Les Cévennes se situent aux confins du Massif Central, à la confluence entre trois types de climats : atlantique, montagnard et méditerranéen. On y trouve trois types de roches : granite, schiste et calcaire. Les reliefs s’étagent entre 200 et 1700m d’altitude, les plus hautes montagnes se situant du côté ouest. Des vallées encaissées s’élèvent entre 250 et 1000m d’altitude. Des gorges traversent ces reliefs, dans deux directions opposées, formant parfois de véritables canyons.
Pays de pastoralisme, les forêts originelles (celles qui ont colonisé les Cévennes au cours de l’Holocène : chênaies mixtes en basse altitude, hêtraie-sapinière aux étages supérieurs) ont pratiquement totalement disparu depuis des siècles. Les Cévennes restent toutefois boisées, soit par des taillis (actuellement inutilisés ou en tout cas peu utilisés) sur les pentes accessibles proches des hameaux et villages, soit des plantations de conifères datant des années 1960, qui recouvrent de vastes surfaces. Sans oublier les châtaigneraies (souvent >50 % de l’espace), originellement en verger, mais que l’abandon de la valorisation restitue au stade forestier. Elle est à l’origine de la disparition à peu près complète des chênaies caducifoliées climaciques des zones à sol assez profond et qui reviennent petit à petit depuis 1950. Par contre la chênaie verte s’est maintenue à l’état de lambeaux sur les versants rocheux à sol squelettique à l’adret au-dessus de 700-800 m.
Dans ces forêts, toutes hautement anthropisées, l’if n’a pu subsister, à la différence des autres massifs forestiers (Alpes, Pyrénées, voire Vosges) plus riches en zones refuges dans les rochers et falaises.
Toutefois des adeptes du canyoning ont signalé aux botanistes locaux quelques ifs isolés dans le département de la Lozère en région Occitanie. Ces ifs poussent dans le fond de la gorge, dans quelques fissures orientées nord ouest, directement au-dessus de la rivière du Chassezac, à 540m.
La gorge est à cet endroit très accidentée, riche en pics de granite et recouverte d’une jeune forêt de recolonisation sur d’anciennes plantations de châtaigniers.
À la recherche de l’if monumental
Un if particulièrement impressionnant aurait été signalé parmi ces ifs isolés.
Deux expéditions, l’une en automne 2021 et la deuxième en août 2022, ont été organisées pour aller l’observer et tenter de le carotter afin de déterminer son âge et aussi observer de plus près son environnement. Pour l’expédition du mois d’août, nous étions trois : Jean-Paul Mandin, un botaniste spécialisé dans l’étude des genévriers poussant en falaise, et président de la Société botanique de l’Ardèche, Olivier Peyronel, garde/chargé d’études dans la Réserve naturelle nationale des gorges de l’Ardèche et formateur au CREPS Occitanie et Aura, et moi-même.
Pour accéder à cet if, il faut descendre une pente plutôt raide débutant par un ancien sentier muletier, qui disparait sous de gros blocs de granite qu’il faut contourner ou escalader, lorsqu’on se rapproche de la rivière, 334 m plus bas.
La fin du parcours est encombré de gros blocs de granite quand on s’approche du fond du vallon.
Cette partie du Chassezac est située entre deux barrages et les eaux y sont profondes. Pour parvenir de l’autre côté de la gorge, il faut nager le long des parois à partir du niveau d’un petit barrage dans une eau froide, mais agréable en été, ce qui n’est pas le cas du mois d’octobre 2021, date à laquelle a été effectuée la première expédition !
On remonte ensuite dans une fissure sur corde fixe à l’aide de jumars”, la tête protégée d’éventuelles chutes de pierre par un casque. Tout au long de la fissure s’ébattent, durant ce mois d’août 2022, de petits crapauds épineux (Bufo spinosus).
L’if monumental réfugié au fond de la fissure a poussé dans des conditions difficiles : sol presque inexistant, importance des chutes de pierre. En revanche la sécheresse estivale est partiellement compensée par un très faible ensoleillement, même au plus fort de l’été.
