Au cours des années 2018 et 2019, j’ai visité quelques beaux sites de lacs et de montagnes entre sud du Kazakhstan et nord est du Kirghizstan en Asie centrale. Ces deux pays sont séparés à ce niveau par les montagnes du Tian Shan au nord du lac Issyk-Kul du Kirghizstan.
Kirghizstan et Kazakhstan : une histoire commune
Ces deux pays sont composés d’un même peuple, le peuple turkic, originaire de Sibérie (partie supérieure du bassin Yenisey). Les traditions de ce peuple sont issues d’un nomadisme pastoral, unique moyen traditionnel pour survivre dans ces milieux difficiles. Sous la pression des Mongols, ce peuple s’est déplacé vers l’Ouest au cours du XIIIe siècle et s’est établi dans la partie occidentale du Tian Shan au XVIe siècle, se mélangeant avec d’autres populations locales. En 1860, la colonisation par les Russes puis la déportation de nombreuses ethnies provenant d’Asie durant la deuxième guerre mondiale ont encore diversifié les coutumes et les langues. Ce mélange des peuples est bien illustré par cette image photographiée à l’aéroport d’Almaty !
Kyrgyz et Kazakhs sont donc proches culturellement, avec des langues mutuellement compréhensibles. Les chevaux font partie de leur culture quotidienne, et sont très nombreux dans les deux pays.
Ci-dessous, 3 usages du cheval: la monture dans la vie quotidienne, la voltige et la nourriture les jours de fête !
Les montagnes du Tian Shan
Avec 2500 km de longueur, les montagnes du Tian Shan sont les plus longues d’Asie au nord du plateau tibétain : elles s’étirent entre Tashkent en Ouzbekistan et la province Est de Xinjiang en Chine. Elles sont au plus large au centre du Kyrgyzstan (275 km) et constituées de 6 chaînes parallèles, toutes supérieures à 4000m.
Ces montagnes sont nées de la déformation du continent asiatique à la fin de l’ère Tertiaire, lorsque l’Inde est entrée en collision avec l’Asie. Cette collision a déformé le sud de l’Asie sur 2000 km au moins.
Riches en rivières et lacs, les montagnes du Tian Shan constituent une très vaste île verdoyante du centre de l’Asie, isolées entre le vaste désert Taklimakan en Chine, et les steppes arides du Kazakhstan au nord. Cette situation écologique particulière a permis à un grand nombre d’écosystèmes de se maintenir à l’état de reliques lorsque le climat de l’Asie s’est progressivement aridifié.
Une conséquence de l’émergence du Tian Shan : des forêts fruitières isolées durant des millions d’années
Les pommiers sauvages (du genre Malus) comprennent plusieurs espèces qui occupent les montagnes d’Asie centrale, entre Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan, et Xinjiang. Ces forêts dites fruitières, qui poussent entre 1000 et 1600m sur les pentes humides (nord et nord ouest et nord est) des vallées ont évolué de manière isolée en Asie centrale, en raison de l’aridité des écosystèmes voisins. C’est dans cet espace confiné qu’on peut trouver plusieurs espèces de pommiers sauvages, qui forment des forêts pures ou mixtes en compagnie d’autres Rosacées : abricotiers sauvages, prunelliers, aubépines, sorbiers.
Parmi les différents Malus, Malus sieversii est l’espèce à qui est à l’origine de la pomme cultivée. Le documentaire historique et scientifique « Les Origines de la Pomme, ou le jardin d’Eden retrouvé » (2010) de Catherine Peix a permis de faire connaître au monde entier les travaux de l’académicien Aymak Djangaliev (1913-2009) sur Malus Sieversii, le pommier sauvage du Kazakhstan. Les recherches récentes en génétique ont montré que cette espèce, née il a plus de 45 millions d’années, est l’ancêtre de tous les pommiers cultivés du monde.
