Les volcans ont toujours fasciné l’humanité, comme le prouve le nombre de personnes qui gravissent les flancs des volcans, même actifs, autour de la planète. J’ai pour ma part gravi de multiples volcans dans le monde, actifs ou éteints, admirant la variété des paysages créés par les éruptions.
Un des plus beaux volcans d’Europe que j’ai visité, en 1995, 2019 et 2021, est l’Etna, en Sicile. En 1995 et 2019, on pouvait accéder au sommet avec un guide, mais ce n’a plus été le cas en 2021: trop dangereux !
Ce volcan est le plus actif d’Europe, et aussi le plus haut, avec une altitude très élevée (3357m), mais variant en fonction de ses explosions. Il est gigantesque, avec une superficie totale de 1500 km² avec un diamètre de base de plus de 35 km. Les activités explosives et effusives maintes fois répétées expliquent la présence d’environ 300 cratères latéraux et 250 tubes de lave sur ses flancs.
La construction du volcan date du Quaternaire, et s’est faite en trois phases. Entre 300 000 et 150 000 ans, de grandes éruptions sous- marines de magmas ont mis en place des pillow lavas (lave en coussin) édifiées sous la mer. La deuxième phase s’est produite entre 150 000 à 80 000 ans, édifiant un grand volcan en bouclier. La troisième phase correspond à la mise en place de plusieurs stratovolcans formés de laves de différentes compositions, au-dessus du volcan préexistant. La plupart des éruptions historiques sont venues de fractures présentes sur les flancs du volcan.
L’activité de l’Etna est caractérisée par des phases stromboliennes suivies de coulées de laves issues des parties hautes du volcan et se répandant sur quelques km en aval.
Dans la partie sommitale, se trouvent 4 structures de cratères actifs : la Bocca Nuova, la Voragine, le cratère du nord-est et le cratère du sud-est, d’un diamètre de 200 à 250 m chacun.
La structure principale sur les flancs est celle de la Valle del Bove. C’est une dépression en forme d’amphithéâtre d’environ 4 km de large, située sur le versant oriental du cône et ouverte vers la mer. Elle s’est formée à la suite d’un énorme effondrement qui aurait fait glisser dans la mer une bonne partie de la structure.
J’y suis allée trois fois, en 1995, 2019 et 2021. À chaque fois, la beauté des paysages m’a profondément impressionnée, surtout lorsque la neige occupe les sommets. En effet, si le climat, de type méditerranéen, est très sec et chaud aux altitudes basses, il est bien plus froid vers 2950 m. IL pleut aussi beaucoup en altitude (1400 mm vers 700 m d’altitude) ce qui explique l’abondance de la neige. En hiver au sommet, les températures pouvant descendre jusqu’à −5 °C.
En 2019, il était possible d’aller jusqu’au sommet, par le flanc sud où sont concentrés les hôtels et agences de tourisme.
Les traces de soufre couvrent les bords des cratères et les pentes. Nous avons aussi parcouru les pentes directes du volcan et passé devant plusieurs autres cratères, dans un univers totalement minéral.
Toutefois, même si on ne peut plus monter jusqu’au sommet en 2021, des randonnées sont organisées pour visiter des forêts jusqu’en haute altitude. J’ai ainsi pu faire une belle sortie en septembre 2021, programmée avec l’agence “de Antonio” pour monter sur le flanc nord, à partir du refuge Cinissi, bien moins connu, et jusqu’à 2400m.
Le temps était magnifique pour un beau jour de septembre, le seul jour d’ailleurs de la semaine !
Cette randonnée m’a permis d’admirer de près les formations végétales qu’on peut trouver sur les flancs du volcan. Sur matériel pyroclastique, à texture poreuse et fine, la recolonisation des plantes est lente. Le terrain est en effet extrêmement perméable, exclut les cours d’eau et accentue le caractère sec du climat méditerranéen. La cendre favorise en outre le lessivage et empêche la formation de matière organique. Enfin, si les fumerolles riches en chlorure d’ammonium constituent une source d’azote pour les plantes, les cendres étouffent les banques de graine enfouies dans les anciens sols.
