Aux temps mérovingiens en Gaule, l’ours est largement répandu dans toutes les forêts de plaine. Les vies des saints abondent en histoires d’ermites et autres pieux personnages voisinant dans leurs solitudes avec des ours qu’ils finissent par apprivoiser grâce à leurs mérites.
Les témoignages de l’archéozoologie
Les témoignages anciens de la présence de l’ours dans les Vosges, la plaine du Rhin et la Forêt-Noire datent de l’époque mérovingienne pour les plus anciens. C’est l’archéozoologie qui apporte les premières données. Elles concernent des dents d’ours qui sont utilisées par les châtelaines comme pendentifs. Les châteaux du côté des Vosges ou de la Forêt Noire fournissent des dents ou des ossements. Ainsi, le château de Sponeck, à Jechtingen (Bade-Wurtemberg), daté de la deuxième moitié du IVe s. fournit des ossements d’ours brun. De même pour le site de Wiesbaden-Breckenheim, datant aussi du IVe siècle. Ce site alaman est situé environ 200 km au nord de Strasbourg, à moins de 10 km à l’est de la rive droite du Rhin. On y trouve des ossements de grands gibiers ; aurochs, cervidés, et ours brun. En Alsace, des ossements d’ours sont trouvés parmi les déchets de pelleterie d’Horbourg-Wihr pour cette époque mérovingienne.
D’autres données datent du Plein Moyen Age : ainsi le site de Strasbourg « Place du Château », a livré un métatarse de castor et une phalange d’ours, datés de la phase « Médiéval 1 » (900 à 1015. Dans les Vosges, a été trouvé dans le château d’Ortenbourg (Bas-Rhin) une mandibule d’ours brun de grande taille, trouvée dans un cône de réjection du château, associée à du mobilier daté des 13e-15e s.
Charlemagne et son fils au 9e siècle le chassaient activement dans la plaine d’Alsace et les Vosges où il est resté abondant en plaine jusqu’autour de l’an 1000. L’empereur Henri II à cette date, concéda à l’évêque de Strasbourg le droit exclusif de le chasser dans la forêt entre jonction du Rhin et Moder. Il a accordé le même privilège à l’évêque de Bâle Adalbéron pour la forêt de la Hart. Au XIIe siècle, Frédéric Barberousse le chassait en forêt de Haguenau
Au XIIIe siècle, il est encore commun dans la vallée vosgienne de Saint Amarin et autour de Thann. En 1448, l’un descend dans les collines du pied mont et ravage les vignes du Kaysersberg. En 1475 d’autres mangent les raisons à Guebwiller. .
L’ours fait partie des animaux chassés pour leurs fourrures mais aussi pour l’alimentation. Les pattes d’ours sont des morceaux de choix souvent mentionnés dans les redevances médiévales de même que des quartiers de viande d’ours. Notons que la présence de dents ou de peaux ne suppose pas forcément que l’ours provenait de la région où ces restes étaient trouvés. Cela pouvait être des cadeaux ou des échanges entre personnes d’animaux provenant d’autres régions.
Les ours et les saints
Les légendes peuvent conforter éventuellement de la présence des ours dans une région. En Alsace, où les ours étaient encore bien présents au Haut-Moyen Age, Ces légendes ont fait la célébrité des relations entre saints et ours, étaient symboliques, l’ours étant une divinité paienne, qu’il fallait remplacer par un dieu chrétien.
La plus connue étant celle de Sainte Richarde et de l’Ourse dans l’abbaye d’Andlau. Cette abbaye a été fondée autour de 880 par l’épouse de Charles le Gros. Ce site a montré quelques monnaies gallo-romaines, sans qu’on puisse toutefois attribuer la présence ancienne d’un sanctuaire. Une ourse qui enterrait son ourson aurait désigné le site à Richarde, qui y fonda une abbaye, qui en souvenir, conserva longtemps un ours vivant et enchainé en son sein. Au XVIe siècle, on remplaça les ours par une sculpture représentant un ours, qu’on peut encore voir de nos jours. Mais le pouvoir de l’ours s’arrêta alors: on raconte que depuis la fin des ours vivants, les pélerinages perdirent beaucoup de leurs effets bénéfiques. Cette symbolique liée à l’ours reste très présente encore actuellement, dans tout le village. On y trouve plusieurs statues, associées ou non avec la sainte, et de différentes époques. Notons qu’un ossement d’ours n’a été trouvé dans l’enceinte de l’abbaye.
