Le Mont Ventoux : une montagne phare de la Provence

Le massif du Ventoux est célèbre dans toute la Provence. Sa large crête faitière de 25 km de long culminant à 1910m, surplombant les plaines du Comtat et les collines des Baronnies l’a fait parfois comparer à l’Olympe, l’Ararat ou le Canigou dans la littérature. Cette montagne aurait été sacrée du temps des Celtes.

J’ai visité plusieurs fois le Ventoux, en tant que simple touriste, pour la beauté de ses paysages et de ses villages. En 2017, j’ai participé à une fouille dans de ses avens avec une équipe de paléontologues ; en 2023, j’ai effectué deux sorties en compagnie du naturaliste Robert Ponzo, dans le but d’observer de près des forêts à haute naturalité et quelques rares stations à if. Ce sont ces quelques visites que je vais relater ici.

Géographie du massif

Le sommet totalement dénudé du Ventoux est impressionnant par l’accumulation en surface d’éléments détritiques calcaires, qui confèrent à cette impressionnante crête une remarquable blancheur.

L’accumulation d’éléments détritiques est liée aux rigueurs du climat présent et à une érosion intense sous l’effet des rythmes gel-dégel, très importants en hiver. Ce régime fait éclater les calcaires par gélifraction, et donne naissance à des débris de toutes tailles qui recouvrent presque entièrement la calotte sommitale.

Sous ce sommet partent des combes profondes surmontées de falaises abruptes.

Le climat actuel est de type montagnard tempéré. Sur ces parties élevées, les vents peuvent être d’une grande violence.

Le milieu extrême de la crête est un refuge pour certaines espèces à répartition limitée, souvent endémiques des Alpes. La particularité du Ventoux est que certaines de ces espèces prennent ici une grande importante, comme la plus emblématique du Mont-Ventoux, le Papaver alpinum subsp. alpinum L. le Pavot velu du Groenland, appelé ainsi par J.-H. Fabre. (cf photo ci-dessous)

Le réseau hydrographique est entièrement souterrain, car les eaux s’infiltrent en quasi-totalité dans les fissures des calcaires. L’eau surgit en pied de montagne, la résurgence la plus célèbre étant celle de Fontaine de Vaucluse. La source vauclusienne de Groseau (photos ci-dessous) jaillit au pied du village de Malaucène, donnant naissance à la rivière du même nom. Il s’agit en fait d’un ensemble de sources pérennes jaillissant à flanc de rocher, qui ont servi à alimenter en eau Vaison la romaine grâce à la construction d’un ouvrage par les Romains ; des traces du conduit ont d’ailleurs été retrouvées sur la route de Malaucène. Groseau serait ainsi nommée d’après le nom du dieu celte Grasélos et des nymphes Grasélides.

La source de la Nesque jaillit également à partir d’un réseau karstique souterrain, alimentant une rivière au fond d’une superbe gorge.

Le canyon de la vallée de la Nesque

L’histoire forestière du Ventoux

Les forêts du Mont Ventoux présentent de forts contrastes dans la composition de leur flore, en relation avec les influences climatiques des Alpes et du domaine méditerranéen, mais aussi de sa topographie. La couverture forestière a aussi beaucoup évolué au cours de l’Holocène.

Au cours des premiers millénaires de l’Holocène, la couverture forestière jusqu’à la calotte sommitale était en effet constituée en fonction de l’altitude et de l’exposition, par le chêne sessile, l’érable à feuille d’obier et le sapin, associés au tilleul, l’alisier blanc, l’if et divers pins (pin à crochets pin sylvestre et hybrides). La chênaie caducifoliée (chêne sessile, chêne pubescent et leurs hybrides) lui succédait graduellement à plus basse altitude, en fonction des conditions topographiques et de l’exposition. Le hêtre était alors très rare.

