“Il n’y a que par l’observation réelle d’un volcan actif qu’on peut en comprendre pleinement la splendeur et la terrible puissance. D’où vient ce feu inextinguible dont les vapeurs denses et sulfureuses s’échappent sans cesse d’un pic nu et désolé ? D’où proviennent les forces incommensurables qui ont produit le pic en question ? ”
Alfred Russel Wallace lors de son voyage dans l’archipel malais au milieu du XXe siècle.
Cette phrase résume la fascination que les volcans exercent sur les hommes, dans toutes les parties du monde. En Méditerranée, le plus beau d’entre eux est sans hésiter le Stromboli.
Ce voyage aux îles éoliennes était destiné à admirer de près ce magnifique volcan du Stromboli, un des plus actifs du monde. Je souhaitais aussi rassembler quelques données sur la végétation forestière poussant sur ses flancs, ainsi que sur ceux de Vulcano et Salina.
Brève présentation des îles éoliennes
Au nord de la Sicile, proche de la Calabre, se trouvent sept petites îles volcaniques formant un archipel célèbre, les îles éoliennes, qui doivent leur nom au dieu du vent de l’Antiquité, Éole. Cet archipel forme un arc insulaire de 145 km né d’une activité volcanique toujours active.
Le volcanisme des îles éoliennes est lié à la proximité des plaques tectoniques de l’Afrique et de l’Eurasie, connues pour générer des arcs insulaires (cf photo ci-dessous : la ligne noire est la zone de subduction de la plaque africaine sous la plaque européenne). Ce volcanisme est apparu au cours du Quaternaire, et pour la partie émergée, entre 270 000 et 250 000 ans. L’activité éruptive s’est arrêtée à différents moments de cette ère. Ainsi, Salina a connu une activité entre 244 000 et 15 000 ans ; Vulcano entre 127 000 et 143 000 ans ; Strombolicchio (proche du Stromboli) il y a 204 0000 ans, et Stromboli entre 85 000 ans et l’heure actuelle.
Le Stromboli est l’île la plus septentrionale de l’archipel des Éoliennes. Il correspond à la partie émergée d’un vaste édifice qui s’étend à 1500m sous la mer. Son altitude maximale est de 924 m. Ce volcan est fameux pour son activité constante sur environ 2000 ans, ce qui lui a valu le surnom de « Phare de la Méditerranée ».
La construction du Stromboli s’est faite en plusieurs étapes. Un premier édifice a vécu jusqu’à il y a 204 000 ans, et dont il reste comme seul témoignage le rocher du Strombolicchio.
L’activité volcanique s’est poursuivie par l’érection d’un deuxième volcan, actuellement éteint, le Vancori, qui forme le sommet de l’île. D’autres bouches éruptives se sont développées à proximité, provoquant d’impressionnantes accumulations de lave et plusieurs effondrements notamment du flanc nord-ouest. Ces effondrements ont donné naissance à la grande dépression de la Sciara del Fuoco. Cette dépression, bordée de falaises abruptes de 300m de hauteur, se poursuit sous le niveau de la mer jusqu’à une profondeur de 600m.
L’activité de ces bouches éruptives consiste en explosions rythmiques de très courte durée et peu énergétiques, qui éjectent des cendres et lapilli à des hauteurs de quelques centaines de mètres au-dessus du cratère.
Le volcan peut occasionnellement être sujet à des événements explosifs à haute énergie, qui détruisent la végétation sur ses flancs. Les éruptions qui ont le plus marqué les populations au cours de l’histoire ont été celles du XVIe siècle, et de 1930. Au cours de telles éruptions, des blocs de lave d’un volume du mètre cube ont atteint les bases du volcan, jusqu’aux villages de Stromboli et de Ginostra (photo à gauche ci-dessous). Les accumulations de lapilli peuvent aussi constituer de véritables falaises (photo du centre ci-dessous). L’autre danger pour les populations, est la possibilité de tsunamis, ce qui explique l’état d’alerte permanent de l’île (photo d’une pancarte d’avertissement, située au bord de la mer).
Les dernières éruptions ont eu lieu en 2003, 2007 et en 2019. Au cours de cette dernière éruption, qui a fortement marqué les esprits en raison de la mort d’un randonneur, se sont produites deux explosions puissantes. Elles ont été précédées de coulées de lave depuis toutes les bouches actives, projetant un puissant panache de fumée de deux km de haut (cf photo d’une carte postale, illustrant cette éruption). Depuis, la montée du volcan est interdite. Seul est permis une excursion avec guide jusqu’à 400m.
Le Stromboli émet également des coulées de lave sporadiques, soit à partir du sommet des cratères, soit à partir des fractures éruptives au sein même de Sciara del Fuoco.
Des visites sont organisées pour les touristes désireux de voir les éruptions du volcan.