La ville d’Andlau célèbre la légende de la sainte par des sculptures et peintures.
Une autre légende concerne le très célèbre Saint Colomban, qui christianisa l’Alsace trois siècles plus tôt. Ce saint, voulant se reposer dans une grotte, y rencontra un ours qui sommeillait. Il lui ordonna de partir, ce qu’il fit. Une autre fois, le même saint trouve un ours en train de charogner une proie de cerf tuée par des loups. Le saint lui demander de ne pas abimer la peau afin de s’en servir pour faire des sandales, et l’ours partit.
La présence de l’ours dans les Vosges est attestée par de nombreux lieux-dits (grotte de l’ours, basse de l’ours, bois de l’ourson, champ lours, fosse de l’ours, Baerenberg). A Provenchères sur Fave, le blason de la commune comporte deux têtes d’ours.
Les temps modernes
Cette carte dressée par Catherine et Jean Poirot indique les sites où ont été répertoriés les ours tués autour de 1650 (en grisé) et autour de 1750 (points noirs) dans les Vosges.
La carte ci-dessous indique que l’ours s’est retiré peu à peu dans le Sud des Vosges. Les massacres de l’espèce se prolongent de plus en plus intensivement, grâce à l’usage des armes à feu permis pour la population après la guerre de Trente ans. Au XVIe siècle, on en trouve dans le val d’Orbey en nombre. En 1564, les statuts autorisent les montagnards à le chasser sous réserve d’offrir la tête et les quatre pattes au seigneur. Dans la vallée de la Fecht, la ville de Munster offrait des jambons d’ours comme cadeaux de cérémonie. En 1621 plusieurs communautés de la vallée de la Thur viennent se plaindre qu’ils descendent dans leurs vignes. Un sujet est tué en 1675 dans la forêt de Barr, un autre près d’Andlau en 1695.
A Bussang, au cours du terrible hiver 1709, un chasseur du Ventron tue un ours sur les flancs du Drumont au lieu dit La grotte de l’ours. On garde le souvenir d’un autre ours tué en 1673.
Le dernier ours de Charmes est tué en 1717 au cours d’une battue à chevreuil. A Gérardmer, le dernier ours est abattu en 1710. A Rochesson les ours étaient encore chassés en1720-1730. A Sualxures sur Mosellotte, deux oursons capturés en 1627 et transportés au palais ducal à Nancy. A Val d’Ajol, les ours sont extirpés d’un château de Fougerolles où ils avaient élu domicile dans les souterrains. A Vagney, en 1707 un jeune ours est vu au centre du village
L’ours a ainsi disparu progressivement au cours des temps modernes après s’être peu à peu retiré vers les sommets vosgiens. Le versant alsacien des hautes Vosges, en particulier les flancs abrupts du Hohneck et des sommets limitrophes, semble avoir constitué l’ultime refuge de l’ours dans le massif, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle.. Plusieurs vallées se disputent le tir du dernier spécimen : les forêts de la Lauch, au-dessus de Guebwiller, les vallées de la Thur ou de Munster. Mais il n’est pas impossible que des ours se soient encore risqués à parcourir les Vosges au cours du XVIIIe siècle, ainsi que l’atteste l’ours tué vers 1830 à Mittlach.
A l’échelle de la France, les Vosges, les Alpes, la bordure orientale du Massif Central et les Pyrénées recèlent encore des ours au XVIIIe siècle.
L’ours dans le massif du Donon
Il n’y a aucune mention d’ours dans le massif, mais il existe deux lieux-dits qui suggèrent la présence d’ours : Baerenthal et Baerenholen, sur la crête entre Schneeberg et Grossmann.
En conclusion
La triste histoire de l’ours n’est pas à l’honneur des Vosgiens; elle rejoint les réactions de rejet de la nature sauvage qu’on trouve partout en France. Il n’était en effet pas forcément utile de détruire cette magnifique espèce dans les Vosges, si intimement liée à l’imaginaire (et à l’économie aussi) des hommes. Fort heureusement, d’autres pays et d’autres sociétés n’ont pas fait la même erreur. Espérons que l’ours pourra un jour revenir dans cette partie de la France, en connexion avec d’autres montagnes proches, comme le fait actuellement le lynx et plus timidement, le loup.
Références
Poirot C. et J. L’ours dans les Vosges ?
(Rieb 1986 encyclopédie Alsace).
(Landolt et al 2008)