Les trésors naturels et culturels d’une île méconnue des Petites Antilles : la Dominique

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Discrète, la Dominique, située au centre de l’arc formé par les Petites Antilles est un petit territoire long de 46 km et large de 20. Elle est relativement peu visitée, en raison de la pluviosité (9000 mm de pluies au centre de l’île), du manque de plages, du relief tourmenté d’accès difficile. Et pourtant, elle recèle quelques trésors de nature et de culture, qui ont été la raison de notre voyage en février 2015 : la conservation d’espèces éliminées sur d’autres îles proches ; des paysages volcaniques uniques ; une forêt en bon état de conservation;  une société traditionnelle amérindienne.

L’île est indépendante depuis 1978 et fait toujours partie du Commonwealth, On y parle anglais, mais le français est parfois parlé et certains mots sont inclus dans le patois dominicain.

On accède sur la Dominique le plus souvent par bateau ou petit avion à partir de la Martinique ou la Guadeloupe. Nous avons donc embarqué par bateau « Express des îles » à partir de la Martinique, le 21 février 2015.  La mer était belle, quoique un peu agitée.

La traversée nous permet de saisir le contraste entre ces deux grandes îles aux reliefs variés et au climat accueillant, et celle de la Dominique, dont les trois massifs montagneux principaux, qui sont d’anciens cônes volcaniques éteints, Morne au Diable, Morne Diablotin et Morne Trois Pitons, qui atteignent plus de 1000 m d’altitude, avec un point culminant à 1447 m pour le Morne Diablotin.  Par bateau, ces mornes entourés de nuages et de pluie surgissent comme autant de forteresses à partir des côtes lorsqu’on vient de la mer.

Les mornes vu par bateau

Les forêts

La Dominique est en déprise agricole modérée, ce qui explique les forêts secondaires et les cultures abandonnées. Mais il reste aussi de très belles formations forestières sur les pentes, les sommets et le long des rivières dans toute l’île.

Les forêts tropicales denses de montagne de la Dominique sont protégées au sein d’un parc national situé sur le Morne Diablotin. Ces forêts de hautes dimensions sont de toute beauté avec quelques arbres énormes (un Sloanea de 4 m de diamètre et d’énormes contreforts). Une partie de ces forêts a été fortement impactée par l’ouragan de 1979, mais la reconstruction a été rapide. Il faut dire que ces forêts sont adaptées à ces événements naturels, ce qui explique les contreforts des plus grands arbres.
À gauche ci-dessous : contreforts d’un arbre de la canopée; au centre: un arbre a englouti une liane dans son tronc ; à droite : petits contreforts dans des sites très humides

Ces forêts diminuent de taille près des sommets d’où leur nom de Elfin forests (forêts des elfes). Cela s’explique par la nébulosité (présence de élevée, tant la nuit que le jour, qui diminuent l’efficacité de la photosynthèse par rapport aux zones plus basses.

La forêt des elfes à 800m d’altitude, parc national

Un pays volcanique

Comme ailleurs dans les Petites Antilles, toutes issues du contact entre deux plaques tectoniques, la Dominique est d’origine volcanique. Sa formation date de la période tertiaire (Miocène, entre 23 et 5 millions d’années). L’activité volcanique y est encore présente : la dernière éruption date de 1880. L’île est aussi émaillée de « mornes ». Ainsi, le Morne Diablotin a 30 000 ans d’âge ! Nombreux sont les lacs de cratère, et les ruisseaux qui écoulent des eaux chaudes, rousses, et riches en soufre.

Nous avons visité les chutes de Trafalgar Falls, située à quelques kilomètres au-dessus dans le Parc National Morne Trois Pitons. Les chutes comportent deux cascades adjacentes : hautes de 60 mètres, ce sont les plus hautes cascades de La Dominique. Les deux chutes dévalent la falaise et tombent avec fracas dans une cuvette remplis de rochers.

Ci-dessous : un morne couvert de forêts très instables en raison de la pente presque verticale ; au centre, de spectaculaires fougères géantes. A droite : les eaux réunies des deux cascades

Sur la côte Est, les paysages des petites îles sont superbes.

Ces îles sont colonisées par des arbres qui subissent de plein fouet les assauts du vent. Je reste toujours confondue devant la résistance des plantes face aux stress : ici, en plus des vents, s’ajoutent les embruns dont le sel détruit les feuilles, et le manque de sol.

