie la plus sauvage au niveau des sommets est riche en perdrix grises (une vingtaine s’envole). Renseignements pris, elles sont présentes toute l’année, et chassées en automne, mais modérément : je n’ai vu qu’une cartouche au sol. J’entends quelques autres oiseaux chanter : un hibou petit-duc, (vers 15 h), le pinson des arbres, la huppe fasciée. Les corneilles mantelées sont abondantes, mais moins qu’aux étages inférieurs.
Ce qui empêche la forêt de revenir pleinement est la densité considérable des troupeaux de chèvres, qui s’attaquent aux semis, herbacées et buissons, montant sur les arbres, et ce jusque dans les parties les plus escarpées de l’île. L’abondance des chèvres serait due à un choix personnel des agriculteurs de maintenir leur bétail voire de l’augmenter plutôt que de dépendre de nourriture importée.
Quant aux abris en pierre des bergers, ils s’effondrent partiellement.
Nisyros constitue donc un ensemble unique pour le Dodécanèse, notamment par la présence de sa puissante caldeira et l’activité encore bien présente du volcan, et ses paysages luxuriants, contrastant avec ceux, presque vides de vie végétale, des autres îlots proches constitués de calcaires durs aux sols stérilisés par le pâturage et les brûlis.
Références
- Benmahioul B., Kaïd Harche M., Daguin F. 2011. Le caroubier, une espèce méditerranéenne à usages multiples. Forêt Méditerranéenne, XXXII (1), 51-58.
- Di Paola 1994. Volcanology and Petrology of Nysiros Island, Bull. Volc., Vol 384, 944-987.
- Pantera A., Papadopoulos A., Fotiadis G., Papanastasis V. P. 2008. Distribution and phytogeographical analysis of Quercus ithaburensis ssp. macrolepis in Greece. Ecologia mediterranea, 34(1), 73-82.
- Petanidou T., Kizos T., Soulakellis N. 2008. Socioeconomic dimensions of changes in the agricultural landscape of the Mediterranean basin: a case study of the abandonment of cultivation terraces on Nisyros Island, Greece. Environmental Management, 41 (2), 250-266.
- Schnyder C. 2004. Aperçu volcanique de l’île de Nisyros. Bull Société Volcanique de Genève 40, 7-10.
- Simkin T., L. Siebert L. 1994. Volcanoes of the World, Ed. Smithsonian Institute.
Merci beaucoup pour ces belles promenades, de Dabo à Nysiros, dans des paysages connus, aimés, et soudain rendus à toute l’ampleur de leur vie sans nous, par toutes les indications que vous apportez. L’imaginaire trouve d’autant plus à y éclore, et la beauté à s’y révéler.
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