Une des 6 explosions observées lors de cette sortie a été photographiée en 5 images successives. Le tout a duré moins d’une minute (cf ci-dessous)
En 1995, la première fois que je venais au Stromboli, tout était libre d’accès et j’ai pu monter jusqu’au sommet du Vancouri, au-dessus des bouches actives. Les trois photos ci-dessous en sont le souvenir. La montée jusqu’au sommet (ici représentée par une carte postale à gauche, et une de mes photos au centre) est extraordinaire, car lorsqu’on s’en approche, le sol tremble et l’odeur de soufre devient prégnante. La vision des bouches éruptives en feu, durant 2 heures était impressionnante par le bruit et les lumières.
Pourquoi s’intéresser à la vie végétale sur les volcans ?
Les volcans génèrent des conditions de vie tout à fait particulières pour les plantes. Lorsqu’ils sont actifs, les stress sont nombreux : chutes de pierre, éboulements, incendies créés par les matières incandescentes issues des éruptions, pluies acides liées aux gaz volcaniques. À cela est associé pour les îles éoliennes, un climat aride l’été et des vents fréquents, surtout en altitude.
Lorsqu’ils sont éteints, le milieu reste fragile, sujet au éboulements e des ravinements importants lors des fortes pluies. Les eaux de pluie ne sont aussi pas stockées dans les sols, trop poreux, ce qui favorise les torrents temporaires, comme celui ci-dessous pris à basse altitude à Stromboli.
Il est difficile d’évaluer ce que serait le milieu naturel du Stromboli, car dans ses parties les plus fertiles, il a été massivement transformé par l’Homme et ce depuis des millénaires. On peut toutefois tenter une reconstitution des milieux grâce aux données des pollens recueillies sur les sites archéologiques, et des données botaniques bien connues en Méditerranée. Les données palynologiques suggèrent la présence de chêne vert, ainsi que d’autres espèces de chênes à feuilles caduques et du frêne (signe d’une plus grande humidité) il y a 3700 ans. Mais ces forêts étaient sujettes aux incendies et aux éboulements, notamment près des bouches actives, et ne pouvaient perdurer que sur les endroits plus stables.
Les habitats à Stromboli
Ces forêts naturelles ont disparu de toutes les îles éoliennes. A Stromboli, il en reste quelques exemplaires de part est d’autre d’un grand ravin au-dessus de l’église de st Bartholo.
Entre les bosquets de chênes, toutes les parties instables ou mises à nu par les incendies et les éboulements des pentes du volcan, étaient recolonisées par des espèces pionnières à croissance rapide, incluant notamment trois buissons de « genêts » : Spartium junceum, Genista tyrrhena et Cytisus aeolicus, ce dernier endémique des îles éoliennes. La survie des plantes est assurée, comme beaucoup d’espèces en milieu difficile, par une association symbiotique avec un champignon et une bactérie.
Cytisus aeolicus peut atteindre une forme arborescente de 4 à 5m de hauteur, formant de véritables petites forêts au-dessus de 300-600m, où le climat est moins sec qu’aux étages plus bas, notamment là où les eaux géothermales sont disponibles. Toutefois à ces altitudes, la cytise doit supporter l’acidité émanant des bouches du volcan, toutes proches.
La cytise est aussi particulièrement sensible aux défrichements par l’homme. C’est pourquoi elle est devenue aussi rare dans les îles éoliennes : il ne resterait que 1000 individus en tout avec la plus belle population concentrée à Stromboli. Fort heureusement, une étude récente a démontré que la cytise était lentement en voie de recolonisation, grâce à l’abandon des pratiques agricoles depuis près de 100 ans. On peut observer une belle petite forêt à partir du port, qui forme une tache verte sur les flancs gris de la montagne Vancouri.
Ci-dessus : à gauche, la tache verte en arrière plan représente une petite forêt de Cytise en altitude, près du cône volcanique. La photo du centre montre une cytise à 500m d’altitude. A droite, une petite population de cytises, d’après une photo de Béatrice Fassi.
J’ai pu accéder à l’endroit où vivent les dernières populations en montant par un ancien chemin qui est abandonné, et qui menait de San Vincenzo à Ginostra, de l’autre côté de l’île (cf photo ci-dessous à gauche, et photo du Stromboli en début de texte). Ce chemin disparait presque totalement sous la végétation (photo du centre). A droite,paysage à 500m sous le Vancouri.
Une visite en 2024
Je suis retournée au Stromboli en automne 2024. Les pluies de l’été avaient été si abondantes que de gros éboulements s’étaient produits. le long de la mer après le port, j’ai pu accéder à un couloir gigantesque de coulées de boues, descendant jusqu’au bord de la mer. Et au sommet de ce couloir, où la végétation avait été dégagée, on pouvait voir un beau peuplement de cytises sur les rochers.