Ci-dessous : colonisation végétale à différentes altitudes
Sur les laves constituées de blocs, les surfaces exposées aux intempéries (vent, soleil, ruissellement) ne sont favorables qu’aux lichens incrustants. Dans les dépressions, à l’abri des vents, des matériaux organiques se concentrent et l’eau de pluie y est retenue. C‘est là que se trouvent les algues vertes et les bactéries fixatrices d’azote. Dans les meilleurs cas, il faut 15 ans pour les premiers lichens, 30 ans pour les mousses (dont une endémique : Stereocaulon vesuvianum), 100 ans pour les premiers buissons de genêts de l’Etna (Genista aetnensis), accompagnés d’herbacées (Rumex scutatus, Helichrysum italicum, Cerastium semidecandrum). Ces buissons restent stables plusieurs siècles avant que ne s’installent les forêts.
En altitude, entre 1300 et 2100 m, les forêts sont constituées de pins (Pinus nigra), dénommé souvent Pin laricio, et de bouleaux (Betula pendula ssp aetnensis), qui subissent des stress variés. Les conditions sont plus rudes qu’aux altitudes plus basses, dévolues aux forêts de chênes et de frêne. Là-haut, le climat est plus froid et l’influence du volcan plus directe. La présence d’un bouleau en climat méditerranéen peut paraître surprenante, car cette espèce est connue pour vivre dans des climats froids. Il est hautement probable que le bouleau ait atteint la Sicile durant la dernière glaciation, car l’espèce était bien implantée dans toute la région méditerranéenne. Lors du réchauffement climatique, le bouleau s’est réfugié sur les pentes les plus élevées de l’Etna où il a évolué en cette forme endémique, classée en sous-espèce -ssp aetnensis) par isolement géographique. Le bouleau a d’ailleurs développé une autre sous-espèce endémique en Espagne, ssp fontqueri en Espagne et au Maroc, toujours par isolement. Sur l’Etna, le bouleau s’est adaptés aux contraintes spécifiques du milieu (climat plutôt chaud l’été pour cette espèce, sol pauvre en nutriments et instable) par de nombreuses stratégies fort ingénieuses : un système racinaire très étalé, qui le stabilise sur les pentes instables, associée à une capacité de réitération (rejets à partir de méristèmes dormants) étonnante, afin de survivre aux multiples blessures occasionnées par les chutes de scories et les éboulements. D’autres adaptations au milieu volcanique sont une écorce particulièrement blanche, qui renvoie les rayons de soleil trop ardents de l’été, et enfin, et une intense symbiose avec plusieurs espèces de micro-organismes vivant dans ses racines, qui compensent ces milieux peu organiques et pauvres.
Évidemment, l’intervention de l’homme est aussi présente, même en altitude, pour le bois et le pâturage. Mais l’Etna est devenu Parc Naturel régional depuis 1987, afin de mieux protéger ses paysages. En 2013, l’Unesco a inscrit le volcan dans la liste des biens patrimoniaux de l’humanité sur 19 737 ha, et une partie de ce parc correspond à une réserve intégrale. En outre, il existe neuf sites zones Natura 2000 recouvrent recouvrant le bien site à différents degrés, assurant ainsi une protection additionnelle à hauteur de 77% de la zone totale de la législation européenne. Aucune installation humaine n’est présente, laissant place à de grands espaces de nature libre. Dans cette zone protégée, l’objectif est de permettre à la nature de suivre son cours en limitant au maximum l’intervention de l’homme.
Randonner dans ces formations de bouleau à l’écorce d’un blanc éblouissant est un véritable ravissement, notamment en automne lorsque leurs feuilles se colorent en un jaune vif, ressortant sur le fond noir des pentes.
Au cours de l’ascension, j’ai pu admirer l’évolution de l’architecture forestière : haute de 20m autour de 1 000m, elle s’abaisse à 1 m à 2 000 m, devenant aussi de plus en plus ouverte au milieu de superbes prairies alpines. A la limite forestière supérieure, les bouleaux forment des buissons rampants, éparpillés au milieu de touradons de hautes herbes de Astragalus siculus et de scories.
Actuellement, le parc intervient encore sur les bouleaux, en abattant tous ceux qui sont morts suite au parasitisme d’une cochenille nouvellement découverte : Diaspidiotus aetnensis endémique du Mont Etna, qui vit de manière spécifique sur le Bouleau. Étonnant que l’espèce ait besoin de l’homme pour se défendre, alors que ces deux partenaires coexistent depuis des millénaires.