Bord de plage, superbe, avec couverture dense d’une liane recouvrant la partie non salée de la plage. En arrière plan en bord de mer : une couverture continue d’algues, et du bois mort… avec aussi des déchets apportés par la mer

Sur la côte même, les sources sulfureuses sont nombreuses : elles surgissent entre les racines des arbres, tordent les arbres par leurs effets toxiques.  

Le Boiling Lake

Mais le site phare de la Dominique est la vallée de la Désolation, dans le parc national Morne Trois Pitons. La balade fait 12 km aller-retour et un dénivelé de 850 mètres, et est très éprouvante si on les fait sous une pluie diluvienne ! Elle conduit au cœur de l’île, dans la zone géothermique la plus active, riche en fumerolles et en rivières à eaux soufrées, qu’on aborde en glissant sur des pentes fortes sans sentiers.

La marche pour voir le lac bouillonnant dure environ 4h aller. Les sentiers n’arrivent pas jusqu’au lac, et il faut continuer en marchant dans les ruisseaux et dans la végétation. Nous y sommes allés avec un guide sous une pluie battante, le dernier jour du séjour.

De part et d’autre de la vallée, sur les fortes pentes des mornes, la forêt n’a pas eu d’emprise, en raison des glissements de terrain, occasionnés par les pluies et les petits tremblements de terre dans les zones les plus instables.

Le Boiling Lake, de diamètre de 60 m, est le deuxième cratère au monde rempli d’eau bouillonnante au monde, le premier étant en Nouvelle Zélande.

L’eau des fumerolles est principalement de l’eau de pluie (eau météorique) qui s’infiltre dans le sous-sol. Dans ces régions à fort gradient géothermique, cette eau se réchauffe rapidement et peut dépasser la température d‘ébullition ; un circuit convectif s’établit alors, qui fait remonter ces eaux et/ou vapeurs chaudes. Le CO2 et les gaz soufrés sont, eux, principalement issus du magma (ou directement du manteau). En profondeur, la composante soufrée est en général dominée par l’H2S. Celui-ci s’oxyde partiellement au contact des eaux, et presque totalement en arrivant au contact de l’atmosphère, d’où la présence de SO2 et de sulfate (SO42-).

La première observation attestée du lac se produit en 1870, par Watt et Nicholls, deux Britanniques travaillant en Dominique à cette époque. En 1875, le botaniste H. Prestoe et le docteur Nicholls sont chargés d’enquêter sur ce phénomène naturel. Ils mesurent la température de l’eau, entre 82 et 91 °C le long des bords du lac. Ils ne peuvent pas la mesurer en son centre, car l’eau est en ébullition. Ils mesurent une profondeur supérieure à 59 m.

Le niveau et l’activité du lac sont soumis à des variations périodiques. Dans les années 1870, il est profond, à la suite d’une éruption phréatique à proximité, mais il disparaît en 1880 et forme une fontaine d’eau chaude et de vapeur. Une autre éruption phréatique abaisse le niveau du lac d’environ 10 m de décembre 2004 à avril 2005, avant qu’il ne remonte à nouveau.

L’origine de la flore

Les plantes de la Dominique proviennent pour l’essentiel d’une colonisation par l’Amérique du Sud, via un courant équatorial partant de l’Afrique de l’Ouest, qui, en passant au nord de l’Amérique du Sud, récupère les eaux de l’Orénoque avant de longer les petites Antilles. Ce courant a été le moteur essentiel de la colonisation du vivant, grâce aux bois flottés fournis par les forêts vénézuéliennes. Il a transporté semences, œufs d’insectes, voire petits vertébrés du continent sud américain vers les Antilles.

Une autre voie de colonisation, plus aléatoire, est toujours celle des ouragans et des courants aériens créés par les éruptions volcaniques. Ainsi, l’éruption de la Montagne Pelée en 1902 a apporté une liane nouvelle en Dominique, dénommée en patois « volcan ». Enfin, l’Homme a également contribué à disperser les espèces qui lui étaient utiles, comme l’agouti du temps des Amérindiens. Les apports historiques de la faune et de la flore sont actuellement innombrables.

Une île unique pour sa faune

Par rapport aux îles voisines, Martinique et Guadeloupe, ce petit territoire a conservé quelques reliquats de la faune naturelle des Petites Antilles : des oiseaux endémiques de la famille des Psittacidés (perroquets) qui ont disparu des autres îles des Petites Antilles. Ainsi, on comptait en tout avant l’arrivée de Christophe Colomb, 26 espèces de cette famille dans les Petites Antilles. Au XIXe siècle, 14 espèces avaient disparu !