Photos 1 et 2: peuplement de cytises au-dessus du vallon et de la coulée de boue. Photo 3: peuplement de cytises photo Beatrice Fassi
La flore du Stromboli
La flore des pentes du volcan inclut aussi d’autres buissons fleuris : le ciste de Montpellier (Cistus monspelliensis), de couleur rose ou blanche (première photo ci-dessous), une euphorbe arborescente (Euphorbia arborescens), une armoise arborescente (Artemisia arborescens), et le caprier (Capparis spinosa) (ces trois espèces sont représentées sur les photos ci-dessous). Le maquis comprend aussi le pistachier (Pistachia lentiscus) ainsi que la bruyère arborescente (Erica arborea), bien connues dans tous les maquis méditerranéens.
Ces paysages de maquis traditionnels sont de toute beauté sur les pentes du volcan proches de Ginostra, le long de la zone d’éboulement de Sciara del Fuoco.
Au bord de la mer, subsistent quelques pieds de Tamarix africana, typique des milieux salés (ci-dessous en premier plan).
La déprise agricole et l’invasion des plantes exotiques
Entre 1825 et 1891, le nombre d’habitants de l’île du Stromboli a augmenté de plus de 60% (soit 2710 personnes), ce qui a réduit les surfaces d’habitats naturels. En revanche, le début du XXe siècle s’est montré nettement moins favorable pour l’Homme. Tout d’abord l’expansion du phylloxéra, qui a attaqué les vignes dont les habitants faisaient une boisson très estimée, la malvoisie, et ensuite, en 1930, une explosion massive du Stromboli, qui a détruit une grande partie des cultures. Il s’en est suivi une émigration massive vers d’autres continents, dont l’Australie et l’ Amérique du Sud. L’abandon progressif des zones cultivées a fait s’écrouler les murs et a favorisé l’expansion de plantes horticoles et adventices de culture, qui ont colonisé tout l’espace anciennement cultivé entre le niveau de la mer et 100m d’altitude.
Sur toute l’île, 40 espèces exotiques ont été répertoriées dont 80% sont des néophytes, c’est-à-dire des espèces qui n’ont été apportées en Europe qu’après le XVe siècle. Ce sont des espèces ornementales Les plus envahissantes sont entre autres l’ailanthe (Ailanthus altissima), la canne de Provence (Arundo donax), le figuier de Barbarie (Opuntia ficus indica) et surtout une graminée de 2m de haut, dénommée canne (Saccharum biflorum), qui occupe de grandes surfaces au-dessus du village principal.
Les premières étapes de la montée au Stromboli illustre parfaitement ce processus. A gauche: la canne et une vesce envahissante, Vicia cracca. Au centre, un chrysanthème (Globionis coronaria). A droite vue sur les pentes du Stromboli avant la montée vers le volcan.
Au printemps, la floraison de toutes ces plantes exotiques (cf ci-dessous) est de toute beauté, même si elle dénonce une dégradation écologique de l’île.
L’incendie de 2022
Cet incendie a profondément marqué les esprits de l’île. Un feu, allumé en période de vent par un cinéaste local, a déclenché un incendie de grande ampleur au-dessus du village de Stromboli. De nombreux genêts ont été brûlés alors. Mais une des conséquences notables a été l’érosion très forte qui a suivi les terres brûlées et des coulées de boue jusque dans le village. Les images ci-dessous montrent l’incendie et le paysage immédiatement après l’incendie. L’image à droite prise cette année en mai 2023 montre que la végétation s’est reconstituée rapidement, mais les genêts sont tous morts.
Quelques anecdotes du voyage
L’église de San Vincenzo (cf photo à gauche, à droite dans la photo) comporte une crèche faite par les habitants du village, qui ont représenté un volcan au-dessus de l’étable. Il y a aussi une jolie sculpture en lave représentant le christ.
Les deux îles de Stromboli et Salina ont conservé de bons souvenirs des films tournés après les années 1950
Ci-dessous à gauche: maison habitée par Ingrid Bergman durant le film “Stromboli” en 1949. A droite, un plaque commémorative de la présence de Anna Magnani à Salina
Salina a accueilli en 1994 le tournage de Il postino, interprété par Philippe Noiret de Massimo Troisi. Le souvenir est conservé sur cette place d’église de l’île.
A Ginostra, on peut rencontrer une race ancienne d’ânes de Sicile, à belle robe brune.
Les vieux cimetières de Stromboli: tous deux datent de la fin du XIXe siècle- début du XXe siècle. L’un d’eux, le plus connu, se trouve au-dessus de l’église de San Vincenzo.
Le deuxième est plus discret: il se trouve après Piscita, le long d’une plage de sables noirs. Les quelques tombes sont celles de personnes décédées du choléra au début du XXe siècle (photo à gauche). La photo à droite représente une vierge dans une petite grotte, posée sur le chemin menant à Sciara del Fuoco.
En Conclusion
Les îles éoliennes sont d’une grande richesse naturelle et culturelle. Je conseille ce voyage à tous ceux passionnés par les volcans et la vie sur ces milieux si particulier.
Remerciements
Un grand merci à Béatrice Fassi et à Pietro Lo Fascio pour leurs explications sur la flore du Stromboli, et pour la photo de la cytise du Stromboli. Un grand merci aussi à Damien Saraceni pour la relecture du texte.
Références
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