Qu’est ce qu’une tourbière ?
Au cours du réchauffement climatique, ces zones se sont remplies de sédiments et d’eau, et ont été envahies par une végétation particulière, constituées de mousses, les sphaignes. Celles-ci sont à l’origine des sols si typiques des tourbières, qu’on nomme histosol.
Les sphaignes et la tourbe
Les sphaignes, comme toutes les Bryophytes (mousses) sont des plantes non vasculaires, dépourvues de vaisseaux conducteurs de sève. Elles n’ont pas de racines, et les transports de l’eau et des éléments nutritifs se réalisent dans la plante par diffusion e le long des tiges par capillarité. Les nutriments sont captés grâce à une fort capacité d’échange, qui permet la concentration des cations basiques à partir de la solution du sol et de l’eau des pluies et de la neige fondante.
Les sphaignes limitent la compétition des autres plantes en acidififiant le milieu et en captant l’eau et les éléments nutritifs. Elles peuvent absorber jusqu’à 30 fois leur poids en eau ! Elles sont d’autant plus abondantes que le climat local est humide, avec précipitations abondantes, brume, brouillard, rosée et neige. La lumière leur est indispensable, car elles dépérissent sous l’ombrage des autres plantes.
La tourbe est constituée de sphaignes mortes, qui ne se décomposent que très lentement en milieu acide et humide. La tourbe forme donc des sols très organiques en surface, et de matière organique très décomposée à des profondeurs très variables, jusqu’à 10m. On y trouve des fragments de végétaux (feuilles, bois, écorce, graines) et des pollens.
Ou se trouvent ces tourbières ?
La plus importante des tourbières est celle du Grafenweiher en forêt domaniale de Dabo et celle des Fermes du Schneeberg en forêt domaniale d’Engenthal, toutes deux situées en vallée de la Mossig (voir ci-dessous). D’autres petites tourbières s’égrènent sous la crête entre Grossmann et Hoellenwasen, dans de petites niches glaciaires.
Les tourbières peuvent être boisées ou non, en fonction des usages du passé. Il est probable que tous ont été déboisées dans le passé par l’homme pour récupérer l’eau en été ou pour utiliser l’espace comme lieu de pâture. La plupart se sont reboisées à des vitesses dépendant de l’âge du défrichement, et aussi de la caractéristique du site : plus la tourbe est superficielle, plus le site est petit, plus la tourbière se reboise rapidement.
Les tourbières de la vallée de la Mossig
Cette vallée encaissée orientée nord sud, et dominée par les massifs du Schneeberg, Baerenberg, Wetzlach et Rosskopf, comporte 3 tourbières entre 765 et 595 m : deux sont situées très en amont, entre Hengst et Schneeberg, dans deux affluents de la Mossig, alimentant cette rivière, et la troisième est située dans un cirque glaciaire proche de cette rivière.
La tourbière de Windsbourg
Cette petite tourbière est située en amont de la dernière maison du village. Elle n’est pas située dans une niche ; c’est plutôt un site naturellement engorgé de fond de vallée, où se sont développées des sphaignes. Elle est alimentée par deux ruisseaux provenant du Urstein. Elle comporte une partie boisée (bouleaux, épicéas) en amont, et une prairie tourbeuse longtemps utilisée comme pâture, puis laissée en libre évolution. On peut y voir au cours de l’été linaigrettes et touradons de Polytrics. Cette tourbière a aussi été drainée pour éviter les inondations des caves.
La tourbière des fermes du Schneeberg
Avec ses 8000 m², cette tourbière est la deuxième plus vaste surface au nord du massif du Donon. Elle s’est formée au cours du Dryas récent, il y a environ 12 000 à 11 000 ans (Université de Franche Comté).
Elle se situe à 750m d’altitude, dans un cirque allongé sous la crête du Schneeberg, à 1,5km du Grafenweiher, dans une vallée adjacente. Cette tourbière contribue à alimenter la Mossig (la source de cette rivière est située plus en aval). À la différence de la première, celle-ci est entourée de quelques habitations.
La partie centrale de la tourbière a été pâturée et est dépourvue d’arbres. En revanche, autour de la tourbière, la forêt est revenue spontanément, comme à Windsbourg.
La tourbière du Grafenweiher
Le Grafenweiher (12 000 m²) se situe à 595 m d’altitude, dominant la vallée de la haute Mossig dans un cirque glaciaire aux abords rocheux et dont les pentes sont très abruptes. Un verrou glaciaire ferme ce cirque. Cette tourbière est totalement ouverte, seulement frangée d’une ceinture de bouleaux pubescents. Les pentes sont totalement boisées par une hêtraie sapinière.
Le paysage actuel
La tourbière est totalement déboisée sur une grande partie de sa surface, ce qui suggère des déboisements relativement récents, peut-être pour récupérer de l’eau pour les animaux en pâture sous forêt. Actuellement, la tourbière est laissée à son évolution naturelle, mais elle s’assèche sans doute en raison d’étés trop secs. Les Droséras (plantes carnivores) n’ont pas été retrouvées cette année 2022. Il y a deux ans, j’en avais vu un seul pied.