Les traumatismes accumulés au fil des siècles se concrétisent dans l’architecture de l’arbre : un tronc rampant sur un ou deux mètres, qui se redresse au-dessus du vide, une large branche suspendue au-dessus du vide et une couronne cassée. Tronc et branche principale sont creux.
Les données dendrochronologiques ont été effectuées par Jean Paul Mandin.
Ce gros if fait 142 cm de circonférence à la base, donc environ 76 cm de diamètre. Mais il est creux, et sur cette base s’est développé un tronc sur la partie basale. À la base, deux carottes ont été réalisées, l’une sur 28 mm, l’autre sur 57 mm, et une branche morte a été prélevée, d’un diamètre moyen de 45 mm. La carotte de 28 mm comporte 83 cernes ; celle de 57 mm 172 cernes, et la branche 118 cernes.
Si on fait l’hypothèse que la vitesse moyenne de croissance a été constante tout au long de la vie de l’arbre (ce qui n’est probablement pas le cas, l’arbre ayant pu avoir des croissances plus rapides ou plus lentes selon les périodes sans que l’on puisse le savoir), on peut faire une estimation de l’âge : pour un rayon de 380 mm et une vitesse de croissance 0,3 mm/an, on obtient 1266 ans et pour une vitesse de 0,4 mm/an : 950 ans.
Lors de la deuxième expédition, le tronc a été carotté à environ 2m du sol. Sa circonférence à cette hauteur est de 45,2 cm, soit un rayon de 22,6cm. Le tronc était tout aussi creux qu’à la base, et la carotte n’était que de 38mm, mais inclut 188 cernes, soit une vitesse de croissance de 0,2mm/an. Ici encore, si la vitesse de croissance est constante, on obtient un âge de 1130 ans.
Une recherche plus précise dans la zone où les cernes étaient très petits a été effectuée en novembre 2023 par Frédéric Guibal, de l’IMBE à Aix en Provence, à la demande de Jean Paul Mandin, Luc Garraud et Thomas amodel. Frédéric Guibal a recompté: résultat: 1340 cernes. Mais comm il manque tout l’aubier et probablement
une partie du duramen périphérique car le tronc était bien érodé, l’âge de l’arbre est évalué entre 1400
et 1500 ans !!!
La population autour de l’if millénaire : pour l’instant, 6 individus comptabilisés.
D’autres ifs sont présents : leur apparition reste un mystère
4 ifs ne dépassent pas 2m. Ils sont au pied de l’if millénaire, mais n’ont pu être issus de cet individu seul, car l’espèce est dioique. Nous ignorons pour l’instant son sexe. Ces petits ifs (qui peuvent être centenaires !) ont été apportés à l’état de graine par les oiseaux. Mais d’où ? De populations présentes dans d’autres parties de la gorge ? De jardins ou de cimetières ??
Sans doute donc y a-t-il quelques autres petites populations dans la gorge ou d’autres gorges proches, qui permettent le maintien de l’espèce.
Cet if vénérable, autant que les ifs de taille plus modeste, nous démontrent l’extraordinaire résilience de l’espèce face aux activités humaines, grâce à deux atouts : une grande capacité à coloniser et à se maintenir dans des habitats extrêmes si l’humidité est suffisante, où il se trouve à l’abri des activités humaines, et une grande longévité qui lui permet de se reproduire sur des siècles.
D’autres ifs pourraient être découverts dans la région, notamment dans tous les ravins et falaises difficiles d’accès.
Une enquête plus approfondie est nécessaire pour mieux cerner l’histoire de cette espèce fortement menacée à l’échelle nationale et régionale, notamment dans cette partie du territoire français.
Références
Guide du naturaliste Causse Cévennes. A la découverte des milieux naturels du Parc national des Cévennes. Libris 2007
Que ne ferait on pas pour découvrir des ifs ? C’est ça la passion des arbres !
Bravo pour cette incroyable découverte botanique !