Vers la fin de l’Atlantique (entre 8000 et 5000 ans avant le présent environ) , la végétation se transforme avec l’apparition du hêtre et des chênes à feuilles persistantes (chêne vert et chêne kermès). Ce changement radical est lié à la fois à une évolution naturelle et à une pression humaine accentuée. Cette période correspond en effet à la fin du Néolithique et des débuts de la métallurgie (Chalcolithique puis Age du Bronze vers 2300-2000 av. et Age du Fer à partir de 800 av. J.C.). Le développement du hêtre est lié à une conquête naturelle à partir des zones plus chaudes qui ont été ses refuges durant la dernière glaciation mais aussi sans doute parce qu’il était moins appétent pour les troupeaux domestiques que les autres espèces ; celui du chêne vert en revanche est lié à une forte accentuation des feux générés par l’homme pour augmenter les zones de pâture.

La déforestation du Mont Ventoux a été précoce : dès l’Antiquité, la forêt avait disparu des sommets, remplacée par une végétation secondaire de fruticées. Les troupeaux ont ainsi dévasté la montagne durant des siècles. On sait qu’au début du XIXe siècle, plus de 150 000 moutons transhumants cherchaient des pâturages sur le Ventoux et les monts de Vaucluse ! Actuellement, les moutons sont évidemment bien moins nombreux, mais les bergeries sont encore bien présentes dans le paysages, abandonnées ou partiellement restaurées. Les moutons n’ont aussi pas disparu !

Au XVIIIe siècle, les naturalistes notent qu’on ne rencontre que du chêne vert : quant au hêtre, il se réfugie dans les combes. Seul le versant nord reste encore boisé par le hêtre et l’érable à feuille d’obier.

C’est à partir de l’état de dénudement presque total de tout le Ventoux qu’ont été entrepris des reboisements massifs, notamment par des conifères sur une période s’étendant de 1860, époque à laquelle l’empereur Napoléon III rend obligatoire, par deux lois successives, la Restauration des Terrains en Montagne, à 1930 (avec quelques prolongations jusque vers 1945). Seule la partie sommitale a été épargnée, mais est actuellement timidement colonisée par le pin à crochets.

Ces plantations étaient peut-être nécessaires, quoique la forêt serait sans doute revenue à un autre rythme. Ces plantations ont-elles supprimé les coulées de boue et l’érosion massive engendrées par les déforestations ? En tout cas, elles n’ont pas eu que des effets positifs, car elles ont permis d’introduire des espèces exotiques à un massif provençal : sapin de Céphalonie, sapin de Nordmann, sapin d’Andalousie, cèdre du Liban !! Sur Internet on peut lire la satisfaction de l’ONF de cet état de fait des forestiers du XIXe siècle

« ces espèces participent à la grande diversité des essences du massif… Le mont Ventoux est devenu, grâce au reboisement effectué à partir de la deuxième moitié du xixe siècle, et qui s’est prolongé dans la première moitié du xxe siècle, la plus grande forêt communale française23, constituant un poumon vert de 6 300 hectares d’un seul tenant, avec différentes espèces d’arbres qui se sont acclimatées et qui varient en fonction de l’attitude. Pour un des responsables locaux de l’Office national des forêts « le génie écologique de l’époque a consisté à mettre les bonnes essences aux bons niveaux d’altitude »

https://www.onf.fr/onf/+/bad::le-mont-ventoux-une-epopee-forestiere.html

Or, planter des espèces exotiques n’est certainement pas synonyme de restauration de biodiversité d’un écosystème ! Et ce d’autant que l’acclimatation d’espèces exotiques est bien au contraire une catastrophe écologique ! La montagne n’est pas une culture, mais un écosystème. L’idée de reconstituer par des plantations d’espèces non indigènes une forêt naturelle est à la fois fausse et très dangereuse. En effet, certaines de ces espèces peuvent devenir invasives. On ne connaît pas non plus les relations avec les sols et sa faune.