En milieu naturel, les conditions optimales de croissance de cette espèce se trouvent sur sol humide, humifère, et en bonnes conditions lumineuses. L’arbre peut alors atteindre 12 à 14 m de hauteur et des troncs de 70 à 80 cm de diamètre. Ces trois photos ci-dessous illustrent l’abondance des pommiers sauvages dans les montagnes du Tian Shan. Leur floraison en mai est de toute beauté.
Comme tous les pommiers, Malus sieversii se reproduit d’une part par voie sexuée, grâce aux ours qui en consomment les fruits. On dit que pour attirer ces gros herbivores, l’espèce a sélectionné des fruits de grande taille, des arômes puissants, des couleurs très voyantes, des goûts très sucrés. L’ours, en sélectionnant toujours les fruits les plus goûteux, aurait favorisé l’émergence de populations de pommes très sucrées. Ce sont ces dernières qui seraient à l’origine des pommes domestiques.
La sélection de fruits les plus sucrés par les ours est également reconnu en Arménie pour une espèce proche, la poire. Des observations locales ont prouvé que les ours ne consommaient pas n’importe quel poirier poussant dans les forêts ou aux alentours des villages.
Un trait de vie du genre Malus qui l’aide à surmonter les rigueurs climatiques est la capacité de multiplication clonale par les racines, ainsi que le greffage naturel entre racines d’individus génétiquement différents. Il se forme ainsi des biogroupes d’individus connectés par les racines, qui s’entraident en cas de déficit en eau, en nutriment ou en cas de traumatisme.
En effet, le climat est rude à ces altitudes de l’Asie centrale, avec des gelées tardives qui peuvent totalement modifier l’aspect des montagnes mais l’espèce est très résistante au froid et à la sécheresse.
Les photos ci-dessous ont été prises le lendemain d’un beau jour ensoleillé, où les pommiers étaient tous en fleur et les tulipes sauvages étaient sorties de terre: une parfaite illustration de la rudesse du climat à ces altitudes en Asie centrale.
Les paysages forestiers du Kirghizstan
Dans les hautes vallées du Kirghizstan (et aussi du Kazakhstan), entre 1700 et 3200m, l’espèce dominante est l’épicéa Picea schrenkiana. Ce sont de très beaux arbres à architecture longiligne (une adaptation aux hivers neigeux), qui peuvent former des forêts relativement denses. Nous en avons rencontré plusieurs au Kyrzystan. Les autres espèces les plus fréquentes sont des genévriers (Juniperus semiglobosa, Juniperus seravschanica, Juniperus turkestanica) et des sorbiers (Sorbus tianschanica, Sorbus persica, Sorbus tianschanica).
Kok Zhaiyk ou Kek-Jaiyk est une vallée toute proche des gorges de Jeti-Oguz, dans la région d’Issyk-kul, à une altitude de 2800 mètres au dessus du niveau de la mer. C’est une vallée qui se distingue par sa beauté constituée de forêts d’épicéas.
Les plaines alluviales se trouvent à différentes altitudes, dans les plaines, les steppes et les montagnes. Leur état général est mauvais: elles sont en général défrichées et n’occupent que quelques rubans le long des cours d’eau. On les appelle des Tugai
Les milieux ouverts du Kirghizstan
Les paysages de cette région orientale du Kyrgystan sont arides et parsemés de lacs d’altitude
Quelques jours en altitude autour du lac Kol Ukok
Cette belle randonnée de deux jours s’est faite à cheval. Nous avons atteint ce lac après plusieurs heures de chevauchée tranquille et passé la soirée dans ce décor somptueux de hautes montagnes.
Le lac d’Issyk-Kul, Kirghizstan
Ce lac est le second plus grand lac de montagne d’Asie centrale. Situé à 1600 m d’altitude, il est long de 182 km et d’une largeur de 60 km, il est profond de 702m. En dépit d’un climat continental accentué dans cette partie du monde, les précipitations atteignent 600 mm par an.