L’ara de la Dominique a fait partie de ce cortège, mais a pu conserver, à la différence de la Guadeloupe et de la Martinique, deux espèces du genre Amazona, tous deux en liste rouge, car ils comptent à deux moins de 400 individus depuis l’ouragan David : le Sisserou, ou perroquet impérial (Amazona imperialis), le plus grand des perroquets d’Amazonie, rare, réfugié dans les forêts humides d’altitude et emblème de l’île, et le jaco (Amazona arausiaca), un peu plus fréquent, qui fréquente les orangeraies de basse altitude de Syndicat Trail. Ces deux espèces font l’objet de protections strictes et de conservation en captivité.

Le Sisserou, emblème de l’île

Dans le but de les voir, nous avons visité le Morne Diablotin. Nous en apercevons dans les cultures d’orangers du sentier Syndicat trail, à hauteur du Visitor center (à 8 km de la route). Ils passent plusieurs fois en petits groupes en criant et se postent dans les hauts arbres. J’en vois un de près, dos vert, reflets violets. C’est sans doute le sisserin !

Le diablotin, un pétrel (Pterodroma hasitata) qui venait nicher sur les falaises du Morne Diablotin, a disparu comme partout ailleurs, mais des observations ont été faites sur cet oiseau en 2014.

Autre curiosité de la Dominique, la présence d’un boa constricteur (Boa constrictor nebulosa) endémique, dit le « Clouded boa », qui peut atteindre 3 mètres. Je ne l’a pas vu, dommage ! Cette sous-espèce strictement protégée est parfois tuée par les habitants lorsque des individus se réchauffent sur les routes de village. Les Amérindiens de l’île en faisaient une huile cicatrisante, et continuent à le chasser, malgré un statut de protection. Ci-dessous, une représentation symbolique du boa, qui fait l’objet d’une légende locale.

La mythologie caraïbe attribue la naissance de la Dominique à un énorme boa constrictor – le Maître Boa- jailli des flots il y a des milliers d’années pour établir sa tanière dans une cavité insondable du morne Diablotin. Maître Boa, qui selon les Indiens possède une crête en diamant, chante comme un coq et donne naissance périodiquement à des couvées de petits reptiles, protège l’île contre les assauts du modernisme. Les Indiens l’invoquent assidûment quand ils se sentent menacés, traqués. Faut-il croire au pouvoir du mythe ? Peut-être pas, mais il n’empêche que la Dominique se dresse encore comme une île intacte, comme l’unique témoignage des petites Antilles originelles

Texte internet Destinations »Dominique – Antoine TV

Une société traditionnelle

On trouve en effet encore sur l’île des descendants des premiers colonisateurs humains de l’arc antillais : des peuples amérindiens, arrivés sur ces îles des côtes du Venezuela actuel vers 2500 avant JC.

La Dominique a été en fait abordée par des vagues successives de chasseurs cueilleurs issus du delta de l’Orénoque au Venezuela. Une hypothèse curieuse est que les hommes n’auraient guère fait de différence entre ce vaste delta peuplé d’îles, et les îles des Petites Antilles vers lesquelles les courants les portaient au-delà du delta, en pleine mer. En d’autres termes, pour certains scientifiques, le delta de l’Orénoque et les îles des Petites Antilles feraient partie d’un même écosystème au sens large, en raison des similitudes dans la flore et les peuples qui l’ont successivement occupé.

La colonisation humaine amérindienne a commencé par Trinidad à partir de l’Orénoque il y a 8000 ans, et a atteint les petites Antilles par vagues successives. Les Kalinagos en forment donc la dernière vague, arrivés un siècle avant Christophe Colomb. Ce peuple s’est allié avec les esclaves africains échappés, et avec lesquels ils se sont fortement métissés, contre la colonisation européenne. Les récits publiés par l’historien Lennox Honeychurch soulignent l’horreur de l’esclavage, des batailles que se sont livrés Français et Anglais.

Retirés à présent dans les parties les moins hospitalières de l’île, les Kalinagos vivent actuellement en relative autarcie dans la partie la moins productive de l’île. Les échanges entre Kalinagos, ceux de l’Orénoque et les quelques autres îles des Petites Antilles leur permettent de conserver leur culture. Le tourisme aussi prend une part active à leurs revenus, par les visites des villages.

A lire : The Dominica Story, A history of the Island. Lennox Honychurch. 2012.

Il y aurait encore beaucoup à explorer et à observer sur cette île, qui a été depuis fortement impactée par d’autres ouragans. Concernant le Boiling lake, des informations reçues l’année suivante de notre visite, en 2016, notent que le lieu est dangereux.