Ce qui est terrible, c’est que cette mentalité perdure : on recommence à planter n’importe quoi en milieu naturel dans les forêts françaises, sous prétexte de changement climatique, sans plus d’études pour en évaluer les dégâts écologiques éventuels.

En outre, le Ventoux souffre d’introductions de grands animaux exotiques comme le mouflon, et de la rareté des prédateurs.

A la recherche des forêts naturelles

Fort heureusement, ces plantations n’ont pas eu lieu partout et il existe encore de belles zones naturelles qui sont par ailleurs protégées en forêt domaniale. L’ONF a également beaucoup investi dans des études sur l’écologie de ces milieux devenus rares et précieux. Le massif du Ventoux a aussi été classé en réserve de biosphère et en site Natura 2000.

La hêtraie à if est sans doute la forêt la plus précieuse du massif dans quelques stations relativement basses (900-1000 m d’altitude). On trouve aussi l’if sous forme d’individus isolés. Ces quelques stations sont relictuelles pour cette espèce, et donc d’un très grand intérêt écologique.

C’est en versant nord, au-delà du col du Comte, au pied des falaises bordant la combe des Orties et du Pétard, qu’a été créée en 2010 la Réserve Biologique Intégrale (RBI) du Mont-Ventoux. Elle occupe une étendue de terrain de 906ha en ubac du massif (Fig. 1), à cheval sur les forêts domaniales du Mont-Ventoux et du Toulourenc. Le secteur de la RBI est particulièrement abrupt; la pente varie, en règle générale, de 40 à 80 %.

Pour accéder à la RBI, nous partons du parking des Alazars et montons vers le col du Comte, sous le mont Serein. Ce sentier s’est boisé spontanément, et montre une grande richesse d’espèces : chênes, pins, sorbiers alisiers (avec abondante fructification), d’où émergent quelques sapins. Ci-dessous: les deux premières photos montrent des forêts naturelles de feuillus; la troisième photo montre en premier plan un jeune sapin.

Abondante fructification des alisiers cette année.

Après le col du Comte, nous poursuivons par la route forestière du col du Comte, bordée de plantations de pins, jusqu’à la combe du Pétard.

Une dizaine d’ifs sont enfouis dans la forêt qui surplombe la route, à hauteur de rochers. Deux d’entre eux semblent avoir subi des éboulements, et ont étendu de larges axes dans le sens de la pente (cf photos ci-dessous).

Ci-dessous : une autre partie de la réserve biologique intégrale, à altitude plus élevée. On y trouve hêtre, érable de montpellier et if (dernière photo, la tache sombre dans la canopée).

Visite de la Combe de la Grève

La combe de la Grève est un très beau milieu en recolonisation forestière active.

Les ifs sont également en très petit nombre (une dizaine) sous la corniche en versant Est. Les deux photos ci-dessous ont été prises à différents moments de l’année. En hiver, on voit nettement un if accroché à une corniche. Au cours de l’été, il disparait sous le feuillage des autres arbres.

L’un des plus vigoureux d’entre eux, une femelle, arbore des arilles abondantes.

Tous ces ifs sont abroutis par la faune sauvage (chamois, chevreuil) ce qui peut expliquer l’absence de semis d’ifs.

Cet if est très abrouti par les herbivores, qui y cherchent peut-être une automédication (antiparasitaire ?). L’if est en effet une espèce riche en “médicaments” dont certains peuvent être utilisés par les animaux.

Une fouille du Mont Ventoux

J’ai participé en 2017 en tant que modeste fouilleur à une des expéditions de fouille sous la responsabilité de Evelyne Crégut-Bonnoure, dans l’aven-piège du Coulet des Roches, en bordure du plateau d’Albion, dans la commune de Monieux. Les avens sont en effet nombreux dans ce massif calcaire, et ont souvent été des pièges pour la faune sauvage et ce depuis les temps glaciaires. Le Coulet des Roches a fourni des informations inédites sur la faune et le paléoenvironnement de la fin du Pléistocène supérieur et du début de l’Holocène, de 36 060 ± 620 Cal BP à 3 610 ± 40 cal BP. Les ossements récoltés correspondent à plusieurs espèces de mammifères et d’oiseaux, avec un état de conservation remarquable, avec des squelettes entiers : renard, cheval, bouquetin, chamois, cheval, renne, isard, belette pygmée, lièvre variable, lemming à collier, campagnol nordique, harfang des neiges.