Sur les flancs du volcan, nous avons aussi visité ce superbe tunnel de lave.
De retour de la randonnée, à Zafferana, j’aperçois dans la soirée une lueur rougeâtre de la fenêtre, qui visiblement s’échappe du cône principal de l’Etna. Renseignements pris par téléphone avec mon guide, j’apprends qu’une éruption est imminente.
Effectivement, lors de notre visite du lendemain à la ville voisine, Acitrezza, le volcan produit une forte explosion avec fumée noire et blanche s’élançant très haut dans le ciel. Aussitôt nous sommes montés par l’Etna nord pour essayer de s’en approcher. Au refuge Sapienza, nous avons pu monter par le téléphérique puis un bus qui nous a conduit à 2800 m, zone limite pour les touristes. Le volcan était magnifique, avec des fumées rousses qui sortaient par les fentes du volcan.
De retour à l’hôtel, le guide m’a envoyé des photos de l’éruption du groupe. Ils ont essuyé quelques scories, mais le spectacle était aussi superbe.
En dehors des parties sommitales, le volcan recèle encore d’autres très beaux paysages. Ainsi, les gorges de l’Alcantara, à une quinzaine de kilomètres de Naxos (entre Taormina et Catania) Ce canyon, à Motta Camastra, résulte d’un séisme qui aurait brisé en deux une vieille coulée de lave descendue de l’Etna, permettant ainsi au fleuve de s’y infiltrer. Dans sa plus belle partie, les parois sont étroites, car espacées d’à peine 4 ou 5 mètres et à certains endroits, hautes de plusieurs dizaines de mètres. Les orgues basaltiques y sont magnifiques.
Ce cours d’eau a le statut de fleuve “pérenne”, l’un des principaux de Sicile et le seul à être protégé par un parc fluvial.
L’Etna et la peinture
J’ai recherché activement des représentations des éruptions de l’Etna en peinture. Elles sont fort nombreuses. Je reproduis ici à gauche, celle qui avait dévasté Catane en 1669, et avait aussi donné naissance aux cônes de scories des monts Rossi. Sur la jetée de la ville d’Acitrezza, un artiste local a aussi peint les curieuses formes prises par les laves ayant atteint la mer.
D’autres œuvres touchantes peuvent s’observer sur le volcan même, comme cette petite grotte surmontée d’une croix, car la lave, en 1979, s’est arrêtée devant la chapelle. Des processions sont conduites depuis jusqu’à cette chapelle.
Je n’ai pas fini de revenir à l’Etna, afin de retrouver cette belle ambiance de volcan actif, et je recommande à toute personne visitant ce site d’en faire autant, et de ne pas se contenter de monter en voiture au refuge Sapienza, mais de randonner tout autour.
Un complément de notre visite en Sicile
En dehors de la visite à l’Etna, nous avons également parcouru quelques très beaux sites de la Sicile.
Palerme, la ville des églises et des palais
Palerme, capitale de la Sicile, est une ville magnifique, riche en palais et en églises de styles très différents. Ce site a été parcouru par un nombre incroyable de sociétés depuis la nuit des temps: Phéniciens, Carthaginois, Grecs, Romains, Byzantins, Arabes, Normands, Espagnols, Autrichiens… Impossible de tout visiter en si peu de temps. Voici quelques photos de quelques merveilleux palais arabo-normands.
Ci-dessous ; deux photos de la ville: des étalages appétissants de poissons dans les vieilles rues, et un panneau touchant qui souligne le problème de la mafia.
Une facette étonnante de cette ville hors norme: les catacombes de Cappuccini. De 1739 à 1850, des concessions se multiplient pour exposer des corps momifiés de personnes de la bonne société de Palerme, souhaitant passer leur éternité à côté de capucins enterrés là. On peut ainsi défiler dans les couloirs, le long desquels près de 8000 corps momifiés sont exposés. C’est là qu’ été tourné un film, Cadavres exquis de Francesco Rosi.
Une curiosité géologique le long des côtes sud de la Sicile
L’échelle des Turcs, ou Scala dei Turchi La Scala dei Turchi est une paroi rocheuse (falaise) calcaire situé sur la côte près de Realmonte, dans la province d’Agrigente. La couleur blanche de la roche est liée à sa nature calcaire. L’érosion et les vents ont façonné ce superbe paysage côtier.