À la Dominique, le Bureau des Catastrophes Naturelles et le Département des Forêts ont fermé l’accès au Lac Bouillant jusqu’à nouvel ordre. Les clichés circulent sur les réseaux sociaux montrant des personnes qui se baignent dans le lac. La température de l’eau a baissé ces derniers jours or en temps normal, elle se lève a plus de 90°. Il y a une semaine le lac s’est vidé, un phénomène qui a déjà été constaté 8 fois depuis 1876. Selon le Centre Sismique de la Caraïbe basé à Trinidad et Tobago, ce changement n’annonce pas forcement une éruption volcanique. En revanche, chaque fois que l’eau disparaît, les scientifiques ont constaté les niveaux toxiques de dioxide de carbone et même les explosions de vapeur. Le lieu est donc instable.

“Caroline Popovic • Publié le 20 novembre 2016 à 07h00

Par ailleurs, l’eau du Lac Bouillant est froide et les gens qui tentent la baignade mettent leurs vies en danger. “Les gens doivent arrêter cette activité immédiatement car l’eau peut retourner à son état habituel d’ébullition sans le moindre préavis,” annonce le Bureau des Catastrophes Naturelles de la Dominique.

Les autorités dominiquaises ont donc pris la décision de fermer l’accès au site. Seules les responsables qui surveillent le Lac Bouillant ont le droit de s’y rendre.

Toutefois, cela ne semble plus d’actualité. En 2022, les randonnées sont autorisées, avec accompagnement d’un guide. Ce que je recommande aussi beaucoup, en raison des difficultés de trouver le lac, et surtout , pour aider les populations locales.

Cet article a 7 commentaires

  1. Fillieux

    Excellent document !
    Un reportage très complet et bien illustré.
    Bravo et merci pour toutes ces précieuses informations.

  2. Grand Isabelle

    Bonjour, je suis allée à la rencontre des kalinagos en 2019, j ai eu la chance de recevoir un soin avec le Chaman de l’Ile. Les habitants sont dotés d une générosité extraordinaire…
    Après l hurricane de 2017, l accès a l eau était dans la rue, les maisons en partie détruite, plus de cocotiers, mais la population a gardé la foi et le sourire et ils plantent tous les jours. Leurs jardins sont abondants. Perdu dans la jungle une nuit avec piqûres des bêtes rouges, ils m ont soignés comme l une des leurs. Je les remercie de tout mon coeur pour les bananes, le sourire, les soins, toutes ces aides précieuses et profondément humaines, Sacrée leçon de Vie.
    Hâte de retourner là bas. Merci. Isabelle

    1. Annik Schnitzler

      Merci pour cette information qui me fait très plaisir ! je n’ai pas eu de contact direct avec ces personnes, et c’est bien dommage.

    2. Annik Schnitzler

      oui c’est un pays très accueillant. rien que le fait d’voir conservé une faune disparue dans les îles voisines indique un respect de la nature tout à fait exceptionnel.

  3. Louis Pascal

    Je vais conserver votre article, tellement les descriptions sont fouillées et belles.
    Mettre à l’honneur un tel endroit, l’île de la Dominique, ‘coincée’ entre la Guadeloupe et la Martinique, et que je rêverais de visiter, est un bonheur. Un grand merci.
    Juste un petit regret, celui de ne pas avoir mentionné l’immense autrice Jean Rhys, née fin 19ème sur cette île, descendante de propriétaires d’esclaves africains, et qui connaissait la flore de cette île si adorée,comme en attestent ses descriptions détaillées, érudites de son chef d’œuvre “Wide Sargasso Sea”, j’avais été ébloui par la beauté du livre et ses descriptions du “Jardin d’Eden”, du coup je l’avais choisi pour le travailler en spécialité d’anglais de terminale. D’ailleurs ce roman est aussi étudié dans nos en fac d’anglais. Merci encore.

    1. Annik Schnitzler

      je ne connais pas cet auteur, merci de le mentionner ! cela rajoute à la beauté et l’intérêt de cette île que j’ai beaucoup appréciée

  4. Daniel Florentin, sur'' Ronin ''

    Très belles images de l,ile. Je suis étonné que vous ne faisiez pas allusion au pamplemousse rose, spécialité locale et sans doute le meilleur du monde( hélas, il semble réservé à l,UK.) J,ai fait le tour du monde sur mon voilier et le seul endroit où j,ai trouvé des pamplemousses qui approchaient ceux de la Dominique était les Îles Salomon…..Cordialement,Florentin

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