Cet aven, fouillé depuis 2007, se présente sous la forme d’un puits d’entrée vertical qui descend de 12m dès l’aplomb de l’ouverture. Il donne accès à une grande salle d’environ 10 m de long sur 3 à 4 m de large.

L’année où j’ai participé à la fouille, il était question de dégager un cheval sauvage (Equus ferus gallicus), baptisé Calypso, qui est une jument âgée d’environ 5 ans (cf photo ci-dessous).

16 chevaux ont été extraits entre 2007 et 2019. Tous ont vécu il y a environ 25 000 à 27 000 ans, au cours du Pléniglaciaire.

En conclusion

Le Ventoux est une montagne à valeur hauteur symbolique et écologique. Je n’en ai exploré que quelques modestes parties. La littérature est très riche sur le sujet, et j’y reporte le lecteur.

Je remercie vivement Robert Ponzo pour m’avoir accompagnée dans les parties secrètes des forêts du Ventoux et de m’avoir fourni quelques belles photos. Je remercie également Evelyne Crégout, qui m’avait accueillie pour ce stage de fouilles. Un grand merci à Damien Saraceni pour son aide logistique sur le site !

Quelques références

Le Ventoux a été très étudié sous de nombreux aspects de l’histoire humaine, et je reporte le lecteur aux nombreux articles accessibles sur Google.

Marcel Barbero, Paul Du Merle, Georges Guende, Pierre Quézel. 1978 La végétation du mont Ventoux. Revue d’Écologie, 21-38.

Crégut-Bonnoure E. 2019. Document final de synthèse

Cet article a 5 commentaires

  1. Étienne

    Très beau reportage. Merci pour ce partage. Andrée à Bar-sur-Loup

  2. Clément

    Enfin un article passionnant sur le net ! Malgré mes nombreuses visites de cette sommité provençale, il me montre au combien le Ventoux est caché et mystérieux. L’ inaccessibilité de certaines de ces combes l’ont protégé en partie… Espérons que cet écrit permettra de le préserver en faisant prendre conscience de sa richesse… Bravo et merci.

  3. Dominique Mattei

    Merci pour cette très intéressante contribution qui complète ce que je connais de la vallée du Toulourenc, en particulier

  4. Robert Ponzo

    Excellent article. On apprend beaucoup de choses sur le Ventoux.

  5. Adrián Rodríguez

    Sans vouloir créer de polémique, je trouve que votre condamnation des plantations d’exotiques faites depuis la fin du XIXe siècle dans la région du Mont Ventoux est largement démentie par la réalité. La cédraie du Mont Ventoux participe dans une grande mesure à la biodiversité de ce site. La biodiversité de la cédraie a été mise en évidence par de nombreuses études et n’a rien de surprenant sachant qu’elle cohabite dans le nord de l’Afrique avec les mêmes espèces présentes ici. La paléobotanique, qui plus est, nous rappèle que le cèdre a disparu des massifs montagneux du nord de la Méditerranée il y a fort peu de temps. Sa présence est bien plus un retour qu’une invasion. L’espèce est quoiqu’il en soit parfaitement adaptée à ce climat et cohabite depuis de millions d’années avec le type de végétation qui couvre le Mont Ventoux. La même remarque peut être faite concernant les sapins méditerranéens, qui ont probablement un extraordinaire futur devant eux à l’heure ou le sapin pectiné et le hêtre sont à l’agonie dans de très nombreuses régions.

Laisser un commentaire