A gauche, un polytric, à droite une linaigrette, deux éléments typiques des tourbières
2024
Les mois d’hiver jusqu’en juin ont été très humides, ce qui a permis de remplir d’eau toute la tourbière. Et j’ai pu retrouver quelques beaux peuplements de drosera !
Quelques autres petites observations intéressantes: comme les pentes de la tourbière sont riches en gros blocs de rocher, on peut y observer des adaptations étonnantes des arbres qui arrivent à y survivre, parmi le hêtre et le sapin.
Autre constatation, bien plus désolante: le massacre par les machines, qui défoncent les sols de cette partie de la montagne, à l’est du sommet, entre Sandplatz et la tourbière. Avec en prime un panneau précisant qu’on fait de la gestion durable.
Histoire des paysages de la haute vallée de la Mossig par l’analyse des pollens
Les carottages effectués au centre de la tourbière du Grafenweiher par l’université de Franche Comté indiquent que la tourbe atteint 11m de profondeur. Le mètre supérieur du remplissage de tourbe couvre les deux derniers millénaires, de l’époque romaine à l’époque moderne. Deux datations au carbone 14 ont été effectuées sur ces deux mètres, l’une correspond à 420 AD, soit l’Antiquité tardive, et l’autre au début du XVIIIe siècle. Les pollens de cette période, qui couvre 1400 ans indiquent des changements dans les paysages. Globalement, le milieu du cirque est resté boisé, sauf à deux périodes où le bouleau, indicateur de milieux pionniers ouverts, s’est largement développé : au cours du Haut Moyen-Age et au milieu du XXe siècle. Il y a donc eu alors des cultures à proximité, comme l’attestent la présence de pollens de céréales et plantes messicoles (« mauvaises herbes ».
Le sapin et le pin deviennent abondants après cette période du bouleau ce qui signifie un retour de la forêt, et ce malgré la présence toujours croissante de pollens de culture. La composition de cette forêt n’est pas vraiment naturelle, car le hêtre, qui devrait dominer, est plus rare que le sapin et le pin. Cela suggère d’une part une utilisation importante du hêtre, et d’autre part la colonisation du pin dans des zones localement défrichées.
Parmi les espèces cultivées certaines espèces fruitières comme le noyer et la vigne semblent abondants avant le XIXe siècle, puis n’apparaissent plus.
L’épicéa, qui n’est pas indigène à la région, n’apparaît qu’au cours du XIXe siècle, devenant abondant vers le haut de la séquence avec les plantations massives de l’époque allemande fin du XIXe siècle.
Les tourbières sous la crête entre Schneeberg et Grossmann
Ces tourbières sont de petites dimensions, correspondant à d’anciennes niches de nivation. Elles ont été utilisées dans le passé, et certains sont encore défrichées et abîmées. Elles ne bénéficient d’aucune mesure de conservation particulière. Les petites tourbières carottées autour du Schneeberg sont peu profondes, entre 1 et 3m environ de tourbe. c
Petite tourbière sous le Hoellenwasen
Petite tourbière sous l’Eichkopf (bois de Still)
C’est la tourbière la plus boisée de toutes, dominée par l’épicéa, favorisé par les plantations tout autour, et le bouleau pubescent. Les herbacées apparaissent sur les bords (sans doute déboisés). La profondeur de la tourbe est de 2m70 selon un sondage effectué par l’Université de Franche Comté.
Il est probable que cette tourbière ait été déboisée dans le passé si on considère qu’elle est longée par un chemin à la dénomination évocatrice : Melkereiweg. Il s’agissait d’un parcours pastoral qui devait mener soit à l’Eichkopf, soit au Noll.
Petite tourbière sous le Grossmann
Cette petite tourbière se situe juste en dessous du sentier de l’Elsassblick.
On la repère de loin lorsqu’on emprunte le chemin de l’Elsassblick vers le Noll, notamment en hiver quand la neige a fondu partout ailleurs.
Cette petite tourbière est en excellent état de naturalité, car on ne l’utilise plus, et on laisse la colonisation se faire spontanée. Les arbres tentent d’envahir la tourbière, mais meurent le plus souvent en raison de l’action des sphaignes.
Tourbière sous le Grossman, lieu-dit Baerenholen
Cette tourbière a été malmenée par des défrichements et des aménagements pour la chasse.
Les tourbières de la vallée de la Haslach
Zone tourbeuse de la crête du Noll
La chaume du Noll est entourée de petites forêts dont certaines sont tourbeuses.
Conclusion
Les tourbières du massif du Donon ont encore beaucoup à nous apprendre sur l’histoire très locale des Hautes Vosges gréseuses. A la différence des tourbières des autres parties du massif vosgien, plus au nord dans la région de Bitche, et plus au sud, entre Champ du Feu et Hautes Vosges granitiques, celles du Donon n’ont été que très peu étudiées. Or, ces micro-écosystèmes recèlent une mine de renseignements sur l’évolution des écosystèmes du passé de ce massif si particulier. Il est donc fort dommage qu’elles ne soient pas davantage étudiées, et pour la plupart non protégées des excès de la sylviculture actuelle et aménagements divers (prises d’eau, défrichements, drainage).