Le canyon Skarga sur la côte sud du lac, non loin du village Tamga est un lieu géologique célèbre pour sa beauté. Constitué de grès de couleurs variées, il montre aussi des formes géomorphologiques tout à fait curieuses, ce qui lui vaut le surnom de Canyon conte de fée.
Les pétroglyphes de Cholpon-Ata
Le Kirghistan est en effet très riche en pétroglyphes (dessins ou gravures sur pierres), dont plusieurs dépeignent la grande faune extraordinaire qui le peuplait il y a quelques siècles. J’en avais étudié l’histoire avec un spécialiste, Luc Hermann, qui étudie ces signes émouvants du passé dans les pays d’Asie centrale. Il les inventorie, évalue les styles, qui témoignent de l’univers imaginaire des sociétés qui les ont gravées ou peintes. Ces figures animales peuvent aussi témoigner de l’environnement, des relations entre prédateurs et proies, et des pratiques locales de chasse.
Nous avons rencontré Luc Hermann sur le site-musée de 42 ha à ciel ouvert proche de la ville de Cholpon-Ata et sur la rive nord du lac Issyk-Koul, à 202 km à l’est de Bishkek.
Ce site comporte de nombreuses pierres arrondies, qui sont des moraines apportées par les glaciers du Quaternaire.
Ces roches ont servi de lieux de culte à plusieurs sociétés du passé, dont celles des Turkic. Des cercles de pierre parsèment les lieux.
Sur ce site, on peut admirer de très nombreux dessins et gravures sur les moraines, représentant animaux (chèvre, cerf, cheval, chameau, félidés) et chasses par l’homme. La chèvre est l’animal le plus fréquemment représenté, sans doute parce qu’il avait une grande signification pour les populations Turkic. Mais les pétroglyphes peuvent être antérieurs à l’arrivée de ces populations, et concerner des peuples ayant vécu à la fin de l’Age du Bronze (1500 ans av. J.C.). Ces pierres témoignent de la riche faune de ce pays, et représentent un héritage à protéger et à conserver.
Le lion et le tigre ont vécu dans ces vastes plaines dans les forêts riveraines (qu’on nomme des tugai), chassant le gibier, abondant le long des cours d’eau. Ces deux espèces sont disparu depuis des siècles, et le souvenir de leur présence a presque disparu. On en trouve parfois une représentation locale le long des routes.
En conclusion : Ces deux voyages m’ont permis de visiter des écosystèmes bien différents de ceux d’Europe. Peu connus des Européens, ce deux pays gagnent à être connus pour leur originalité écologique et culturelle, mais aussi leurs contributions aux pays d’Europe de l’Ouest.
Remerciements: je remercie vivement Damien Saraceni pour la relecture du texte et les conseils prodigués
Quelques références
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Farrington, J. D. (2005). A report on protected areas, biodiversity, and conservation in the Kyrgyzstan Tien Shan. Fulbright Fellow-Environmental Studies Kyrgyzstan, Former Soviet Central Asia2003-2004, 13-18.
Luby, J., Forsline, P., Aldwinckle, H., Bus, V., & Geibel, M. (2001). Silk road apples-collection, evaluation, and utilization of Malus sieversii from Central Asia. HortScience, 36(2), 225-231.
Schnitzler, A., & Hermann, L. (2019). Chronological distribution of the tiger Panthera tigris and the Asiatic lion Panthera leo persica in their common range in Asia. Mammal Review, 49(4), 340-353.
Kaderli, L. E. Y. L. A., & Alieva, C. (2022). An Evaluation on Detection Study of the Petroglyphs in the Region of Cholpon-Ata, Kyrgyzstan. Cedrus, 10, 69-93.
Lecture et photos toujours aussi agréables
Merci pour la valorisation des pommiers : j’ai pu observer leur bonne tolérance au froid ainsi qu’à la sécheresse, ce que vous confirmez.
Celà soutient et encourage ma démarche personnelle : j’ai commencé à en utiliser en tant que quasi végétation pionnière sur une parcelle en régénération naturelle humainement aidée sans hâte ni précipitation